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« Le Japon a oublié son histoire »

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À l’aune de l’histoire de son pays, Fukiko Aoki, une Japonaise expatriée aux États-Unis, livre une analyse éclairée de la catastrophe de Fukushima.
 

Dans mon pays d’origine, le Japon, nous avons connu à la fois Hiroshima et Fukushima. Nous avons vu le champignon radioactif et la désolation de 1945 sur des vieux films noir et blanc, et aujourd’hui nous contemplons quotidiennement les réacteurs de Fukushima et la menace qu’ils font peser sur notre population.

Deux mois après le drame du 11 mars, on compte désormais près de 15 000 victimes de la catastrophe et le danger est loin d’être écarté.

Même l’air du pays est devenu une menace puisque les radiations continuent à s’échapper de la centrale nucléaire endommagée.

Le choc que j’ai ressenti le 11 mars a été partagé à la fois par 78 000 résidents des environs de Fukushima, par 130 millions de Japonais et des centaines de millions de personnes dans le monde entier.

Nos télévisions nous ont aussi montré les survivants : des enfants hagards, des épouses éplorées et de vieilles dames qui avaient dix ans en 1945, dévorant en 2011 de maigres rations de survie à même le sol d’un gymnase reconverti en abri. Nous avons vu les fermiers de Fukushima dans l’incapacité de vendre leurs produits, interdits à cause des radiations, et des pêcheurs privés de l’exercice de leur métier depuis que de forts taux de radioactivités ont été détectés en mer entre la centrale et Tokyo. Ils pêchent souvent depuis plusieurs générations, n’ont jamais rien fait d’autre que pêcher et ne pourront sans doute plus jamais pêcher…

Pourquoi ? La réponse est simple : les ingénieurs et dirigeants de Tepco ainsi que le gouvernement japonais ont choisi d’ignorer l’histoire.

 

Le japon : pays des tremblements de terre

 

Depuis la nuit des temps, nous avons souffert des caprices de la terre, de terribles tremblements de terre et de puissants tsunamis. Aujourd’hui encore, le long des côtes japonaises, l’on peut trouver ce que nous appelons des « pierres tsunami » qui ont pour but de commémorer ces événements naturels et dont certaines sont vieilles de plus de mille ans. La menace des tremblements de terre et des vagues gigantesques qui les accompagnent ne s’est pas estompée avec l’avènement de la modernité…

En 1896, un séisme de magnitude 7.6 avait déjà frappé la côte nord du Japon, il avait soulevé des vagues de plus de 35 mètres. L’épicentre de ce tremblement de terre était situé pratiquement au même endroit que celui du 11 mars.

En 1923, le tremblement de terre du Kanto et l’incendie qu’il déclencha détruisirent pratiquement la ville de Tokyo : plus de 100 000 morts.

En 1933, la côte fut à nouveau balayée par un violent séisme et à nouveau de nombreuses maisons furent détruites et de nombreux Japonais trouvèrent la mort.

Seul point positif : à cette époque, les centrales nucléaires n’existaient pas. Cette technologie n’arrivera paradoxalement au Japon qu’après les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki.

 

L’implantation du nucléaire au japon basée sur des mensonges

 

Après la guerre, alors que le nucléaire connaissait un succès croissant dans les pays occidentaux, les Japonais ont, fort logiquement et légitimement, développé une méfiance vis-à-vis ces technologies. À la fin des années 1950, John Jay Hopkins, alors président de General Dynamics (l’entreprise américaine qui a, entre autres, construit le premier sous-marin nucléaire), fut chargé de se rendre au Pays du soleil levant pour promouvoir les énergies nucléaires. Il invoqua efficacement la sûreté des centrales atomiques et l’absolue nécessité pour le Japon qui ne disposait ni de charbon ni de pétrole, d’être indépendant énergétiquement. Le Japon moderne avait besoin d’énergie et le nucléaire n’était pas un problème mais au contraire la solution.

Cette argumentation s’avéra payante. En 1966, soit vingt et un ans après les bombardements de Nagasaki et Hiroshima, la première centrale nucléaire japonaise ouvrit ses portes à Tokaimura, à 75 kilomètres de Tokyo. Cinq années plus tard, le réacteur numéro 1 de la centrale de Fukushima entrait en service.

Dans les années 1950, quand des employés de Tepco étaient venus prospecter à Fukushima, ils avaient été très bien reçus par la population. Les villageois de l’époque, principalement des fermiers et des pêcheurs, ne partageaient pas la croissance exponentielle de l’économie japonaise et voyaient d’un bon œil le projet nucléaire de l’entreprise. Cette dernière avait à l’époque assuré aux habitants qu’ils seraient parfaitement en sécurité.

Tout le monde ou presque crut en ce mensonge jusqu’au 11 mars 2011.

Pendant les semaines qui suivirent la tragédie, les représentants du gouvernement rappelèrent sans grande conviction que le tsunami avait été bien plus puissant « que ce que tout le monde aurait pu imaginer ». Mais ils avaient tort : l’histoire sismique de la région était une preuve suffisante de cette monumentale erreur. Les preuves historiques étaient là mais elles ont été volontairement ignorées pendant des années.

 

Un avenir en danger

 

Depuis le mois de mars 2011, la région a connu plus de 400 répliques d’une magnitude de 5 sur l’échelle de Richter. Les experts pensent qu’elles pourraient s’amplifier et continuer pendant 10 ou 20 ans.

Il y a toujours une cinquantaine de centrales nucléaires en activité au « pays des tremblements de terre », et il est tout à fait possible que nous connaissions bientôt un séisme « plus puissant que ce que tout le monde aurait pu imaginer ».

Le gouvernement doit prendre des mesures de toute urgence, à commencer par fermer les plus anciennes centrales encore en activité et accélérer la transition du pays vers des énergies propres comme le solaire ou l’éolien. Penser qu’il est possible de maintenir des centrales nucléaires dans un pays qui subit une activité sismique aussi importante est une idée à la fois absurde et dangereuse. Plus personne dans mon pays ou ailleurs dans le monde ne doit jamais avoir à souffrir à cause de cette illusion.

Nous ne devons plus jamais ignorer l’histoire dont la tragédie du 11 mars fait désormais partie.

 

Fukiko Aoki/GlobalPost, adaptation ACP

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