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Nucléaire et crème solaire

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La centrale domine le nord de la plage, perchée sur une falaise, et déverse l’eau de refroidissement de ses réacteurs dans une crique célèbre chez les amateurs de plongée. Un souci pour les locaux ? Pas vraiment. Ou plutôt, « Bu pa ! », « même pas peur ! », comme le dit avec mépris la quinquagénaire qui loue des jet-skis à 25 € la demi-heure. « C’est un problème de riches ça, pas de pauvres. On est pauvre, ici », ajoute-t-elle avant de couper court à mes questions et de me proposer un jet-ski.

Un gardien de parking me sourit quand je lui demande si la centrale inquiète les habitants du coin : « On a l’habitude maintenant. Et de toute façon, elle est déjà construite, il n’y a plus grand-chose à faire ». La centrale a été construite en 1984. « À l’époque, on n’en connaissait pas les dangers. Maintenant oui, mais jusqu’à présent nous avons eu de la chance. »

C’est vrai, Taïwan n’a jusqu’à présent connu aucun accident, et c’est peut-être pour cette raison que personne ne veut sacrifier une journée à la plage par peur d’un désastre nucléaire.

 

Site hautement sécurisé

 

Une visite chez Taipower, l’organisme gouvernemental qui gère les trois centrales nucléaires du pays, s’impose pour recueillir leur version de la situation. Taipower fournit environ 20 % de l’électricité sur toute l’île. Deux responsables débitent par cœur la longue liste des mesures de sécurité. Des écrans affichent en permanence le niveau de radiation dans un rayon de 5 km autour de la centrale. Le jour de ma visite, le niveau de radiation ne dépassera pas les 0,048 Sieverts, l’unité de mesure standard pour les radiations. Une alerte n’est lancée que si le niveau dépasse 0,2, tout ce qui dépasse ce seuil est considéré comme une « urgence ». La faune et la flore sont inspectées régulièrement et toutes les données sont transmises au gouvernement. De plus, sur cette île à fort risque sismique, un système de sécurité arrête automatiquement toute activité dans la centrale si un tremblement de terre assez puissant est détecté. Concrètement, le système se met en marche à 0,2 g (mesure d’accélération de la force) et la centrale est prévue pour résister à une force de 0,4 g.

En cas d’accident, l’armée est entraînée à évacuer les résidents. Selon Paul Shen, le directeur de la sécurité de la centrale, le site est « secure », et les chiffres de WANO (l’association mondiale des opérateurs nucléaires) le confirment. Pour Shen, il existe plusieurs raisons à ces bons résultats : avec seulement trois centrales en activité à Taïwan, le pays a moins de soucis à se faire que la France.

De plus, la présence d’un représentant de l’agence de régulation nucléaire sur chaque site assure une surveillance constante. En revanche, les déchets sont stockés sur place, en attendant la création d’un site de traitement dans l’est de l’île.

Les responsables de Taipower admettent que le déversement de l’eau de refroidissement des réacteurs dans la crique a constitué une anomalie au moment de la création de la centrale. Mais depuis, l’eau utilisée est une eau salée sans danger pour l’environnement. Rien à signaler. La température de l’eau déversée est contrôlée constamment, tandis que des caméras sous-marines surveillent l’activité autour des coraux de la crique. Pour Wu Jue-hua, le responsable du centre, les dégâts causés à la faune et la flore sont plutôt dus aux déchets rejetés par les hôtels, aux orages et aux plongeurs plutôt qu’à l’eau de la centrale. Le réchauffement planétaire en serait aussi une des causes : la température de l’eau a globalement augmenté dans la région.

 

Un point noir sur la carte postale

 

Reste l’image négative de toute centrale nucléaire. C’est pourquoi un centre de visite a été ouvert en 2005. Il a pour but d’expliquer au visiteur comment fonctionne une centrale, les précautions prises pour assurer la sécurité des populations et pour le recyclage des déchets. Des visites pédagogiques sont organisées pour les écoles. J’ai ainsi vu des enfants s’amuser à faire tourner le plus vite possible une « centrifugeuse » d’exposition et d’autres essayer de récolter des barils de déchets nucléaires avec une mini-grue, un peu comme les jeux que l’on trouve dans les fêtes foraines pour gagner des peluches. De tels jeux suffiront-ils pour rassurer les jeunes Taïwanais sur la sécurité du nucléaire ? Shen m’a confié que la plupart des enfants qui viennent ici se croient dans un parc d’attractions et ne saisissent pas vraiment les enjeux du nucléaire.

 

Global Post / Adaptation JOL-Press.

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