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Anne Lauvergeon : le mystère d’« Atomic Anne »

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À cinquante-deux ans, « Atomic Anne », éjectée brutalement du plus haut étage de la Tour Areva de La Défense, privée d’une bonne partie de ses revenus probables de l’ordre de 1,1 million d’euros, spoliée d’un pouvoir immense, n’a pas laissé passer plus de quelques jours avant d’annoncer son arrivée à la tête du conseil de surveillance du quotidien… Libération ! Diversion, récréation, façon d’occuper ses loisirs forcés ? Probable. Car Anne Lauvergeon est une bosseuse. Ce détour par une fonction plus honorifique qu’opérationnelle ne présage en rien de son devenir. Il a été souhaité par le financeur majoritaire du quotidien réputé encore de gauche, Édouard de Rothschild. Nul doute que cette improbable « fusion » n’obéisse à une stratégie d’image savante, peut-être orchestrée par la « papesse » des carrières de l’élite, Anne Méaux (Image Sept), coach de toujours ou presque d’Anne Lauvergeon.

2001 : Areva unifie la filière nucléaire

Le parcours de la reine de l’énergie nucléaire française est le reflet de ses réelles compétences intellectuelles. Cette agrégée de sciences physiques tombe une première fois dans le chaudron de l’atome en 1984, à l’occasion d’un simple stage au Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Elle s’y replonge entièrement en 1999 quand un certain Strauss-Kahn, alors ministre de l’Économie, la nomme PDG du groupe Cogema qui a la haute main sur l’uranium. Dès lors, telle une « superwoman » à laquelle il ne manquerait que la cape frappée du logo « nucléaire », Anne Lauvergeon va bâtir la filière atomique civile française, des mines aux réacteurs, en rachetant à Alcatel ses participations dans Framatome (constructeur/intégrateur de centrales nucléaires) qu’elle soude à la Cogema. C’est bouclé en 2001 sous le nom d’Areva – inspiré d’une abbaye espagnole, Arevalo. En 2011, le CEA est l’actionnaire majeur avec 73 % de parts (en diminution), quand l’État conserve 10,2 % (EDF, 2,2 %, le reste réparti entre la Caisse des dépôts, Framépargne – le fonds de retraites –, Calyon, Total, un fonds koweïtien, le public…). Son poste de PDG la hisse au rang des dirigeants internationaux. Au nez et à la barbe de ses ministères de tutelle qui n’en demandaient pas tant.

Lèse-majesté

Au nez et à barbe aussi d’EDF dont le nouveau patron à partir de 2009, Henri Proglio, venu de Veolia, entend « coordonner la filière nucléaire », ce à quoi s’est employé Areva depuis près de dix ans. Choc d’ego inévitable. Anne Lauvergeon, confiante en sa réussite au nom des bras de fer « impossibles » réussis dans le passé, sous-estime un troisième ego, celui du président de la République. Nicolas Sarkozy avait tenté de la garder sous sa coupe comme ministre de l’Économie en 2007. Son refus le crispe. Elle paiera l’irritation de celui auquel on ne résiste pas, quelques mois après Fukushima. Il est vrai que 2010 avait enregistré la première perte d’Areva (423 millions d’euros) et que la génération des EPR – nouveaux réacteurs – n’a pas décollé.

Carrière hors norme

Mais entre le stage au CEA et l’entrée à Libération, que de rebondissements ! Mme Lauvergeon, mariée à M. Molinard dont elle ne portera pas le patronyme, mène sa vie de famille avec ses deux enfants et une carrière « à la Christine Lagarde » : c’est une « politique » à partir de 1990 dans l’entourage de Mitterrand, une « banquière » en 1995, une « industrielle » à partir de 1997, DGA d’Alcatel. Commence son patient jeu des 7 familles qui va filialiser les membres de la filière atomique, en privant EDF du morcellement des ressources qui lui aurait permis de se camper en énergéticien absolu. Madame Areva n’oublie pas au passage de se rémunérer à la hauteur de son rang dans le gotha des dirigeants mondiaux, ce qui déclenche une polémique que s’épargnent pourtant bien des patrons hommes milliardaires : Anne Lauvergeon pointe autour du 80e rang des rémunérations… seulement !

Coups fourrés

Tout au long de ses deux mandats, elle n’envoie pas dire à l’État qui se considère le vrai maître du nucléaire du pays que Lauvergeon est maître chez elle ! Elle n’hésite pas à reprocher aux princes leur « manque de vision ». Actionnaire et PDG ne s’épargnent guère : l’État interdit à Areva le rachat de certains majors des énergies renouvelables repérés par la PDG qui tombent alors dans l’escarcelle de l’étranger – quand EDF, lui, élargit son portefeuille d’entités dans l’énergie renouvelable. Le même État est cause en outre du retard à l’entrée d’Areva en Bourse (en 2005). En 2006, le ministre de l’Économie, Thierry Breton, veut déjà en finir avec Atomic Anne, Chirac la sauve. Après 2007, non contente de ne pas donner suite à l’invitation de Sarkozy d’entrer au gouvernement, elle lui refuse la mainmise de Bouygues et Alstom sur les réacteurs. Hors les États-Unis, Arevawoman est la n° 2 mondiale des femmes dirigeantes en 2006 (Forbes, toujours).

Mais en juillet 2011, c’est fini. Brutalement. Désormais, Henri Proglio-EDF et les groupes tenus à l’écart par la dame de fer vont pouvoir négocier avec son successeur, Luc Oursel, que les observateurs pensent prêt à se montrer beaucoup plus conciliant avec les « politiques » et leurs amis. C’est du reste acté dès le 25 juillet, date à laquelle les premiers accords Areva-EDF sont signés : Oursel n’est pas Lauvergeons !

Non aux « Mâles blancs » omniprésents

La dame de l’uranium n’a jamais tellement usé de la litote. N’est-ce pas elle, en marge du 4e Women’s Forum de Deauville, en 2009, qui avait lancé : « À compétence égale, eh bien, désolée, on choisira […] la femme, ou on choisira autre chose que le mâle blanc, pour être claire. » Dans une entreprise comme Areva peuplée à 80 % de « mâles blancs », la mâle assurance de l’ex-patronne avait suscité à l’époque une polémique qui était allée jusqu’à la taxer de « discrimination fondée sur un critère racial » dont un tribunal la lava.

C’est à ce même Women’s Forum qu’elle avait expliqué, une année, que « bien gouverner, c’est avant tout ne pas faire de bêtises. Ne pas chercher à réaliser tout le temps des prouesses, car les coups d’éclat font prendre des risques ». Parlait-elle vraiment pour elle ? La « tueuse », comme la surnomment ses ennemis, en a bel et bien pris, des risques. A-t-elle « fait des bêtises ? » Ces mêmes adversaires sont prêts à le jurer !

Mais justifié ou pas, le lâchage, par le président de la République, touche une patronne restée contre vents et marées à la tête d’une entreprise aussi sensible qu’Areva pendant dix ans, ce qui est beaucoup. À un moment où les résultats du groupe, communiqués par le nouveau PDG le 27 juillet, n’ont rien de mirifiques, bien au contraire. « Aucune de ses activités (sauf l’aval du cycle de combustible) n’a rapporté d’argent », remarque L’Express (20 juillet 2011). Anne Lauvergeon est « débarquée » du navire au moment où son client hexagonal, EDF, a envie de s’en rendre le capitaine.

Alors, quel sera le devenir de l’ex-Madame Areva ?

Certainement pas celui d’une patronne de presse à la tête d’un quotidien en piteux état. Ministre de l’Industrie, de l’Énergie, de l’Environnement d’un président socialiste ? Pourquoi pas, même si les « alliés » écologistes du potentiel président y verraient indubitablement une déclaration de guerre. Pour Atomic Anne, la politique serait sans doute une façon de relancer en force une ambition contrariée, et une occasion de régler des comptes, après un beau pied de nez à un Nicolas Sarkozy à son tour désavoué. Certains « mâles » dominants dussent-ils en prendre ombrage…

Anecdote

Elle a dit : « Je me sens avant tout une femme, je ne veux pas renoncer à cela » Ou encore : « Choisir un rouge à lèvres et changer de coiffure font aussi partie de mes plaisirs. »

Référence

La troisième révolution énergétique, Anne Lauvergeon, avec Michel-H. Jamard, Plon, 2008.

 

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