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La tragédie grecque n’en est pas encore à son épilogue

Une catastrophe évitée ?

 

L’économie mondiale souffle. Si une telle mesure n’avait pas été prise, elle aurait engendré un désastre financier comparable à celui de l’automne 2008, lorsque Lehman Brothers faillit d’entraîner l’économie mondiale dans sa chute. Si nous avions laissé sombrer la Grèce, les marchés financiers auraient été pris de panique. Les institutions financières auraient cessé de se prêter de l’argent, de peur que les milliards d’actifs toxiques grecs qu’elles avaient achetés n’interdisent leur renflouement via des prêts bancaires. Les valeurs boursières auraient fortement chuté. Les Américains auraient une fois de plus perdu une fortune sur leur système d’épargne retraite, le 401 (k). Enfin certains experts estiment que l’on aurait été obligé de faire appel au plus grand prêteur en dernier ressort, la Banque Fédérale américaine, actuellement accaparée par des échéances internes, pour sauver à nouveau l’économie mondiale.

 

Voter le suicide…

 

Le passage au plan d’austérité n’était pourtant pas joué d’avance. Au cours de la semaine du 25 au 31 juillet 2011, des échanges de gaz lacrymogènes, de jets de pierre et de bombes incendiaires ont opposé manifestants et police grecs. Les réductions budgétaires et les hausses des impôts – censées réduire les dépenses de 20 millions de dollars et dégager un excédent de 20 millions de dollars – entraînent des pertes d’emplois massives, des fermetures d’écoles et toute une série de pénibles répercussions. Le directeur de la banque centrale grecque, Georges Provopoulos – l’un des plus puissants responsables financiers du pays – pourfend la politique d’austérité. Au cours du week-end, l’augmentation de 7,8 milliards de dollars d’une taxe annoncée à la dernière minute a excédé le responsable. Il s’est emporté contre cette augmentation qu’il qualifie de trop pesante pour les contribuables. Les propos de Georges Provopoulos étaient dangereux : ils pouvaient sous-entendre que le Parlement rejetterait le plan d’austérité. Mais finalement, il confesse au Financial Times qu’il n’y avait d’autres choix que d’adopter le plan : « Il aurait été criminel de ne pas adopter le plan d’austérité – le pays aurait voté en faveur du suicide ».

 

Un plan qui aggrave les choses

 

Ironiquement, beaucoup d’analystes se montrent d’accord avec Georges Provopoulos. Ils sont convaincus que le plan d’austérité demandé par l’Union européenne et le Fond monétaire international (FMI) comme condition préalable à de futures aides financières ne fera qu’empirer les choses à long terme. « Qui sera le type qui se lèvera dans une salle du Crédit Agricole ou de la Deutsche Bank pour dire à ses collègues : “Les gars, on doit arrêter de gagner autant d’argent” ? » se gausse Terry Connelly, doyen de l’école de commerce Ageno, de l’Université Golden Gate. « En le pressant de mesures d’austérité, ils détériorent l’état du malade grec, affirme Laurent Jacque, un enseignant de commerce international à l’École Fletcher de l’Université Tufts. Ils ne cessent d’étouffer l’économie grecque. Le malade va bientôt s’effondrer. » En ces temps où la Grèce a besoin de trouver autant d’argent que possible pour payer ses dettes, l’austérité menace de paralyser l’économie du pays. « Ces derniers mois, les coupes opérées dans les secteurs de l’économie grecque n’ont fait qu’alimenter la récession et réduire les recettes fiscales », explique Laurent Jacque.

 

Le fardeau grec

 

D’où la mauvaise nouvelle : bien que le Parlement ait tenté d’éviter un désastre imminent en adoptant l’austérité, la crise grecque est loin d’être résolue. La dette grecque est un véritable fardeau : elle représente 160 % du Produit intérieur brut (PIB) du pays. Traduction : si tous les Grecs devaient arrêter de se nourrir, de dépenser et dédiaient chacun de leurs dollars à rembourser la dette du gouvernement, il faudrait plus de 19 mois pour l’honorer. Évidemment, ça n’arrivera pas. Le nœud du dilemme repose sur cette réalité : la Grèce est effectivement en faillite et n’a clairement aucune chance de rembourser entièrement ses dettes. Standard and Poor’s l’a confirmé début juin 2011 lorsque l’agence a attribué à la Grèce la pire note possible : CCC.

Comment la Grèce en est-elle arrivée là ? Comment un pays à la population à peine plus importante que Los Angeles et à l’économie comparable à l’Oregon a-t-il pu se retrouver le couteau sous la gorge ? La réponse la plus simple semble celle-ci : son gouvernement a dépensé beaucoup trop tout en taxant trop peu. Le pays disposait de généreux systèmes de protection sociale et de retraite, et un secteur public inefficace. En outre, la fraude fiscale est généralisée. En réalité, le drame est plus compliqué, tout comme le sont les solutions à y apporter. Beaucoup de gens ont aidé la Grèce à creuser sa tombe.

 

Goldman Sachs, le tripatouillage du diable

 

Parmi ces « bienfaiteurs », on retrouve Goldman Sachs, qui a orchestré le tour de passe-passe financier par lequel la Grèce a caché ses façons de faire extravagantes. Avant d’adopter la monnaie unique européenne en 1999, les décideurs politiques avaient envisagé la possibilité qu’une crise comme celle-ci arrive et qu’elle se propage au-delà des frontières. Pour prévenir une telle situation, les autorités avaient alors fixé des limites à la quantité totale d’argent que les pays de la zone euro pourraient emprunter. Chaque gouvernement était supposé se soumettre à ces restrictions afin d’être éligible à la monnaie unique, et devait s’y tenir même après l’entrée dans la zone euro. Tandis que 2001 approchait et que la Grèce était prête à passer à la monnaie unique, son gouvernement dépassait déjà les restrictions de la zone euro. Or, plutôt que de réduire les dépenses et d’augmenter les recettes fiscales, le pays a essentiellement eu recours à une comptabilité créative supervisée par Goldman Sachs. L’agence new-yorkaise a conçu un accord financier appelé swap de devises. L’accord avait pour but de maquiller les comptes grecs dans la feuille de bilan de Goldman Sachs afin de laisser le pays devenir membre de la zone euro.

Comme l’explique le journaliste financier Nicholas Dunbar dans son livre The Devil’s Derivatives (« Les dérivés du diable », Éditions Harvard Business Review Press), Goldman Sachs a gagné beaucoup d’argent grâce à cet accord. La Grèce, en retour, profitait de tous les avantages de l’euro. Le pays pouvait emprunter sur les marchés financiers européens à des taux auxquels il n’aurait jamais pu prétendre seul – un privilège qui lui permettait d’emprunter à moindres frais. Mais Goldman Sachs et la Grèce n’ont pas agi seuls.

 

Les autres acteurs de la crise grecque

 

Eurostat, l’agence européenne en charge de vérifier les comptes financiers des pays membres, a validé les artifices comptables de l’agence de notation. « Selon certaines sources proches de l’affaire, l’accord entre l’agence de notation et la Grèce a même reçu l’aval d’Eurostat (six ans plus tard Eurostat niera en avoir eu connaissance) », écrit Dunbar. De fait, l’Italie a usé du même stratagème plusieurs années auparavant. Ainsi, d’autres entités aidaient-elles la Grèce à creuser son déficit et parmi elles, de grandes banques européennes. En 2004, tout le monde savait que la Grèce avait maquillé ses comptes et que ses finances n’étaient pas telles qu’elles paraissaient. Toutefois, des banques de premières importances comme BNP Paribas ou la Commerzbank continuaient d’acheter les milliards de dollars d’obligations douteuses qu’émettait le pays.

 

Comment ont-ils pu se fourvoyer autant ?

 

Deux raisons essentielles expliquent ce comportement de voyous suicidaires. Premièrement, les banques ne craignaient pas les risques liés aux monnaies étrangères – les obligations étaient majoritairement libellées en euro, la monnaie dont ils avaient besoin, et non en drachmes, monnaie qui risquait la dépréciation, et donc de leur faire perdre l’argent investi dans ces obligations. De plus, les obligations grecques étaient rémunérées à un taux d’intérêt plus élevé que celles d’autres pays plus orthodoxes en matière fiscale. Ainsi les banques purent gagner plus d’argent, en supposant que la Grèce les rembourserait. En d’autres termes, les plus grandes banques européennes et les plus importants fonds de pension ont investi dans la dette grecque pour réaliser les plus hauts profits. « Ce fut une course au rendement », affirme Terry Connelly, doyen de l’école de Commerce Ageno, de l’Université Golden Gate.

 

Les institutions européennes sont les détenteurs de la dette grecque

 

Ce qui nous amène à un point clé : ce n’est pas tant la Grèce que les eurocrates renflouent mais eux-mêmes. Les banques européennes et en particulier la Banque centrale européenne (BCE) sont les plus gros détenteurs de la dette grecque. Une nouvelle perte importante d’argent aurait été difficile à surmonter dans ce contexte de crise économique. Comme une résurgence de la crise de 2008, les obligations toxiques de la Grèce sont emmêlées dans une toile de dettes et dérivés complexes tels les Credit default swaps (CDS) qui pourraient piéger les banques et établissements financiers partout dans le monde. Néanmoins, la différence cette fois-ci c’est que l’Europe est seule. Or elle souffre cruellement d’un manque de puissance institutionnelle telle qu’en disposent les Américains via la Réserve Fédérale américaine. Elle est donc moins bien équipée pour démêler ce désordre rapidement et efficacement, explique Connelly.

 

La crise grecque n’est pas au bout du processus

 

Par conséquent, pendant que les obligations grecques seront remboursées cet été, des milliards de dollars de dette resteront en suspens, et rejailliront dans les prochaines années. La Grèce n’a presque aucune chance de payer sa dette en totalité. Et si les économistes ont raison, l’austérité ne fera qu’empirer les choses en paralysant l’économie du pays. Dès lors, si l’Europe rechigne à sauver son partenaire méditerranéen, ou si elle échoue à mettre en place un plan d’aide digne de ce nom pour éviter à la Grèce le défaut de paiement, tout le monde est perdant. De plus, puisque les institutions financières américaines sont inextricablement liées à leurs consœurs européennes, les conséquences rejailliront de l’autre côté de l’Atlantique.

 

Restez à l’écoute, la tragédie grecque n’est pas encore finie.

 

Global Post / Adaptation JOL-Press.

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