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Les médias égyptiens entre censure et liberté

Une télévision encore fragile

 

Le Caire, Égypte. À peine deux minutes avant le lancement de la nouvelle émission de télévision de Miral Brinjy, Hashtag, le jeune présentateur égyptien commence à paniquer. Les producteurs du programme inspiré de Twitter s’emmêlent les pinceaux à la recherche d’un câble manquant. La deuxième caméra est toujours hors service. Le signal du direct vient de se couper pour le reporter de Miral Brinjy qui se tient à quelques rues de là, sur la Place Tahrir. Et pour une raison inconnue, son ordinateur portable ne reçoit plus Internet. « Je ne peux pas m’empêcher de me sentir nerveux à chaque fois, confie Miral Brinjy, 26 ans, qui tapote son micro-cravate. La première fois, je pleurais d’angoisse dix minutes avant le direct. »

 

La vague des nouveaux médias libres

 

Des difficultés techniques mineures semblent faire partie du quotidien dans ce studio proche du Nil de la chaîne January 25 TV. Elle fait partie des 16 nouvelles chaînes lancées en Égypte depuis que l’ex-président Hosni Moubarak a quitté le pouvoir début 2011. La nouvelle chaîne satellite n’a commencé à émettre qu’en avril 2011. La plupart des 42 employés sont tout juste sortis de l’université. Certains n’ont même jamais étudié l’audiovisuel auparavant. Mais les jeunes reporters de TV 25 semblent moins concernés par les prouesses techniques que par le développement prochain de médias libres libre égyptiens. à toute allure. Particulièrement au moment où de nombreux journalistes égyptiens continuent de redouter un retour du régime répressif de Moubarak. Selon eux, l’on doit continuer de se battre pour la révolution, non pas dans la rue ou Place Tahrir mais sur les ondes.

 

Une presse tenue d’une main de fer sous Moubarak

 

« Nous diffusion ce que les Égyptiens doivent savoir et non ce que l’État veut que nous disions ». De nombreux journaux et radios ont tiré avantage de l’assouplissement des règles contraignantes sur les médias. L’Égypte s’est toujours vantée d’avoir une presse relativement libre sous Moubarak, notamment en comparaison avec ses voisins très autoritaires comme la Libye ou la Tunisie de Ben Ali. Mais le gouvernement menaçait constamment la presse d’une lourde censure. La limite à la liberté se faisait particulièrement sentir dans la critique de l’armée ou du président et de sa famille. Cette limite était connue de tous bien qu’elle ne fût pas clairement énoncée dans la loi. En 2008, un rédacteur en chef très connu a été emprisonné pour avoir émis des doutes sur la bonne santé d’un Moubarak de 80 ans.

 

Une information grossièrement faussée

 

La télévision d’État autrefois omnipotente, non contente de censurer l’information, ignorait souvent la réalité du terrain. Lors des premiers soulèvements égyptiens, cette télévision a diffusé en direct les images d’un pont sur le Nil alors même que des dizaines de milliers de manifestants descendaient sur la Place Tahrir à quelques rues de là. « Avant, les médias nous présentaient les informations comme si nous étions idiots », constate Mohammed Gohar, le producteur exécutif à l’origine du lancement de TV 25. « Moubarak est resté au pouvoir pendant 30 ans. Il pensait que s’il contrôlait la télévision, il resterait en place. » à 62 ans, Gohar n’est pas un novice, il ne découvre pas les limites du journalisme en Égypte. Il se décrit lui-même comme le « Pharaon des médias ». Il a commencé sa carrière de journaliste en 1970 en travaillant avec Peter Jennings et Barbara Walters. Il a travaillé comme cameraman pour Walter Cronkite, notamment de la célèbre interview de l’ancien président Anouar Al-Sadate en 1977.

 

Petit budget pour forte audience

 

Sa mission à TV 25 : créer un nouveau réseau médiatique fondé sur « la liberté, la démocratie et l’équité sociale » qui n’aurait pas à diffuser tous les jours des nouvelles sur Moubarak. TV 25 diffuse maintenant quotidiennement en direct de la Place Tahrir, jusqu’à emmener les téléspectateurs à l’intérieur des tentes des manifestants. Les réseaux sociaux – qui ont beaucoup aidé à la révolution égyptienne – tiennent une place importante dans la programmation de la chaîne. L’émission Hashtag de Miral Brinjy recueille les dernières nouvelles de Facebook, Twitter et YouTube afin de les diffuser à l’antenne pour ceux qui n’ont pas accès à Internet. Le petit budget de la chaîne – le lancement de TV 25 a coûté environ 100 000 dollars – interdit un matériel plus professionnel et nuit à une présentation plus moderne.

 

Ressembler à la jeunesse

 

Mais Mohammed Gohar pense que les informations brutes, nerveuses, fournies en temps réel par les révolutionnaires permettront d’asseoir la crédibilité de la chaîne auprès de la jeunesse égyptienne qui a renversé Moubarak depuis la Place Tahrir. « La jeunesse est la marque de fabrique la plus pertinente pour l’Égypte d’aujourd’hui, explique le vieux journaliste. Si notre programmation ressemble à ce que les jeunes filment avec leurs mobiles, ils voudront nous regarder. »

 

Liberté sous surveillance

 

Et pourtant, le même Gohar se montre soucieux de ne pas aller trop loin dans la critique du gouvernement militaire d’intérim. Même si les décisions desdits militaires se voient régulièrement mises en question sur la chaîne, le « Pharaon » pense que TV 25 ne devrait pas se répandre de manière trop virulente contre l’armée en tant qu’institution. Après tout, des limites imposées à la presse égyptienne existent toujours. En avril 2011, le blogueur Maikel Nabil a été condamné à trois ans fermes dans une prison militaire pour avoir publié un article fort peu favorable à l’armée. D’autres journalistes et blogueurs ont été convoqués dans des bureaux militaires. Ils y ont subi des interrogatoires sur leurs propos. Même Mohammed ElBaradei, l’ancien directeur de l’Agence international de l’énergie atomique et présidentiable, a rapporté sur Twitter que la télévision d’État lui avait refusé l’antenne un mois auparavant. « Apparition prévue sur la télévision d’État refusée. La politique de censure et les calomnies continuent en Égypte » a twitté la personnalité égyptienne, le 15 juin 2011.

 

Une détermination sans faille

 

Que va devenir TV 25 ? Mohammed Gohar affirme que le ministère de l’Information lui a écrit après le renversement de Moubarak pour révoquer la licence de diffusion de la société mère de TV 25 et fournisseur d’accès satellite, Video Cairo. Mais Mohammed Gohar l’a ignorée, sûr que rien n’empêcherait sa chaîne de couvrir la révolution égyptienne. « Nous continuerons de travailler dur. Aucun de nous n’obéira plus désormais à la volonté des autorités, affirme celui qui ménage pourtant l’armée. Ces jours appartiennent au passé et jamais ils ne reviendront ». Le dieu des médias l’entende…

 

 

Global Post / Adaptation JOL-Press.

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