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Les Palestiniens contre le régime syrien, leur défenseur de longue date

Les Palestiniens ouvrent les yeux

 

Beyrouth, Liban. Alors qu’ils sont privés de leur nationalité en Jordanie et qu’ils vivent au Liban dans les pires conditions socio-économiques, les réfugiés palestiniens en Syrie ont longtemps joui d’une situation meilleure comparée aux autres membres de leur communauté, y compris l’égalité des droits avec les citoyens syriens. Mais dans le cadre d’un événement qui remet en cause un des piliers centraux de la légitimité du régime syrien, les Palestiniens de Syrie commencent à se retourner contre une dictature qui, pendant des décennies, a utilisé ses appels à résister contre Israël et à se battre pour les droits des Palestiniens comme autant de justifications à la répression de son propre peuple.

 

Yarmouk, bastion de la clairvoyance

 

« Nous n’accepterons pas d’être les objets d’un marchandage pour le régime syrien », lance Abu Ammar, un réfugié palestinien de 50 ans vivant à Yarmouk, une banlieue au sud de Damas, et le plus grand camp palestinien en Syrie. « Le régime veut nous utiliser contre les manifestants pro démocratie, mais je pense que la plupart des réfugiés palestiniens de Yarmouk ont maintenant changé leur position. Ils sont passés de neutres à partisans des manifestations syriennes ». Ammar est un ancien militant du Fatah, le parti palestinien séculier et dominant : il est désormais mécanicien à Yarmouk. Le camp abrite près de 150 000 Palestiniens, ainsi que des dizaines de milliers de Syriens.

 

Palestiniens et Syriens main dans la main

 

Alors que les manifestants syriens qui réclament des droits essentiels continuent d’être abattus par les forces de sécurité du président Bashar el-Assad, les Palestiniens de Syrie commencent à se révolter comme les citoyens eux-mêmes et protestent contre la violence sans répit du gouvernement d’Assad. « Les Palestiniens réfugiés en Syrie vivent parmi des Syriens, pas du tout comme au Liban. Pendant six décennies, nous avons vécu ensemble, et les mariages mixtes étaient monnaie courante, ils ont instauré une nouvelle génération mélangée », explique un activiste politique du Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP). « Quand les manifestants nous ont invités à participer, ce fut pour nous le signe qu’ils nous considéraient comme des partenaires, et pas comme des étrangers. Nous avons les mêmes droits que les Syriens, nous avons donc les mêmes responsabilités ».

 

La fin de l’instrumentalisation des Palestiniens ?

 

Le 1er juillet 2011, dans la première participation en masse des Palestiniens dans l’opposition depuis le commencement du soulèvement en mars, plus de 3 000 Palestiniens du camp des réfugiés de Homs avaient rejoint les manifestants pro démocratie. Plus qu’un simple coup de pouce quantitatif à la manifestation du vendredi 22 juillet 2011, la participation des Palestiniens constitue un changement radical. « Les dictateurs ont utilisé les Palestiniens depuis les cinquante dernières années afin d’asseoir leur légitimité, ils ont dit à leur peuple : “vous devez tolérer cette violence, tout ce manque de liberté, toute cette brutalité parce que nous allons libérer la Palestine”. C’est un mensonge », constate désormais Wissam Tarif, le directeur de l’Insan, une organisation syrienne des droits de l’homme.

 

Un régime ambigu

 

« Mon père y a cru. Et les pères et grands-pères des gens qui manifestent y ont cru aussi. Mais nous, non. » La colère est en train de gronder au sein du demi-million de Palestiniens qui vivent en Syrie alors que des détails émergent sur le rôle joué par le régime qui a poussé les manifestants palestiniens à se confronter Israël en juin 2011, dans ce qui fut largement condamné comme un mouvement de diversion pour ne pas attirer l’attention sur ses propres répressions brutales. Le 5 juin, 44e anniversaire de l’occupation israélienne des hauteurs du Golan, au sud de la Syrie, le FPLP-CG, une faction depuis longtemps alliée au régime, a aidé à l’organisation du voyage jusqu’aux hauteurs du Golan pour des centaines de Palestiniens, au départ de Yarmouk.

 

Une frontière infranchissable ?

 

Ce plateau fertile constitue l’une des frontières les plus stables d’Israël, avec à peine un coup de feu tiré depuis la fin de la guerre de 1973 ou la guerre d’Octobre. Le régime justifie régulièrement l’application de l’état d’urgence depuis 50 ans qui engendra la suspension de nombreux droits essentiels soulignés dans la constitution, au prétexte que le Golan est encore occupé. Quand les Palestiniens tentèrent de traverser la frontière, 20 furent tués et quelque 270 autres furent blessés par des soldats israéliens : cet incident était le deuxième de ce type en un mois, selon les titres des journaux. Les tirs furent filmés par la télévision syrienne d’État. Jamais auparavant le régime n’avait autorisé des Palestiniens, des Syriens ou n’importe quels autres Arabes à essayer de franchir sa frontière avec Israël.

 

Le FPLP-CG, « une organisation terroriste »

 

Et de fait, Damas a, pendant des décennies, poursuivi une politique de direction de la résistance arabe au Liban. Dans les années 1970, la Syrie a joué un rôle en poussant les soldats du Fatah de Yasser Arafat dans le sud du Liban où ils ont lancé des attaques sur Israël d’une zone qui n’allait pas tarder à être connue sous le nom de « Fatahland ». Durant l’occupation israélienne du Sud Liban qui a commencé en 1982, la Syrie a aidé le Hezbollah dans sa lutte pour libérer le Sud Liban, avant d’assister le groupe financé par les Iraniens, qui allait devenir la force politique et militaire la plus puissante du Liban. Le FPLP-CG, dont le siège est à Damas, maintient des bases le long des montagnes de la vallée de la Bekaa au Liban. Aux États-Unis, le FPLP-CG est répertorié comme « une organisation terroriste étrangère » après une série d’attentats et de détournements d’avions dans les années 1970 et 1980, ainsi que des attaques sur Israël.

 

« Un auxiliaire palestinien du renseignement syrien »

 

Dans un rapport de 2002 sur le groupe, le Bulletin du Moyen Orient, depuis les Etats-Unis, décrivait le FPLP-CG comme un « auxiliaire palestinien du renseignement militaire syrien ». Le groupe a longtemps bénéficié du soutien militaire et financier du régime, ainsi que de l’Iran et de la Libye. « Tous les Palestiniens savent que le FPLP-CG avait organisé ce voyage jusqu’au Golan pour aider la Syrie, rapporte Nidal Mahmoud, un comptable de 30 ans originaire de Yarmouk. Au cimetière, j’ai vu les cadavres de Palestiniens qui sont morts pour rien, juste pour divertir l’attention de la crise syrienne et la reporter sur les frontières avec Israël. Les groupes palestiniens n’ont rien fait de bien pour nous, ils travaillent pour la Syrie, l’Iran et d’autres pays. »

 

Des zones d’ombre à éclaircir

 

Quand le leader du FPLP-CG, Ahmed Jibril, un ancien capitaine de l’armée syrienne, a tenté de tenir un discours vilipendant Israël lors d’enterrements à Yarmouk, des endeuillés enragés ont commencé à lui jeter des pierres, et d’accuser Jibril de manipuler la cause palestinienne en faveur du régime d’Assad. Des manifestants ont ensuite attaqué les quartiers généraux du FPLP-CG à Yarmouk avec des pierres, les gardes ont ouvert le feu : 11 jeunes hommes palestiniens ont été tués. Il reste des preuves non confirmées que la manœuvre soigneusement orchestrée qui a permis aux manifestants palestiniens de traverser la frontière avec Israël émanait des plus hauts rangs du régime.

 

Une note compromettante

 

Une note, qui aurait été transmise par le bureau du maire de Quneitra, la ville syrienne la plus proche de la frontière du Golan, décrit comment Assef Shawkat, le beau-frère du président Assad, qui est aussi l’ancien chef du renseignement militaire et le chef adjoint des forces armées actuellement, a ordonné à un capitaine du renseignement militaire d’aider les manifestants à franchir la clôture. « Par la présente, la permission est accordée aux foules approchantes de franchir la ligne de cessez-le-feu en direction des territoires occupés du Golan et les autorise par là même à s’engager physiquement les uns avec les autres devant des agents et des bureaux des Nations unies. De plus, il n’y a pas d’objections à ce que quelques tirs soient tirés en l’air », stipule la note.

 

Détourner l’attention

 

Le document divulgué a été fourni par Radwan Ziadeh, directeur du Centre des droits de l’homme à Damas et chercheur invité à l’université d’Harvard. Le document n’a pu être vérifié par un organisme indépendant, mais Ziadeh a toujours été une source constante d’informations fiables sur le soulèvement syrien. L’ambassadrice américaine des Nations unies, Rosemary DiCarlo, déclare que la protestation dans le Golan consistait en « un stratagème transparent du gouvernement syrien pour inciter à la violence le long de la ligne de désengagement afin de détourner l’attention de ses tueries et de ses abus en matière de droits de l’homme pour le peuple syrien ». Cette position a été soutenue par des propos similaires et particulièrement forts les ambassadeurs français et allemand des Nations unies.

 

Des positions contraires

 

Malgré les morts du Golan et de Yarmouk, tous les Palestiniens n’ont pas, et en aucun cas, rompu avec le régime. « La Syrie est le seul pays du monde arabe à considérer les Palestiniens comme ses citoyens », a déclaré un activiste palestinien pro syrien proche du FPLP-CG, qui a demandé à apparaître sous le nom d’Ibrahim. Selon lui, le FPLP-CG et le Fatah intifada, une ramification radicale du Fatah soutenue par la Syrie, resteront fidèles à Assad. Il a critiqué le Hamas, le puissant groupe islamiste, d’avoir choisi la neutralité en Syrie. Le Hamas a apparemment rejeté les exigences du régime, selon un rapport de l’International Crisis Group.

 

Les Palestiniens, boucs émissaires parfaits

 

Dans une interview sur France 24 le 9 mai 2011, Khaled Meshaal, le chef du Hamas à Damas, a décrit le Printemps Arabe comme « magnifique », et a déclaré que la liberté et la démocratie étaient particulièrement nécessaires en Syrie. Le régime a un peu plus attisé l’animosité entre les Palestiniens en cherchant, dans les premiers jours du soulèvement, à leur reprocher directement l’instabilité régnante. Le 21 mars, le quotidien privé Al-Watan, dont le propriétaire n’est autre que le cousin d’Assad, Rami Makhlouf, a affirmé que les troubles de Daraa étaient l’œuvre du groupe djihadiste Fatah al-Islam, qui s’est soulevé en 2007 dans un camp palestinien du Liban. Le 26 mars, Bouthaina Shaaban, le conseiller politique d’Assad, a affirmé que les Palestiniens du camp de réfugiées d’Al-Ramel, en dehors de la ville portuaire de Lattaquié, avaient attaqué des magasins dans l’intention d’enflammer une guerre civile.

 

La défaite du régime syrien

 

Dans le journal An-Nahar basé à Beyrouth, et alors qu’il est connu pour critiquer fréquemment le régime syrien, Randa Haydar écrit que les protestations à l’encontre du FPLP-CG à Yarmouk représentaient « un soulèvement populaire et spontané contre les factions palestiniennes profitant des réfugiés aussi bien que du régime syrien qui fait commerce du sang des Palestiniens ». Un responsable syrien, cité dans le rapport de l’International Crisis Group, parle même plus crûment : « Le régime ne peut plus prétendre être debout face à la résistance. »

 

Global Post / Adaptation JOL-Press.

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