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Des chars allemands en Arabie Saoudite : une problématique géopolitique

Le retour des Allemands en Arabie Saoudite

 

New York – Voilà un demi-siècle que les chars allemands créent un certain émoi au Moyen-Orient. Dans les années 1940, l’Afrikakorps du maréchal Erwin Rommel n’a pas été longue à s’approcher des champs pétrolifères qu’Hitler convoitait passionnément. De nos jours, la chancelière Angela Merkel envoie des chars allemands dans le désert, cette fois pour les vendre aux Saoudiens.

 

La crainte de la répression

 

Le gouvernement allemand a récemment approuvé une vente de 200 chars de combat Leopard II au gouvernement d’Arabie Saoudite dans le cadre d’une affaire qui a provoqué une levée de boucliers – et de vieux fantômes – à travers le monde. Beaucoup, en Allemagne et ailleurs, dénoncent ce marché, qui vient rappeler l’intervention armée menée par l’Arabie Saoudite contre les manifestations pro-démocratiques à Bahreïn en février 2011. Les groupes de défense des droits de l’homme ont souligné le danger de voir ces mastodontes de 68 tonnes utilisés contre les manifestants.

 

Des inquiétudes de toutes parts

 

L’image, certes, est malheureuse : si les tanks saoudiens ont aidé à intimider les manifestations en faveur de la démocratie à Bahreïn, pourquoi ne feraient-ils pas la même chose sur leur propre territoire ? Bien évidemment, mesurer la moralité d’une vente de tanks est une tâche dangereuse et la vente des tanks allemands à un État arabe qui n’a pas reconnu le droit d’Israël à exister provoque une inquiétude particulière. Mais les détails de la vente à 2,5 milliards de dollars et les réactions particulièrement calibrées des protagonistes régionaux suggèrent que le Royaume a autre chose en tête que la stabilité du pays.

 

Des mastodontes effrayants

 

Les tanks vendus par l’Allemagne, techniquement le Kampfpanzer Leopard 2A7+, constituent la dernière version d’un appareil militaire apparu pour la première fois en 1979 dans les unités d’Allemagne de l’Ouest. Ils avaient déjà été vendus à l’étranger – pour la plupart à des pays appartenant à l’Otan –, notamment à l’Espagne, au Canada et aux Pays-Bas, mais aussi aux armées du Chili et de Singapour. Intimidants, même en position stationnaire, ces tanks sont de loin les armes idéales dans un affrontement avec des manifestants. Et pour cause, les tanks saoudiens envoyés à Bahreïn mêlaient de petits modèles français à des voitures blindées, mais le géant américain, le tank Abrams MIA2, qui compose d’ordinaire l’essentiel de leur arsenal, était porté manquant à l’appel. Les tanks Leopard II et Abrams sont conçus pour détruire des villes en… leur roulant dessus. Il n’aurait suffi que d’un seul pour faire s’effondrer la chaussée qui relie l’Arabie Saoudite au Bahreïn.

 

Un équilibre géopolitique précaire

 

Prévenir la diffusion de telles armes, n’est-ce pas le but légitime ? Mais les Saoudiens, politiquement répressifs, anti-démocrates, nourrissent des causes compréhensibles d’inquiétude face à la menace des tanks iraniens aux serveurs rodés. D’une manière révélatrice, l’Iran a qualifié cette vente de chars allemands de « cynique ». Avec les États-Unis qui se retirent rapidement d’Irak – encore une inquiétude récurrente de la famille royale saoudienne – la rivalité avec l’Iran s’est encore accrue. Alors que les affirmations saoudiennes qui désignent l’Iran comme maître d’œuvre des manifestations pro-démocratiques à Bahreïn semblent exagérées, il est vrai que l’Iran a exploité le constat que la plupart de ceux qui ont été tués durant la répression étaient des chiites bahreïni exigeant des réformes démocratiques d’une monarchie sunnite minoritaire.

 

Un pays bien armé ?

 

L’Arabie Saoudite n’est pourtant pas le poltron local puisqu’elle a su se doter en quantité des meilleures armes disponibles au cours des ans. Mais le dernier achat important de tanks que le pays ait conclu remonte à 1990, quand il a versé 3,1 milliards de dollars pour 315 Abrams M1A2 construits par General Dynamics, à Lima, en Ohio. Geste de remerciement pour les avoir sauvés de Saddam Hussein ? Des observateurs l’ont pensé. Mais 1990, c’est loin, et le désert saoudien est très, très difficilement praticable pour les véhicules mécanisés. Les Saoudiens ont consacré 2,6 milliards de dollars pour leur mise à niveau en 2006. Mais le corps de tanks iraniens, alors qu’il est composé de modèles russes bien inférieurs, est près de deux fois supérieur en nombre à celui de l’Arabie Saoudite.

 

Vers la fin de la dépendance

 

Depuis l’éclatement du Printemps arabe un peu plus tôt cette année, les liens avec Washington – déjà assez tendus par les événements du 11 septembre 2001 et ce qui a suivi – se sont franchement refroidis. Les Saoudiens sont furieux à l’égard des Américains pour avoir aidé au départ d’Hosni Moubarak d’Égypte, et ils s’inquiètent d’une conversion de dernière minute d’Obama possible si les choses empiraient à Riyad ou Djeddah. Alors que l’administration américaine s’est abstenue d’acclamer la dissidence aux frontières du Royaume, ses prises de position en Libye, en Tunisie et particulièrement en Égypte, ont amené les dirigeants saoudiens à s’interroger sur leur dépendance vis-à-vis de la puissance américaine et surtout des armes américaines.

 

Faire jouer la concurrence

 

En 2010 justement, de façon discrète, les Saoudiens ont commandé 150 chars russes. L’accord sur les Leopard II allemands envoie un signal fort à l’Amérique : un client important a toujours d’autres options. Les Abrams M1A2 sont les égaux des chars allemands, mais l’Arabie Saoudite a choisi de ne pas confier ses affaires à General Dynamics, le constructeur du Abrams M1A2. Compte tenu de la nouvelle humeur de Riyad, doit-on compter sur un prochain achat d’Eurofighter ou de MiG-33 ? McDonnell Douglas et Lockheed doivent s’inquiéter : leur client le plus « lucratif » cherche-t-il de nouveaux fournisseurs ?

 

Israël, la discrète

 

Dans le passé, de telles ventes d’armes à un État arabe auraient soulevé des objections israéliennes. Au début des années 1980, Israël s’est battu, mais sans réussite, pour empêcher l’administration Reagan de vendre des avions américains Awacs aux Saoudiens, et s’est ensuite plaint à chaque fois que des F-16 s’envolaient pour les pays arabes. Mais les soulèvements ont obligé Israël à revoir ses calculs. La perspective d’un Iran nucléaire l’a conduit à garder le silence sur l’affaire des tanks allemands. Même avant le Printemps arabe, l’Arabie Saoudite apparaissait comme l’interlocuteur le plus probable pour Israël dans de futurs pourparlers de paix. En tant que gardiens des lieux saints de La Mecque et de Médine, et riche d’une énorme richesse à distribuer à titre de dédommagement pour les compromis trouvés, les Saoudiens sont apparus comme un îlot de stabilité même si leur branche fondamentaliste de l’islam a souvent engendré les pires formes de terrorisme.

 

L’Arabie Saoudite, une force stabilisatrice

 

Depuis que les révolutions arabes ont replacé l’Égypte dans le jeu, Israël s’est montré plus concentré sur sa volonté de voir l’Arabie Saoudite rester une force stabilisatrice, capable de contrebalancer à la fois l’influence iranienne et toute forme de dérapage des États arabes dépendant des Saoudiens pour retourner à une situation de confrontation pré-1979. Israël est resté relativement silencieux sur les événements, et sur la politique qui a été appliquée pour les tanks allemands. Des rapports de Berlin suggèrent que le gouvernement aurait reçu l’approbation d’Israël avant même la transaction – tout à fait plausible compte tenu des sensibilités allemandes sur ce point.

 

« Il est dans la nature de certaines affaires qu’on ne doive pas en parler publiquement », a « langue-de-boisé » le ministre israélien de la Défense, Danny Ayalon. « Mais je peux vous assurer que nous accordons une confiance pleine et entière au gouvernement allemand. »

 

Global Post / Adaptation JOL-Press.

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