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L’Inde à la rencontre de Détroit : une Enfield pour conquérir le continent

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Le rendez-vous des passionnés

 

New Delhi, Inde. Par un étouffant après-midi de juillet, les motards font vrombir leurs moteurs sur l’étroite piste autour de l’Ashok Country Resort, un complexe hôtelier à quelques kilomètres de New Delhi. Le bruit sourd emblématique de la moto la plus appréciée en Inde – la monocylindre, Royal Enfield Bullet – se démultiplie jusqu’à devenir un rugissement. Partout dans l’enceinte de l’hôtel, d’autres motards, encore tout couverts de boue de leur excursion, réparent leurs motos, à peine de retour de leur « Odyssée himalayenne ».

 

Une route emblématique

 

L’Odyssée, organisée par la Royal Enfield Motorcycles, part de Delhi pour arriver à un col montagneux appelé Khardug La, situé dans la région du Ladakh, et fait l’exact chemin inverse pour retourner à son point de départ. Des motards originaires des quatre coins de l’Inde prennent part à ce parcours déjà légendaire, bien que le premier départ de l’Odyssée himalayenne n’ait eu lieu qu’en 2003. « C’est vraiment la plus belle expérience de ma vie », raconte Khurum, jeune consultant de 27 ans originaire de Pune, dans l’état de Maharashtra (Ouest de l’Inde), qui vient tout juste de finir son voyage. « J’avais une plus petite moto auparavant bien que j’aie toujours voulu avoir une Enfield… quand on a un engin aussi puissant entre les jambes, c’est un sentiment complètement différent. »

 

Accueil très mitigé

 

La Royal Enfield, née en Grande-Bretagne mais transplantée à Chennai (Inde du Sud), est la plus vieille entreprise à fabriquer des motos au monde. Pourtant, même si le modèle Bullet est sans doute le plus reconnu et le plus prisé en Inde, il n’en reste pas moins que, pendant de nombreuses années, l’entreprise semblait condamnée à exister comme une sorte de curiosité dans la région. Si la moto avait déjà été adoptée par ceux qui vivent à la périphérie des villes, elle n’avait pour autant pas encore séduit les foules.

 

Une concurrence agressive

 

Arrivèrent alors les concurrents étrangers comme Harley-Davidson, Triumph ou encore Ducati, qui, en faisant vrombir leurs engins sur le territoire de la Royal Enfield, menacèrent de laisser l’entreprise mordre la poussière. Mais, alors que les perspectives de la Royal Enfield semblaient considérablement assombries, l’entreprise était en réalité prête à orienter ses efforts vers quelque chose dont elle avait toujours été privée : le succès commercial.

 

Vers le succès

 

« Nous sommes à un point d’inflexion particulièrement intéressant », considère Venki Padmanabhan, le nouveau directeur général de la Royal Enfield, en poste depuis février, dans une interview accordée à GlobalPost. « La Royal Enfield, si on la considère à travers ses 100 ans d’histoire, a toujours été une entreprise ambitieuse. Elle a toujours séduit, elle a toujours été au bord du succès commercial mais sans jamais vraiment surmonter les obstacles qui l’en éloignaient. Pourtant, depuis 2000, Siddharta (Lal), le propriétaire, essaie réellement de venir à bout des anciens démons de la marque. » Il n’y a encore pas si longtemps, la Royal Enfield – qui a déjà fabriqué des fusils pour la Royal Small Arms Factory à Enfield, Middlesex – vendait seulement 25 000 motos environ par an pendant que ses concurrents comme Honda en vendait plusieurs millions.

 

Des objectifs ambitieux

 

Mais cette année, sous la direction de Padmanabhan, qui a été à bonne école dans l’industrie automobile de Détroit, la Royal Enfield compte bien augmenter sa production, de 52 000 motos produites l’an dernier à 70 000 en 2011. Une nouvelle usine capable de produire près de 150 000 unités par an doit voir le jour l’an prochain, et une deuxième usine capable de produire quelque 350 000 motos supplémentaires est prévue pour dans les trois à cinq ans à venir. Sachant que les clients de cette année ont dû patienter huit longs mois avant de recevoir les motos qu’ils avaient commandées, ces usines tombent à point nommé.

 

Une entreprise en constante expansion

 

« Je l’ai écrit sur mon blog : je fabrique 40 % de motos en plus par rapport à l’année dernière », a déclaré Padmanabhan. « Et si le délai de livraison ne change pas, ne vous méprenez pas, nous n’y sommes pas insensibles. Apparemment, nous n’en faisons pas encore assez. » Dans le même temps, l’entreprise a pour ambition d’ajouter, au cours des trois prochaines années, trois ou quatre revendeurs de plus par mois à son réseau qui en compte déjà près de 180, tout en augmentant les ventes à l’international dans des pays comme le Royaume-Uni, la France, l’Italie, l’Espagne ou les États-Unis. La Royal Enfield a vendu seulement 2 500 motos à l’étranger en 2010, mais elle souhaite ajouter, d’ici à l’année prochaine, 11 nouveaux marchés aux 29 pays où la marque dispose déjà d’une petite présence.

 

Des opportunités à saisir

 

Il s’agit là d’une opportunité à ne pas manquer. Le marché indien des deux-roues est déjà énorme : les achats se montent à près de 12 millions de motos et scooters par an. Les experts prévoient une croissance continue à deux chiffres pour les années à venir. Les rivaux étrangers comme Harley et Triumph peuvent constituer une menace sérieuse sur le long terme, mais, pour le moment, Padmanabhan considère leur arrivée comme une occasion de stimuler la demande de motos plus grosses et plus élégantes et, dans le même temps, faire que conduire une moto devienne une véritable passion, voire un choix de vie, plutôt qu’un simple moyen pour se rendre d’un point à un autre. « La présence de tous ces motards signifie simplement que faire de la moto peut être un loisir et ce phénomène est en train de prendre une nouvelle ampleur parmi les hommes jeunes », analyse Padmanabhan.

 

La réussite en famille

 

Mais la Bullet a-t-elle les cylindres plus gros que le réservoir ? Padmanabhan a conscience que ces objectifs ambitieux peuvent frapper par leur soudaineté, mais la Royal Enfield a déjà commencé à tout mettre en œuvre pour les réaliser pendant près de dix ans. Tout a commencé quand Siddartha Lal – descendant de la famille propriétaire du group Eicher Motors qui détient Enfield –, alors âgé de 37 ans, a pris les rênes de la société en 2000. Enfield perdait de l’argent depuis un moment et le père de Lal, Vikram, tenait à fermer l’entreprise. Mais Siddartha, un amoureux passionné de la Bullet, a convaincu Vikram de lui octroyer deux ans pour remettre l’entreprise sur pied. Il s’est alors embarqué dans une véritable croisade destinée à réinventer le moteur qui avait rendu Enfield si célèbre.

 

Miser sur les valeurs sûres

 

Pendant des décennies, la Bullet 350 cc et la Bullet 550 cc ont été les seules « grosses motos » disponibles sur le catalogue de la Royal Enfield. Son design anglais classique est resté inchangé depuis 50 ans. Ses fans lui ont dédié un véritable culte du même ordre que celui voué aux modèles japonais plus rapides, plus fiables et moins chers qui ont pris d’assaut le marché indien. Mais cette facture classique constituait à la fois la plus grande force d’Enfield et sa plus grande faiblesse : s’il était presque certain que la Bullet deviendrait emblématique, comme le 501 de Levi’s ou le modèle Sportster de Harley-Davidson, elle générait des ventes insuffisantes en termes de volumes pour garantir un véritable succès commercial.

 

Savoir se réinventer

 

Le moteur cinquantenaire a aussi connu des difficultés techniques selon Padmanabhan : « Le fait est qu’il n’était pas fiable. Il se grippait, il fuyait ». En 2007, cependant, la Royal Enfield a dévoilé un nouveau modèle avec une boîte de vitesse intégrée et à injection de carburant. À la consternation des fans les plus absolus, la société a également déplacé les engrenages et les freins – qui avaient toujours été « à l’envers » – de telle sorte que la pédale de vitesse se trouvât, de manière conventionnelle, sur le côté gauche de la moto.

 

Bruits sourds et bruits vrombissants

 

Les designers ont travaillé de longues heures pour s’assurer que le nouveau moteur ait l’air vieux, de sorte qu’au moment du lancement de la Bullet Classic 500 en 2009, elle séduise autant les fidèles que les nouveaux convertis. Mais un obstacle crucial subsistait : un nouveau moteur peut certes paraître vieux, mais en aucun cas il ne peut « sonner » vieux. L’aluminium n’aura jamais le bruit sourd de la fonte. Un coup d’œil rapide sur Internet montre que les avis sont mitigés : certains ont considéré que le bruit assourdissant du nouveau moteur était un « blasphème » à l’égard de l’ancien, et même « un suicide » pour la marque. D’autres ont approuvé les traits plus modernes du nouveau moteur.

 

« Made like a gun… goes like a bullet »

 

Et les chiffres de vente pour la Classic – une Bullet rétro dotée du nouveau moteur et l’injection électronique de carburant – suggèrent que même si Enfield a perdu quelques-uns de ses irréductibles fans,’. Peut-être est-il temps pour Royal Enfield d’être à la hauteur de l’arrogance de son ancien slogan : « Made like a gun… goes like a bullet » (« Fait comme une arme… file comme une balle »).

 

Global Post / Adaptation JOL-Press.

 

 

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