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To be or not to be…

Quelle est cette apparition ? Ce spectre ? C’est bien le Steve Jobs proche de sa fin, long, émacié, le crâne dégarni, qui vient de faire ses adieux au business et à sa compagnie, Apple, dont il a fait peut-être la plus belle entreprise du monde, à défaut d’être la plus riche (mais elle est très certainement la moins endettée). Steve Jobs est sur le point de mourir, très certainement, dans quelques semaines, quelques mois, on n’ose pas espérer plus d’une année, il le sait, il nous l’a dit, par des mots simples, et tous les journaux ont relayé cet adieu. Mais le choix iconographique du Vancouver Sun dit la mort prochaine avec une force spectaculaire. Presque indécente.

 

L’homme qui a arraché l’informatique aux dieux

 

La maladie a épuisé le corps de ce grand jeune homme naguère aux cheveux noirs et longs qui a voulu arracher l’informatique aux ingénieurs et aux scientifiques pour l’offrir à chacun d’entre nous. Sans lui, sans Steve Wozniak, son premier associé et génie technicien, vous ne verriez pas cette une du quotidien canadien chez vous ou sur votre tablette en cliquant de la souris ou en tapotant sur un écran tactile. Car c’est bien ce démiurge du binaire qui, le premier, est allé extraire des labos les principes d’une informatique intuitive, directe, conviviale. C’est lui qui a compris que le prototype improbable de souris inventé par les chercheurs serait demain le prolongement de la main face à l’écran. Avant Jobs, il fallait entrer des codes impossibles pour déplacer le curseur à l’écran ou de simples flèches ligne à ligne…

 

Intransigeant avec ses partenaires

 

C’est lui encore, en 2007, qui réinventa le téléphone, et lui encore qui réinventa le walkman. C’est lui qui mit un terme au règne de la disquette 3,5’, et lui qui aura condamné sous peu les DVD à usage informatique. Il n’a pas « inventé » au sens scientifique du terme, il a compris ce que voulait l’utilisateur et a poussé la satisfaction du consommateur à des frontières qu’aucune firme de cette taille n’est en mesure d’égaler. Essayez d’appeler un Apple Store, par exemple, et vous comprendrez ce que signifie cet hommage : non seulement vous n’êtes pas « taxé » pour commander ou poser une question, non seulement vous n’attendez pas des heures coûteuses jusqu’à ce qu’un robot vous dise que tous les conseillers sont occupés, mais au surplus vous avez au bout du fil une voix de vrai humain qui vous écoute et réfléchit avec vous, sans suivre un protocole écrit ! C’est l’esprit Jobs qui transparaît ! Ce qui n’est pas incompatible avec une rigueur de fer avec les fournisseurs et les distributeurs de la firme : dans le business informatique, on hait Apple autant qu’on l’admire.

 

Derrière le fantôme

 

Alors, qu’a-t-elle de particulier, cette une du quotidien ? Parmi toutes les photos, des centaines de milliers, qui existent depuis que Steve Jobs, malade, est revenu par éclipses diriger Apple à Cupertino, elle est l’une des rares qui montrent la maigreur inexorable du malade, qui dessine son crâne encore habité par la vie, et quelle vie. Mais au-delà du choc, c’est aussi l’une des images qui montrent le feu dans le regard, cette bouche qui parle encore pour exprimer la passion, ce geste de deux mains décharnées qui portent un appareil invisible, le fantôme d’une machine de rêve qui sera bientôt un best-seller dans les boutiques. Au-delà de la réalité crue, cette « icône », comme titre le journal avec subtilité puisque c’est l’icône qui fit le Macintosh en 1984, a beau abdiquer son « pouvoir », il a fait en sorte que l’entreprise lui survivra… peut-être. Personne n’est irremplaçable ? Hmmm. Pas si sûr. Dans le cas de Steve Jobs, dont on voudrait bien que les gazettes nous annoncent la disparition le plus tard possible, il n’est pas dit que les « héritiers » sauront imiter le maître.

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