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À la recherche du bonheur

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New York. Le Bhoutan prend le bonheur au sérieux.


Comme si ce n’était pas assez pour ce pays montagneux de posséder les rivières les plus belles et les plus propres au monde, le droit au bonheur est prescrit par décret royal dans la constitution nationale…


Plutôt que l’habituel produit national brut (PNB), le Bhoutan – un pays de moins de 800 000 habitants blotti entre la Chine et l’Inde – préfère son propre BNP : Bonheur national brut.


Que signifie ce bonheur ? Cette question prête de plus en plus à confusion.


Une démocratie émergente


Le Bhoutan, qui émerge de plusieurs siècles d’isolation, enfoui dans les profondeurs de l’Himalaya, accumule paradoxes et dichotomies. Farouchement attaché à des traditions vieilles de plusieurs siècles, il aspire aussi au développement. Parfois, la conservation de la culture prend le dessus sur le profit. D’autres fois, c’est l’inverse.


Le plus important, disent les autorités, c’est la démocratie, instaurée au Bhoutan en mars 2008. Les habitants ne comprennent pas toujours pourquoi. « La démocratie est venue non par la volonté du peuple, mais par celle du roi », explique le « premier Premier ministre » démocratiquement élu du Bhoutan, Jigme Thinley, à New York pour le sommet des Nations unies. « La communauté internationale tout entière dit “la démocratie au Bhoutan a été un succès”. Et je réponds : nous ne sommes pas encore une démocratie. Nous sommes une démocratie émergente. Le plus grand défi auquel nous devons faire face est la promotion de, ou le développement de, la culture démocratique », a-t-il dit.


Des dépenses publiques pour promouvoir la démocratie


Le pays a tenu ses premières élection locales en juin 2011 seulement. Mais le gouvernement central du Bhoutan semble solide, et poursuit un modèle classique de formation étatique dans des communautés qui ignorent toujours ce qu’est un État.


Pour que la démocratie prenne son essor, poursuit Thinley, il faut que la population s’imprègne des bénéfices possibles d’un État centralisé et fort. Selon son raisonnement, si le gouvernement fournit une aide concrète au peuple, alors les communautés adhéreront à la démocratie.


Les récents budgets du Bhoutan attribuent plus de 20 % de leurs allocations à l’éducation et à la santé. Des centres de soin sont apparus partout dans le pays, même dans les régions les plus difficiles d’accès, et la mortalité infantile a chuté de 10 % en 2005 à 5 % aujourd’hui. Un réseau de routes et d’électricité a rapproché les régions de l’arrière-pays, avec son flux stable de jeunes gens vers les villes pour s’éduquer. « Modernisation » – la population n’a que ce mot à la bouche !


Mais pour cette même raison précisément, des murmures inquiets traversent le Bhoutan. Nombreux sont ceux qui se demandent ce qui est le plus important : la culture ou le développement ?


Un équilibre difficile


« C’est un équilibre difficile, et ça va continuer à être un équilibre difficile », explique Druk Zom, 40 ans, qui a quitté sa région rurale du Bhoutan il y a 10 ans pour s’installer aux États-Unis. « Surtout pour les adolescents et ceux de la génération suivante, parce qu’eux, ils se sentent si branchés quand ils s’habillent comme des étrangers. »


Ce genre d’inquiétude est en contraste avec d’autres nations d’Asie, critiquées pour avoir laissé le développement matérialiste à la mode dépasser l’éducation. Le Cambodge, par exemple, continue de construire des gratte-ciel à Phnom Penh alors que les écoles rurales, coupées du monde, peinent à survivre.


« Pour poursuivre le bonheur, il est essentiel d’équilibrer nos besoins matériels et nos besoins mentaux, pense Thinley. Tandis qu’ils s’enrichissent matériellement, certains pays s’appauvrissent spirituellement, donc le développement se fait souvent aux dépens d’un appauvrissement spirituel. »


Mais force est de constater : la question du bonheur rend fastidieuse toute prise de décision. Surtout pour un pays comme le Bhoutan.


Peu d’investissements étrangers


Surgissent des lois complexes, sans fin, régulant l’investissement étranger. Le gouvernement bhoutanais interdit l’exploitation forestière étrangère, le tabac, les hôtels de moins de trois étoiles, et tout ce qui pourrait nuire à l’environnement ou estomper la culture bhoutanaise.


Dans l’index de la liberté d’investissement de la Fondation Heritage, le score du Bhoutan est seulement de 20 points sur 100 – soit 30 en dessous de la moyenne mondiale. Et l’année dernière, son score était de 15.


Seule une poignée d’investisseurs étrangers ont réussi à se faufiler dans ce royaume isolé. La première expérience est celle des… noisettes. Eh oui, d’ici à six ans, le Bhoutan exportera en masse un ingrédient essentiel du chocolat, du Nutella, et des Ferrero Rocher.


« Notre équipe ressent la profonde responsabilité de faire de ce partenariat un succès », a écrit Daniel Spitzer, PDG de Mountain Hazelnut Venture, dans un e-mail. « Le Bhoutan vit actuellement un changement, il passe d’une société traditionnelle à une économie de marché, avec des caractéristiques bhoutanaises. »


Le dilemme


Mais en dehors des noisettes, « peu d’investisseurs étrangers se manifestent constate Bruce Bunting, président de la Fondation Bhoutan à Washington. Le Bhoutan est une niche de marché, c’est unique. ». Il ajoute qu’il ne blâme pas la politique financière ultrasélective du pays. « Les investisseurs étrangers ne comprennent pas. Ils sont à côté de la plaque au Bhoutan. »


Le Bhoutan apparait partagé entre deux engagements distincts : la démocratie et la préservation de la culture. À en croire Thinley, pour qui la démocratie dépend d’une distribution d’aide sociale massive, le gouvernement aura besoin de plus d’argent dans les années qui viennent.


Mais il ne pourra peut-être plus compter sur ses rivières, qui représentent presque la moitié des 650 millions de dollars de revenu du pays, au moyen des ventes d’énergie hydraulique à l’Inde. L’emprise du changement climatique se ressert autour de l’Asie du Sud, et les cours d’eau du Bhoutan devraient vraisemblablement continuer à décliner.


« C’est une vraie inquiétude, pour Thinley. Un vrai souci. Nos rivières disparaissent rapidement. Le Bhoutan pourrait très vite perdre la façon dont la nature crée le flux de l’eau. »


Le pays devra alors faire face à un dilemme difficile : se lancer dans un tourisme effréné, comme la Thaïlande, ou coopérer avec des investissements étrangers incompatibles avec la culture locale. Ou alors le Bhoutan pourrait refuser de faire affaire avec les étrangers, perdre de l’argent, et compromettre sa « démocratie émergente ».


Global Post/Adaptation JF – JOL Press

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