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Autour de Fukushima, la vie reprend

Minamisoma, Japon. Six mois après avoir été frappée par un tremblement de terre, un tsunami, et une explosion nucléaire à Fukushima, Minamisoma n’a rien d’une ville fantôme.


Lorsque nous l’avons visitée au début du mois d’avril, la cité était presque déserte, sa population initiale avait chuté, de 71 000 habitants à 10 000 : des cars entiers de citoyens ont fui la ville après la catastrophe survenue à la centrale nucléaire de Fukushima, à 25 kilomètres au nord-ouest.


Depuis, la population a augmenté, mais Minamisoma demeure une ville qui peine à accepter sa place au centre du pire accident nucléaire de l’histoire du pays. Dans certains quartiers, les niveaux de radiation sont suffisamment élevés pour que les autorités aient conseillé aux habitants de se préparer à quitter l’endroit si la situation à la centrale était amenée à empirer.


30 000 habitants « exilés »


Sceptiques vis-à-vis du discours officiel qui se veut rassurant, 30 000 habitants refusent de revenir.


« Les cliniques pédiatriques ne peuvent plus fonctionner faute d’enfants malades », explique Kyohei Takahashi, un gynécologue reconverti en médecin généraliste après l’accident.


« En tout, le nombre de médecins a baissé de 20 %, et beaucoup d’infirmiers et autres professionnels de la santé ont quitté la ville avec leurs enfants. Le système de soins ici est dans une situation difficile ; mais nous faisons de notre mieux. »


Avec l’aide d’un architecte, il visite les maisons de mères et de jeunes enfants, nettoie les endroits contaminés, et donne des conseils à la communauté pour mieux se protéger.


Takahashi a 72 ans. Il faisait partie de ceux qui ont fui immédiatement après le début de la crise nucléaire avant de revenir quelques jours plus tard pour aider les services de soin débordés par la situation.


Pour les habitants qui, comme Takahashi, ont choisi de revenir, la vie continue dans l’anxiété et l’incertitude.


Une population anxieuse


« De nombreuses personnes dans la région ont été forcées de fuir, et certaines sont restées dans des centres d’évacuation durant six mois », constate Tomoyoshi Oikawa, directeur adjoint de l’hôpital municipal général de Minamisoma.


« Dans ces conditions, leur santé s’est détériorée. Certains étaient déjà atteints de maladies chroniques – hypertension, diabète, ou maladies du foie – et les symptômes ont empiré à cause des circonstances. En plus des maladies physiques, de plus en plus de personnes développent des névroses mentales : ils et elles ont peur de la contamination. »


Cette incertitude naît en grande partie d’une connaissance pointue des effets à long terme d’un contact, fût-ce d’une faible quantité de radiation, c’est-à-dire entre un millisievert (mSv) par an – la limite nationale définie par le gouvernement – et 20 mSv par an, la quantité maximale provisoirement applicable dans la préfecture de Fukushima.


Des autorités rassurantes


Les pouvoirs publics multiplient les mesures pour rassurer les habitants. Quatre mois après la catastrophe, l’hôpital d’Oikawa a commencé à scanner les habitants pour les rassurer. Pour l’instant, sur les 2 000 personnes passées par le test, aucun degré alarmant de radiation n’a été dépisté.


« Nous examinons la glande thyroïde, et nous cherchons toute trace de césium dans le corps. Chez les adultes, nous prêtons particulièrement attention aux cancers de la vessie et du cerveau, etc. Ces maladies pourraient devenir un vrai fléau à l’avenir. Il faut être prêt. Nous devons aussi rester très vigilants pour détecter les possibles carcinogenèses de la thyroïde chez les enfants en particulier, ainsi que les cancers du poumon et les leucémies. »


Des écoliers déplacés


Plus d’une dizaine d’écoles dans les quartiers les plus affectés de la ville ressemblent à des chantiers de construction où des équipes recrutées par le conseil municipal déblayent la couche de terre contaminée des champs où jouaient les enfants, l’emballent, et la recouvrent de terre propre. En attendant, les enfants doivent aller suivre des cours dans d’autres régions, avant de revenir en bus pour être récupérés par leurs proches.


« Mon petit-fils n’a que 6 ans, alors nous nous sommes dit qu’il serait mieux d’évacuer à cause la radiation », convient Keiko Sato, venue à l’école primaire Haramachi pour récupérer Yuta, son petit-fils.


« Les personnes de ma génération sont assez vieilles pour que les risques ne soient pas très importants, mais les enfants ici ont de nombreuses années devant eux, et nous ne voulons pas leur faire courir de risque. Notre Yuta doit porter un t-shirt à manches longues, un pantalon, un masque et un chapeau. Sinon, on ne le laissera pas monter dans le bus.


Avec ces mesures de décontamination en cours, le gouvernement central se prépare à rayer Minamisoma et d’autres villes de la liste d’évacuation à la fin du mois, ce qui signifie que les enfants comme Yuta pourraient retrouver les bancs de leurs anciennes écoles dès octobre.


Taux de radiation encore trop élevé ?


Cependant, les mesures prises par les autorités ne font pas l’unanimité parmi tous les membres de la communauté.


Greenpeace et d’autres groupes locaux plus petits estiment que les habitants, dans les zones à risque comme Minamisoma et les autres villes à la frontière de la zone d’exclusion de 20 km autour de Fukushima Daiichi, devraient immédiatement se voir offrir une aide gouvernementale pour évacuer. « Les habitants de la préfecture de Fukushima servent de cobayes », pense Seichi Nakate, chef du Réseau pour sauver les enfants de la radiation à Fukushima. « Un seuil de tolérance particulièrement élevé [de 20 mSv, ndlr] a été délibérément déterminé pour prouver qu’il n’a pas pu y avoir d’effets nocifs dus à la radiation. Je rejette l’idée que la population de Fukushima devrait être rassurée, qu’on leur dise qu’il n’y a pas de risque à être exposé à 20 millisieverts par an, alors que la moyenne dans le reste du pays est de 1 millisievert. »


Une communauté mobilisée


Exaspérés par une réaction jugée trop lente des autorités aux inquiétudes face à la santé publique, les habitants de Minamisoma ont décidé de mesurer eux-mêmes les taux de radiation dans des dizaines de lieux et de les décontaminer.


« D’abord, nous mesurons les niveaux de radiation – dans une centaine d’endroits – et comme ça nous pouvons identifier les points à contamination élevée –, puis nous les décontaminons », résume Tsunetoshi Komatsu, un membre de l’association de résidents d’Haramachi. « Une fois l’endroit appropri, nous aimerions que tout le monde achète de l’équipement de décontamination et garde les entourages de leurs maisons propres. Dans l’idéal, nous aimerions que l’équipement soit public, pour que les gens viennent s’en servir quand ils en ont besoin. Comme ça, nous pourrions réduire un endroit qui s’annonce à 2 microsieverts/heure à, disons, 0,1 microsievert/an. »


Gagner une confiance nouvelle


Takahashi espère que les preuves d’efficacité des programmes de décontamination locale aideront à persuader les familles inquiètes de revenir, pour faire sortir la ville de ses limbes nucléaires.


Il ne se reposera pas, dit-il, jusqu’à ce que les niveaux de radiation partout à Minamisoma soient suffisamment bas pour que des enfants puissent naître et grandir sans encourir le moindre risque.


« Nous avons beaucoup appris depuis le début de la catastrophe. Nous avons examiné des dizaines d’endroits, et revérifié à chaque fois. Tant que nous continuerons nos efforts de décontamination, nous pouvons gagner en confiance : dans cette ville, des enfants vivront à nouveau en sécurité. »


 


Global Post/Adaptation JF – JOL Press

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