Site icon La Revue Internationale

Bouthaina Kamel, candidate courageuse à la présidence

capture_decran_2011-09-19_a_14.14.33.pngcapture_decran_2011-09-19_a_14.14.33.png

Le Caire, Égypte. « De par sa nature émotionnelle, une femme ne peut pas être présidente. Lorsqu’elles voient quelqu’un pleurer, par exemple, les femmes sont toujours affectées. »


Ainsi s’exprime Mohamed Hassan, porte-parole du Parti islamiste pour le développement et la construction.


Ce point de vue n’a rien d’isolé : Les Frères Musulmans, dont le Parti pour la liberté et la justice est mieux placé qu’aucun autre pour remporter le plus grand nombre de sièges aux prochaines élections parlementaires, « flirtent » avec l’idée d’interdire les femmes d’accéder au plus haut poste.


L’Égypte habituée au changement, mais…


Mais sans doute sous-estiment-ils Bouthaina Kamel, qui luttera contre cette opinion répandue pour devenir la première femme présidente d’Égypte. « Ils peuvent dire ce qu’ils veulent. C’est un pays démocratique maintenant », a-t-elle dit dans une interview donnée au siège de sa campagne, au centre du Caire.


Kamel, une ancienne journaliste de télévision et de radio, longtemps opposante au régime Moubarak, n’a pas d’autre choix que de rester stoïque. Les spécialistes ne lui donnent qu’une très petite chance de gagner l’élection présidentielle prévue pour l’année prochaine. Selon Bouthaina Kamel, les médias ne la prennent pas au sérieux.


Mais il n’y a aucune raison pour Kamel de se décourager : sa candidature à elle seule signifie un grand changement en Égypte. Les nouveaux partis et candidats fleurissent dans l’environnement politiquement fertile de l’après-révolution. Et parmi les graines semées, germe l’idée qu’une femme pourra un jour être élue dans le pays le plus peuplé du monde arabe.


Compétence avérée


La révolution qui a renversé le régime Moubarak en février a prouvé que tout est possible en Égypte, selon elle. Il y a un an, bien peu d’Égyptiens auraient pu imaginer voir leur président devant un tribunal, dénoncé par son propre entourage.


« Les Égyptiens ont déjà surmonté leur peur, remarque l’Égyptienne. Personne n’avait imaginé qu’il y aurait une révolution ici. Mais nous l’avons fait. Vous demandez si l’Égypte est prête à voter pour une femme ? Il s’agit de faire en sorte qu’elle soit prête. Une fois que l’idée d’une femme candidate à la présidentielle éclatera à la lumière du jour, personne n’arrivera à l’enterrer. »


Kamel, qui s’est récemment remariée – elle est divorcée de son premier mari, avec qui elle a eu une fille – aligne les compétences réelles d’une militante pour la démocratie. En 2005, elle a préféré démissionner de son poste de présentatrice du journal télévisé sur une chaîne publique, plutôt que de continuer à lire ce qu’elle considérait comme de la propagande du gouvernement.


Elle a également aidé à fonder un groupe de surveillance des élections, appelé Nous vous observons, pour un sondage en 2005. Elle a été une des premières à soutenir le mouvement Kefaya (« Assez »), une coalition de militants anti-Moubarak.


Journaliste « rebelle »


Elle a été licenciée par au début de cette année par la chaîne saoudienne pour qui elle travaillait. Cause : un reportage sur les milliards de dollars que Moubarak aurait volés à son peuple. Kamel maintient que les directeurs de la chaîne craignaient qu’elle ne révèle le rôle de l’Arabie Saoudite dans la dissimulation de l’argent.


Moubarak, Kamel s’en prend au Conseil suprême des forces armées qui dirige l’Égypte en attendant les élections. Elle est devenue une figure de proue dans le combat contre les procès militaires pour des civils, et a accusé le Conseil militaire d’avoir attisé la violence sectaire entre les musulmans et les Coptes qui ont fait des douzaines de morts.


La campagne de Bothaina Kamel n’est pas dirigée vers les femmes en particulier. Elle n’est pas une féministe, insiste-t-elle, et ne veut que personne vote pour elle parce qu’elle est une femme. Sa campagne vise plutôt à promouvoir la cause des Égyptiens pauvres et des minorités du pays, dont les agriculteurs de subsistance, les chrétiens coptes, les Bédouins, les handicapés (dans son équipe de campagne, elle a pris soin d’employer des handicapés, dont un directeur presque aveugle).


Une campagne dangereuse


Piégée entre l’hostilité d’un gouvernement intérimaire militaire et l’incrédulité des médias, dédaigneux, Kamel, qui se décrit comme une sociale-démocrate, dit qu’elle mène une campagne proche du peuple, qu’elle traverse tout le pays pour parler directement aux citoyens.


Mais cette stratégie comporte des risques. Sécuritaires, d’abord : à un récent meeting, elle a été attaquée par un homme brandissant un sabre ! Elle s’en est sortie avec une égratignure au poignet. Son chauffeur a été gravement blessé à la tête en la protégeant, alors que des policiers et des soldats sont restés les bras ballants, à côté.


« Il est plus sûr pour moi de me rendre à des petits meetings et d’’aller voir les gens chez eux, surtout avec tous ces voyous, les restes du Parti national démocrate [auparavant au pouvoir, ndlr], et compte tenu de l’hostilité du Conseil des forces armées à mon encontre. »


Embuches


Gagner un vote à la fois ? La chose n’est pas simple. Bien qu’elle ait été une présentatrice connue, Kamel peine à se faire entendre parmi les autres candidats, comme l’ex-chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique, Mohamed El Baradei, ou l’ancien ministre des Affaires étrangères et secrétaire général de la Ligue Arabe, le général Amr Moussa.


Elle a contre elle en outre l’attitude désinvolte de ses pairs, tel Mounir Saad, candidat copte à la vice-présidence, qui disait récemment au quotidien Al Masry A Youm que la course de Kamel à la présidence était « irréaliste ». « Je n’ai inclus sa photo dans mon matériel promotionnel, avec les autres candidats, que par politesse », enfonce-t-il…


Mais Kamel reste impassible, et ces remarques ne la troublent pas. Le chemin vers la démocratie en Égypte est « long et difficile », dit-elle. À l’appui de son optimiste, elle a cité un e-mail envoyé par une jeune fille : « Vous nous avez déjà ouvert le chemin. Vous nous avez permis de rêver et d’avoir nos propres ambitions. »


 


Global Post/Adaptation J. Fereday – JOL Press

Quitter la version mobile