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Choc post-traumatique : le yoga, une clé de résilience

Boston. Voilà trois mois que l’armée américaine s’était déployée en Arabie Saoudite. Les troupes étaient encore en pleine reconnaissance des sites. Soudain, un scud frappe un contingent. Parmi les soldats touchés, une jeune femme de 20 ans, le major Sue Lynch. « Je suis tombée, je ne sentais plus mon corps », dira plus tard Lynch. Désormais, sa vie bascule. C’est Apocalypse now.

 

Ce jour-là…

Les consignes sont claires : en cas d’attaque par scud, enfiler une combinaison de protection contre les produits chimiques. L’ordre est parfait. Encore faut-il savoir qu’un scud va tomber. Lynch, sans combinaison, reste paralysée. Courageusement, l’un de ses camarades l’emporte, la met à l’abri. Mais pas à l’abri du choc post-traumatique (SSPT) qu’elle va vivre. Sue Lynch ne s’en remettra peut-être jamais.

 

Donner le change, en vain

« Vous commencez à le prendre au second degré, vous essayez d’en rire, je racontais que j’étais incapable de bouger, mais que les toits des maisons qui flambaient autour de moi ressemblaient à des feux d’artifice de la nuit de l’Indépendance, grimace la soldate. Mais quand vous rentrez chez vous, vous ne trouvez plus ça si drôle. »

Le stress post-traumatique du major Lynch ne cède pas. Dix ans après, le choc la hante toujours. Ce n’est pas faute d’avoir cherché une psychothérapie et d’autres formes de traitements. En vain. La nuit, l’insomnie ne cède que pour des sommes emplis de flashbacks.
Et puis enfin, Sue découvre le yoga. C’est sur un tatami qu’elle commence à surmonter ses symptômes.

« J’ai ressenti qu’une connexion s’établissait, grâce au souffle et aux mouvements que je pratiquais. J’ai été capable de gérer les symptômes. »

 

« Yes, Sir ! »

Aujourd’hui, Lynch a fondé un programme de réinsertion par le yoga pour les anciens combattants souffrant du SSPT et de traumatismes cérébraux (TCC), qu’elle dirige elle-même, There and Back Again (littéralement « Aller-Retour »), à Charlestown, dans le Massachusetts. « Ce sont les anciens combattants qui ont le pouvoir de prendre en charge leur réinsertion… En tant que soldats, on a toujours décidé pour nous et nous avons appris à respecter l’autorité de nos supérieurs : quoi qu’un supérieur nous dise, il a raison et il faut l’écouter, explique Sue Lynch. Mais c’est fini. À l’aide d’approches alternatives, vous savez vous-même quoi faire, car vous le savez mieux que quiconque ! »

Bon nombre d’anciens combattants, élèves de la jeune « yogi », ont connu les enfers des opérations Enduring Freedom et d Iraqi Freedom. Alors bien sûr, les cours de yoga du major Lynch sont en immense majorité suivis par des hommes, au premier chef des Marines ou des 11-B, des fantassins.

 

Mission : bien-être

Aujourd’hui avocate de la défense au sein du 3e LSO (Organisation de soutien juridique), Sue Lynch, enrôlée dès l’âge de 14 ans, a conscience que son expérience exceptionnelle de soldat crée avec les anciens combattants qu’elle secourt un lien unique.

Le yoga, dit-elle, « me donne la chance d’exister ». Elle insuffle à ses camarades le sentiment juste que ce qu’ils vivent au combat est un « phénomène normal ». Mais que de retour chez eux, ils ont besoin de se recentrer sur une autre mission : celle de leur bien-être.

 

300 000 dépressions majeures, et combien qui n’avouent rien…

« Savoir s’adapter au sein d’un groupe, c’est se donner les moyens, après la guerre, de “jouir de la vie”, explique l’animatrice d’Aller-Retour. Sa thérapie de groupe montre en tout cas un effet positif immense : les soldats traumatisés parviennent à se passer de tout recours excessif aux médicaments.

Depuis 2001, plus de 2 millions de soldats américains ont combattu en Irak et en Afghanistan. Près d’un tiers d’entre eux ont été formellement diagnostiqués victimes du stress post-traumatique, et 300 000 souffrent de dépression majeure, selon une étude de la Rand Corporation.
Ce que ces chiffres ne montrent pas, c’est qu’un nombre très élevé de vétérans ne déclarent pas leurs symptômes. Pour Lynch, un tel silence s’explique : les soldats se sentent obligés « d’être forts », « de tenir le coup ». Elle-même a connu cette crainte de l’aveu : « Je ne voulais pas prendre au sérieux mes craintes car je savais qu’elles auraient un impact sur la progression de ma carrière dans l’armée. »

 

Aucune thérapie « universelle », et pourtant…

La jeune « vétéran » n’a donc jamais fait état de son SSPT. Ça ne l’a pas empêchée d’adhérer activement au Yellow Ribbon Program, littéralement le « Programme du ruban jaune », une action mise en place par le département de la Défense américain pour aider les soldats de réserve et les victimes de chocs au cours des engagements sur le terrain, tout autant que les soldats avant leur déploiement. Dans ce cadre, Sue Lynch se consacre à la transition à la vie civile.
Dans son livre « Sur les théâtres des combats : comprendre le stress post-traumatique chez les vétérans de l’Irak et de l’Afghanistan[1] », la doctoresse Erin Finley a interviewé des dizaines de soldats de retour du Moyen-Orient, qu’ils soient ou non atteints de SSPT. « Aucune généralisation n’est possible, écrit-elle. L’expérience de chacun est unique, certains vivent leur retour très mal, d’autres vont surmonter l’épreuve très facilement. » D’où la difficulté de mettre sur pied une thérapie universelle de réinsertion. « Survient en effet une période de réajustement, il faut du temps pour se sentir complètement à l’aise chez soi, prêt à reprendre une vie “normale”, qui paraît, justement, très éloignée de la normalité »

 

Le credo de Sue Lynch

Pour Lynch, c’est dans la reconquête de cette « normalité » que se trouve la clé. Ce que vivent les soldats est « complètement normal ». Il leur faut en finir avec ce syndrome qui leur donne l’impression d’être un « monstre » ou un « fou ». « Je suis normal. » ! Son credo : « Il est inutile d’essayer de s’en sortir seul… La thérapie apportera la paix à votre âme. »

 

GlobalPost/Adaptation JOLPress


[1] Fields of Combat: Understanding PTSD Among Veterans of Iraq and Afghanistan, Erin P. Filney, ILR Press, 2011. Ouvrage non traduit en français.

 

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