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Des divorces qui tournent au cauchemar

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Tokyo, Japon. Au vu du taux élevé de divorces propre au monde moderne, il n’y avait rien d’extraordinaire dans la décision prise par Shahidul Huq et sa femme de refaire chacun leur vie après trois années de mariage. Ils ne sont pas les seuls, non plus, à devoir considérer le bien-être de leur petite fille qui, dans les cas habituels de divorce, pouvait s’attendre à rester en contact avec les deux parents.

Mais en tant que mari d’une femme japonaise avec laquelle les relations ont tourné à l’aigre, le Bengali de 41 ans n’a pu voir sa fille pendant plusieurs années. Et il n’est pas le seul.

M. Huq fait partie des milliers de conjoints étrangers « abandonnés », qui ont été privés de leurs enfants après avoir divorcé ou s’être séparés de leurs épouses japonaises.

 

Des enfants enlevés dans leur pays de résidence

Le combat de ces parents étrangers a été compliqué par le refus du Japon de signer la Convention de La Haye sur les enfants enlevés.

Le traité, qui date de 1980, signé par 85 pays, stipule que les enfants âgés de moins de quinze ans issus de mariages internationaux devront vivre dans leur pays de résidence habituelle.

Au Japon, les tribunaux accordent toujours la garde à un seul parent – d’habitude, la mère – et les arrangements en vue d’une garde commune sont rares, et presque toujours contournés.

Dans les cas où le couple vit à l’étranger, il arrive souvent que le parent japonais retourne dans son pays d’origine avec l’enfant. Et le conjoint, lui, ne peut rien y faire.

Divorcé, Huq a perdu son visa conjugal. Il devra quitter le Japon si l’appel qu’il a lancé aux autorités japonaises de l’immigration est rejeté. « à maintes reprises, j’ai demandé aux autorités la permission de voir ma fille, mais ils me l’ont refusée, explique-t-il. Je suis inquiet à propos de ce qui va arriver à ma fille. Elle a le droit de voir son père. Dans quel genre pays vous dit-on que vous devez rentrer chez vous ou aller en prison ? »

Désormais, à la suite d’une pression exercée par les États-Unis, la Grande-Bretagne, ainsi que d’autres pays, le Japon a indiqué qu’il est préparé à signer le traité.

 

Tension entre Tokyo et Washington

Certains parents ont eu recours à des mesures extrêmes pour voir leurs enfants. En septembre 2009, Christopher Savoie a été arrêté pour avoir enlevé sa fille et son fils alors qu’ils rentraient de l’école. Il voulait les emmener au consulat général des États-Unis à Fukuoka, au sud-ouest du Japon.

Il n’y pas eu de condamnation criminelle, mais le cas Savoie a mis en lumière le statut intouchable du Japon, et créé une tension entre Tokyo et Washington.

Le Japon, seule nation du G7 n’ayant pas ratifié le traité de La Haye, doit encore dépasser l’opposition des politiciens, avocats, et associations de parents qui estiment que le traité pourrait empêcher une mère japonaise de se protéger d’un conjoint étranger abusif. Mais une ratification de la convention impliquerait également un bouleversement fondamental du code civil japonais qui ne reconnaît pas le principe de la garde partagée, même pour les couples japonais.

 

La législation japonaise, une échappatoire ?

Les gouvernements étrangers ont averti Tokyo : il n’est pas question de chercher dans la législation japonaise des échappatoires qui rendraient la Convention de La Haye inapplicable aux cas impliquant des ressortissants du Japon…

Les premiers signes ne sont pas encourageants. Le traité protège déjà les parents ou enfants qui risquent d’être abusés physiquement ou moralement par un des conjoints. Mais les autorités japonaises ont clairement fait savoir qu’elles pourraient empêcher un enfant de retourner à l’étranger si la mère ne peut l’accompagner – pour des raisons financières ou d’autres.

Les États-Unis ont fortement fait pression sur le Japon pour qu’il respecte le traité à la lettre, mais qu’il en honore l’esprit.

« Nous ne nous arrêterons pas avant que les changements nécessaires ne soient engagés, et, surtout, nous ne tolérerons pas les échappatoires qui, d’une manière ou d’une autre, nient ou diluent la Convention de La Haye », a prévenu Kurt Campbell, assistant au secrétaire d’État pour les affaires de l’Asie de l’Est et du Pacifique, à un comité du Congrès. « Nous sommes préparés à user de tout moyen politique et légal pour faciliter l’accès des parents à leurs enfants enlevés. »

 

Des parents démunis face à la loi

Le département d’État doit traiter 123 cas non résolus qui impliquent 173 enfants enlevés aux États-Unis et emmenés au Japon. S’y ajoutent les 40 cas impliquant des parents britanniques, 38 au Canada, et 32 en France, selon les données du gouvernement japonais. Ce sont les seuls cas que le ministère des Affaires étrangères a eu à connaître. Mais en réalité, ils pourraient se révéler beaucoup plus nombreux.

D’autres cas concernent des parents de pays d’Asie ou d’Afrique dont le combat pour voir leurs enfants est compliqué par le statu de leur visa. Ainsi Zidi Zidi Zidi, de Tunisie, n’a pas pu voir ses deux enfants depuis qu’il s’est séparé de sa femme en février de l’année dernière. Comme Huq, il pourrait perdre son droit de demeurer au Japon une fois que son visa conjugal aura expiré en avril 2012.

« C’est difficile de parler de nos enfants aux gens, confie-t-il. Eux peuvent jouer avec leurs enfants, leur parler et s’occuper d’eux. Mais nous, non, parce que la loi japonaise n’est pas claire sur le droit d’un père de voir ses enfants ».

Pour Mourad, les enlèvements à l’étranger, et le refus des autorités d’aider les victimes, ont montré la face obscure du Japon, où il habite depuis neuf ans : « J’aime le Japon, mais sur ce sujet-là je ne peux rien dire de bien. Il n’y a aucune justice. Ils ont enlevé à mon fils le droit de voir son père. »

 

De plus en plus fréquent

L’augmentation du nombre d’enlèvements d’enfants par les parents a suivi la courbe croissante de mariages entre Japonais et étrangers. Selon le ministère de la Santé, on a enregistré 44 701 mariages de ce type en 2006, contre seulement 7 261 en 1980 (dont une forte majorité de Japonais et Japonaises mariés avec des ressortissants de Chine, de Corée et des Philippines). On estime que 20 000 enfants par an sont issus de ces mariages.

Le taux de divorce parmi ces couples internationaux a également augmenté : en 2009, on en a décompté 20 000.

La décision du Japon de signer la Convention de La Haye a redonné espoir à des parents de recouvrer un jour le droit légal de faire partie de la vie de leurs enfants qu’ils n’ont parfois pas vu depuis plusieurs années. Mais ils doivent subir une longue attente avant que le japon ne procède aux changements nécessaires pour ratifier le traité. Et puis… il n’existe aucune garantie que les autorités appliqueront la loi de façon rétroactive, ce qui signifierait que des hommes tels que Huq ou Mourad ne seront pas au bout de leur peine.

 

Ma fille me manque

« On m’a traité de façon injuste, estime Huq. Mon ex-femme ne me laisse pas voir ma fille – elle l’a fait pendant un temps, mais pas depuis que l’immigration m’a causé des soucis. Ma fille me manque vraiment. Tout ce que je demande, c’est un traitement juste par le gouvernement japonais. Je n’ai rien fait de mal, je n’ai jamais commis de crime, et je paie mes impôts. Tout ce que je veux, c’est que les autorités examinent mon cas et prennent la bonne décision. »

 

Global Post /Adaptation Jack Fereday – JOLPress

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