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Dommages collatéraux pour sortie précipitée

Berlin, Allemagne. L’idée d’un monde post-nucléaire pose déjà quelques questions.

Après le désastre de Fukushima au Japon en mars 2011, l’Allemagne s’est engagée durant l’été à sortir entièrement du nucléaire.

Tout a commencé avec un moratoire de trois mois annoncé par la chancelière Angela Merkel, suivi d’un effort soutenu du Parlement pour relever le défi.Parmi les réacteurs les plus anciens du pays, sept ont été fermés pour de bon, un huitième l’a été pour défaut technique, et les neufs réacteurs toujours en activité devraient suivre jusqu’en 2022.Conséquence : l’Allemagne a perdu environ 10 % de sa capacité de production d’énergie.

 

Un retrait trop précipité ?

Pour certains, cette élimination de l’énergie nucléaire est trop hâtive. C’est à se demander si les mesures ambitieuses prises par le gouvernement ne se retournent pas contre lui.

Malgré des efforts considérables pour soutenir l’industrie de l’énergie renouvelable, l’Allemagne produit désormais plus d’émissions de CO2. De plus, au moment où l’économie du pays commence à ralentir, les entreprises enregistrent des baisses d’activité et font face à des coûts de consommation énergétique de plus en plus élevés.

 

Le nucléaire contre-attaque

Face au gouvernement, les grandes firmes nucléaires comptent bien avoir leur mot à dire : elles annoncent la riposte, quitte à attaquer les décisions du gouvernement fédéral devant les tribunaux. Et à évoquer les menaces de délocalisation des entreprises.

« J’aurais proposé une sortie du nucléaire plus échelonnée, confie Wolfgang Pfaffenberger, professeur à l’université Jacobs de Brème. Le sud de l’Allemagne, en particulier, dépend de l’énergie nucléaire. Nous connaîtrons donc des difficultés, comme des coupures de courant en hiver. »

Oui, l’Allemagne va vite : avant l’été, les législateurs ont rapidement rédigé huit lois. Mais ils reconnaissent eux-mêmes la précipitation : ils prévoient déjà d’établir de nouveaux textes.

 

Les Verts toujours mobilisés

Les Verts, eux, restent confiants. Dorothee Landgrebe, responsable de la politique environnementale au sein de la Fondation Heinrich Boell, un panel d’experts du parti écologique, estime que la décision a été tout sauf précipitée. « Nous, la coalition des sociaux-démocrates et des Verts, avions déjà décidé en 2002 qu’il fallait sortir entièrement du nucléaire d’ici à 2022. À l’automne dernier, Merkel avait repoussé l’échéance de douze ans. Donc, maintenant, nous inversons l’inversion. »

Le gouvernement d’Angela Merkel avait bel et bien étendu la durée de vie des réacteurs nucléaires du pays avant de revenir sur sa décision quelques mois plus tard après la catastrophe au Japon.

 

Un dilemme énergétique

Comme un quart de la production d’énergie de l’Allemagne provient des centrales nucléaires, la position du gouvernement, certes populaire au lendemain de l’explosion à Fukushima, se révèle de plus en plus difficile à tenir. Selon l’Agence allemande de l’énergie (DENA), une perte d’approvisionnement en électricité durant l’hiver pourrait constituer un dysfonctionnement majeur. Les analystes font également remarquer l’ironie de la situation : même si les Verts sont à l’origine de l’idée, les nouvelles mesures ont conduit tout droit à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre à cause de l’utilisation croissante de combustibles fossiles pour compenser la diminution de production d’électricité.

Pour Matthias Lang, avocat spécialisé dans les lois sur l’énergie pour Bird & Bird à Dusseldorf, « d’une certaine manière, il s’agit de trancher entre le risque d’accident nucléaire et l’augmentation d’émissions de gaz carbonique. Si le CO2 est une vraie nuisance, alors il faut savoir que nous allons désormais en produire plus – et pour un bon moment.

 

Défis juridiques

De grandes batailles juridiques se préparent. La grande firme nucléaire E.ON prépare déjà sa riposte sur le plan constitutionnel à l’accélération de la sortie du nucléaire, sur le fondement du viol des droits de propriété de la firme. Elle sait qu’elle devra compenser la perte de ses actionnaires. « Nous avons de bonnes raisons de remettre en cause la légalité de ces mesures, explique Lang. Il est difficile de dire dans quelle mesure ces arguments juridiques seront reçus, car la situation n’est pas courante et nous manquons de précédents judiciaires – mais les tribunaux considéreront sans doute que certains aspects de la législation nouvelle ne sont pas recevables. »

 

Défis économiques

La fermeture des centrales nucléaires va, certes, entraîner une hausse du prix de l’énergie, mais engendrer en outre des difficultés économiques. Les pertes générées par taxes sur le nucléaire et les coûts liés à la fermeture de certains réacteurs ont poussé E.ON à licencier 11 000 employés. Mais les conséquences se font ressentir en dehors du secteur du nucléaire.

Début août, Bayer, géant allemand de l’industrie pharmaceutique, a officiellement prévenu qu’elle devra peut-être relocaliser à l’étranger en raison des prix d’énergie trop élevés. L’entreprise compte 111 400 employés, dont 54 000 en Europe et 35 000 en Allemagne. En 2010, sa valeur a été estimée à 35,1 milliards d’euros. « C’est une évidence : les prix de l’énergie constituent une part importante des coûts d’une entreprise », explique Rolf Ackerman, porte-parole de Bayer.

« En règle générale, nous soutenons le mouvement vers des énergies renouvelables, concède-t-il. Ce que nous demandons, c’est qu’une décision aussi complexe que la transformation de la production d’énergie ne devrait pas être précipitée. »

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