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Du « printemps arabe » à un « automne cubain » ?

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Au cours des dernières semaines, les militants antigouvernementaux ont tenu plusieurs manifestations publiques à La Havane et dans l’est du pays. Pour preuve : des clips vidéos de ces événements diffusés sur des médias sociaux et relayés par les chaînes de télévision de Miami. On y voit clairement des groupes de militants tapant sur des ustensiles de cuisine, scandant des slogans anti-castristes ou encore de sobres, mais hautement symboliques, « Liberté ! » Jusqu’à ce que la police et la sécurité d’État ne débarquent pour les interpeller. Sur certaines images, on constate que de nombreux badauds les observent tout en prenant soin de ne pas s’en mêler.

 

Des signes de détente, un calme relatif

Cette agitation survient après une période de calme relatif qu’avait instaurée la décision du gouvernement, l’an dernier, de libérer de nombreux prisonniers politiques aux termes d’une médiation de l’église catholique. L’amnistie a brièvement amélioré le regard des gouvernements occidentaux et des associations de défense des droits de l’homme sur le régime cubain, son parti unique et son traitement des dissidents non-violents.

Ces derniers temps, les opposants ont décidé de tester, une fois de plus, la tolérance de Raul Castro à l’égard des manifestations publiques – et essayer de voir si les tactiques révolutionnaires développées au Proche-Orient seraient de nature à étendre la mobilisation contre le gouvernement, ici.

 

Le retard technologique de l’île, un handicap

S’ils comptent développer une version cubaine de la révolution 2.0, les militants cubains souffrent d’un handicap sérieux, le retard technologique du pays. L’île fait partie des pays les moins bien connectés au monde et, même si de nombreux jeunes disposent de téléphones portables, la plupart n’ont pas accès à Facebook, Twitter ou à d’autres sites de partage de vidéos en raison des restrictions de l’accès à Internet et d’une faible bande passante.

 

Le Cubain ordinaire aurait perdu la fibre révolutionnaire

Les opposants au régime castriste sont aussi considérés avec suspicion, voire franche hostilité par de nombreux Cubains, même par ceux qui ont perdu la foi dans le modèle socialiste. Les programmes de la télévision d’État les montrent fréquemment au cours de leurs rencontres avec des diplomates américains, et les dépeignent en « contre-révolutionnaires », en « mercenaires » et en « opportunistes » avides d’argent ou rêvant de l’asile politique à l’étranger.

Parmi les Cubains, beaucoup restent attachés au système et à ses idéaux révolutionnaires, même si la qualité des soins gratuits, de l’éducation et des autres services fournis par l’État ne cesse de se dégrader.

 

La riposte graduée du régime

Selon les dissidents, les autorités accentuent leur pression afin de décourager ceux qui seraient tentés de soutenir les efforts en faveur de la démocratie. En août, la violence policière contre des manifestants pacifiques a atteint un sommet inégalé dans les dernières années, selon la Commission cubaine pour les droits de l’homme et la réconciliation, groupe d’opposants installé à La Havane, qui tient un compte des arrestations et des détentions politiques. Selon leurs calculs, par rapport à 2010, deux fois plus de militants ont été arrêtés cette année, avec notamment 130 détentions courtes, le temps d’un week-end. Le gouvernement cubain a contesté ces accusations. Il a affirmé que le groupe avait produit des listes composées de faux noms.

Les opposants à Castro ne prétendent pas que le gouvernement cubain en est réduit à utiliser des méthodes comparables à celles de certains régimes du monde arabe, où les manifestants sont torturés, violés, assassinés et où la police n’hésite pas à tirer à balles réelles.

 

Des contrôles discrets mais efficaces

Pourtant, les officiels de la sécurité d’État sont facilement repérables quand ils coordonnent des contre-manifestations avec des supporters du gouvernement, qui souvent entourent les opposants, les insultent pendant des heures, et parfois les bousculent physiquement. Normalement, les agents de sécurité tentent de s’interposer entre les deux courants pour éviter que la situation ne dégénère.

Quand une manifestation spontanée se déclenche, comme on peut le voir sur certaines vidéos récentes, la police intervient sans crier gare pour arrêter les participants et les éloigner, en attendant le plus souvent de les libérer quelques heures plus tard.

 

Le rôle essentiel de l’église catholique

L’église catholique de Cuba, dont le rôle a été essentiel dans l’obtention de la libération de plus de 100 militants emprisonnés au cours de l’année écoulée, a publié un communiqué au texte finement étudié. Il condamne la violence contre des personnes « sans défense ». Le porte-parole de l’Église, Orlando Marquez, a aussi indiqué dans cette déclaration que « personne, au plan national, n’a ordonné des attaques contre les manifestants ».

 

Encore un coup de l’étranger

La télévision d’État cubaine a diffusé des images des manifestations, avec le commentaire que ces incidents s’inscrivaient dans une campagne médiatique contre l’île. Elle les a qualifiés d’actes de « désordre public » qui auraient été organisés par des « mercenaires » à la solde des États-Unis, et planifiés en coordination avec les officiels américains. « L’objectif est de créer un climat de tension qui puisse justifier des agressions contre Cuba », indiquait le reportage.

Malgré les difficultés économiques persistantes, il n’y a pas eu de mouvements de manifestations de grande ampleur durant la crise engendrée par la fin de l’empire soviétique dans les années 1990. Raul Castro a relâché le contrôle de l’État sur l’économie depuis qu’il a succédé à son frère aîné en 2006. Il a permis la création de nouvelles entreprises et lancé des réformes qui devraient inciter les Cubains à acheter et à vendre leurs maisons et leurs voitures pour la première fois en 50 ans.

 

Démocratie participative ou cercles de paroles ?

Castro a aussi encouragé la population à exprimer ses mécontentements – dans certaines limites – à travers des rencontres spécialement établies, comme des forums sur le lieu de travail et des réunions entre voisins. Critiquer les institutions étatiques et la bureaucratie gouvernementale n’est plus tabou, mais, pour autant, encourager l’émergence d’une opposition organisée et autoriser les manifestations publiques – telles que les récents rassemblements – demeurait inconcevable.

 

Baroud d’honneur ou tour de chauffe pour l’opposition ?

Puisque la plupart des dissidents libérés au cours de l’année écoulée ont décidé de quitter Cuba pour l’Espagne dans le cadre d’un accord avec le gouvernement de Madrid, la dernière série de rassemblements pourrait être un moyen pour les opposants de rester « visibles », en particulier pour leurs supporters à l’étranger.

La plus célèbre militante anti-castriste en ligne, Yoani Sanchez, émet quantité de tweets depuis son téléphone portable, parmi lesquels des informations sur l’organisation des manifestations. L’accès à son blog, Génération Y, n’est plus bloqué sur l’île par le gouvernement. Pourtant, de nombreux jeunes Cubains qui parviennent à se connecter ne sont pas particulièrement prêts à utiliser leurs précieux octets sur des sites politiques.

 

Une connexion sous-marine révolutionnaire

Une connexion sous-marine à haut débit vers le Venezuela, achevée cet été en grande pompe, est censée entrer en service dans les prochains mois, multipliant par 3 000 la bande passante disponible à Cuba. Son lancement a été plusieurs fois reporté, de quoi imaginer que les autorités cubaines s’inquiètent de l’usage qui pourrait en être fait. Elles ont déjà annoncé qu’elle ne sera pas utilisée pour offrir des accès privés à Internet aux particuliers.

Les autorités américaines semblent considérer que les technologies de la communication sont un facteur clé dans la mise en œuvre de changements politiques sur l’île. Dans un câble diplomatique de 2009 dévoilé récemment, le principal officiel américain à La Havane, Jonathan Farrar, plaidait en faveur de la levée des restrictions sur le téléchargement de logiciels à Cuba – alors que Microsoft et d’autres entreprises américaines ont bloqué tout accès depuis l’île pour se conformer aux lois antiterroristes. De telles restrictions, expliquait Farrar, agissent « directement contre la volonté américaine de faire progresser les connexions entre individus ».

L’accès à toujours plus de technologie, conclut Farrar, pourrait encourager le développement d’un mouvement pro-démocratie sur le modèle de l’opposition iranienne.

 

GlobalPost/Adaptation FG – JOL Press

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