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En un graphique frappant, tout est dit

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Qui est donc ce personnage au front dégarni, au regard anxieux, qui semble monter à l’assaut de ces pics aigus et rouges, chargé comme un baudet ? C’est toute la trouvaille de l’infographiste de Business que d’avoir marié un histogramme bardé de pics fins comme des aiguilles à un être humain inconnu dont le désarroi donne le ton de l’œuvre. Faites le test autour de vous : au premier coup d’œil, la personne qui « flashe » sur l’image en ressent un malaise : comme si ces montagnes effilées « empalaient » cet homme que l’excès des bagages qu’il subit désigne comme victime.

 

Signaux visuels forts

Et c’en est une. En réalité, le graphique décrit de façon alarmiste les réserves ahurissantes (flèche rouge à droite de l’image) de la bien nommée, en l’occurrence, Réserve fédérale américaine (la banque centrale des États-Unis) en vue des crises financières sans précédent qui frappent à la fois la première puissance mondiale et la zone euro. À gauche, comme une échelle de Richter du risque, s’aligne en noir l’échelle des sommes : 90 milliards de dollars juste à la hauteur du regard apeuré du mystérieux personnage. Au milieu, l’épée effilée qui semble lui transpercer l’épaule marque l’apogée des réserves qui avaient été constituées au plus fort de la crise début 2009. Sobrement, le graphique s’intitule « Signal d’alarme ». Il y a de quoi…

 

Une image vaut mieux que cent discours

Alors, qui est cet homme porteur de cartons surmontés de sacs de voyage, un cartable bourré en bandoulière ? Evan-Pritchard n’en souffle mot, et pour cause : il s’agit d’un employé anonyme de la banque faillie américaine Lehman Brothers, abandonnée par les autorités financières en 2008, qui a dû, comme ses centaines de collègues, vider son bureau en catastrophe… C’est à hauteur de son genou gauche que le graphiste a simplement noté « Lehman Brothers collapse » (« Chute de la banque Lehman Brothers ») en guise d’indice pour ses lecteurs.

Ainsi, en une image, la une de Business a-t-elle réussi à tirer le signal d’alarme le plus fort qu’aucun des mots de l’éditorialiste n’aurait pu égaler. Conformément au style anglo-américain, le journaliste aligne certes des chiffres parlants, mais ne dramatise pas à outrance, même si son « papier » commence par ces mots forts : « A KEY warning signal of global Financial stress has shot above the extreme levels seen at the height of the Lehman Brothers crisis in 2008 » (« UN FORT degré d’alarme alerte sur la tension des finances mondiales puisqu’il tape bien au-dessus des niveaux maximaux de la crise de Lehman Brothers en 2008 »). Avant même la lecture du « papier », l’œil averti du lecteur de Business avait compris : la « réplique » du tremblement de terre risque de faire s’effondrer le pic trop élevé de la Réserve fédérale…

 

Le traumatisme Lehman Brothers

Enfin, toujours dans la sobriété, le titre du graphique n’en rajoute pas dans l’emphase : « La récession américaine ». C’est dit, en deux mots (en anglais). Seule la titraille de l’analyse se permet une image : « Flight to Fed tops Lehman Brothers crisis » qu’un traducteur un peu taquin pourrait rendre par « Vol au-dessus d’un nid de crises à la Lehman Brothers ». Du reste, la citation lancinante du nom de la banque mise en faillite en dit long sur l’état d’esprit des financiers anglo-américains : ce qui est apparu comme une péripétie certes dramatique de la crise aux yeux des Européens n’en finit pas de hanter les plumes des journalistes de l’autre côté de la Manche ou de l’Atlantique. La crise mondiale a un nom et une référence : Lehman Brothers. Que les chiffres actuels dépassent ce repère traumatique devrait, comme l’y incite Business, affoler la planète financière.

 

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