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Faut-il recapitaliser les banques ?

Paris. Un constat : Christine Lagarde, si elle était restée ministre de l’économie française, n’aurait certainement pas appelé à une recapitalisation (avec ou sans nationalisation) des banques européennes. Christine Lagarde, directrice générale du FMI, l’a fait cet été, à Jackson Hole, en laissant même filtrer, ce dont elle se défend désormais, le montant du besoin en recapitalisation : 200 milliards d’euros. Alors ? Quand Christine Lagarde est-elle sincère ? À l’évidence dans son tailleur du FMI. Non seulement celle que le magazine Forbes présente comme l’une des femmes les plus puissantes du monde a-t-elle éprouvé le besoin de marquer son indépendance, mais encore n’a-t-elle pas jeté l’alarme pour le simple plaisir de s’affirmer : la directrice du FMI est persuadée qu’une recapitalisation s’impose, et une telle certitude, quel que soit le montant des besoins, devrait faire réfléchir les banques concernées.

 

Tabou européen

Or, parler de recapitalisation, d’augmentation de fonds propres si l’on préfère, pour faire face aux risques de défaut des États – la Grèce, le risque majeur, mais en outre l’Irlande, l’Italie, le Portugal, l’Espagne… – soulève un tabou.

Les banques françaises, notamment, qui se vivent déjà dans une mondialisation totale, un système bancaire universel opaque où elles s’enivrent d’une liberté absolue, ne veulent pas entendre parler de recapitalisation forcée. Surtout si elle doit prendre la forme d’une nationalisation partielle, c’est-à-dire l’injection de capitaux d’État dans leurs fonds propres : en accueillant ce nouvel actionnaire encombrant, qui aurait, même minoritaire, son mot à dire sur la marche de leurs affaires, les banques françaises perdraient leur sacro-sainte capacité à « flamber » sur tous les marchés, comme elles le font depuis des années. Y compris celle de spéculer contre leurs propres gouvernements ! Car elles ne s’en privent pas. Derrière la façade des banques de dépôts qui gèrent l’argent des Français avec une rigueur qu’elles ne s’appliquent pas forcément à elles-mêmes, les grandes enseignes supranationales – Société Générale, Crédit Agricole, groupe Banques populaires, BNP Paribas… – tirent l’essentiel de leurs PNB* des banques d’affaires, ou banques de marché. Or, comme le souligne Georges Ugeux, lui-même banquier d’affaires, sur son blog, « l’activité de banque de marché est une grosse consommatrice de fonds propres ». Elle n’a rien à voir avec la banque de dépôts, mais en cas de défaillance, ce sont malgré tout les avoirs des particuliers et, surtout, l’octroi de crédits, qui seraient collatéralement touchés : on l’a vu en 2008, quand les banques restreignaient les crédits aux particuliers et aux entreprises par défaut de confiance entre elles… Et encore, si l’on en arrivait à une telle extrémité, ce qui n’est pas d’actualité, serait-ce une catastrophe presque mineure par rapport à l’effet domino qu’impliquerait la défaillance d’une seule banque européenne : les capitaux circulants ignorent les frontières. Le système bancaire est universel, la « peste » se propagerait à une vitesse « systémique ». D’où les mises en « Lagarde ».

* Les banques n’ont pas de chiffre d’affaires, elles parlent de « produit net bancaire », comme un État parle de son PNB.

 

Les banques trop engagées dans la dette grecque ?

À partir de 2008, pour éradiquer le spectre de faillites bancaires à la Lehman Brothers, pour rassurer l’opinion, l’État français a imposé des injections de capitaux aux banques qui n’en voulaient pas. Les banquiers se sont dépêchés, on l’a vu, de le rembourser, avec intérêt. Le lobby bancaire, qu’incarne la Fédération française des banques (FFB), avait bien travaillé. Mais depuis vendredi, l’édifice connaît une réplique au séisme du FMI : les cours des titres des banques plongent. La Grèce, la conjoncture mondiale, cette alerte du Fonds monétaire, mais surtout le risque de dévalorisation de la note des agences de notation sur Société Générale, Crédit Agricole et BNP Paribas, sapent la valeur des actions des banques… françaises : Société Générale (- 7,33 %, vendredi), Crédit Agricole (-5,68 %), BNP Paribas (-3,91 %). La plus touchée, Société Générale, a annoncé dans la foulée, peut-être maladroitement, des réductions de personnel. Les propos mêmes de Christine Lagarde, que les opérateurs de marché des places boursières interprètent comme l’inquiétude d’une Française, avant celle d’une figure européenne, ont donc impacté les enseignes… françaises. Il va de soi que la patronne du FMI n’avait pas anticipé une telle focalisation.

 

8 milliards d’exposition : soit un semestre d’activité…

René Ricol, l’ancien médiateur du crédit, monte en ligne pour tenter de rassurer ces mêmes marchés. Celui qui avait été missionné pour réinjecter des fonds dans les banques, tout en les rassurant sur les intentions de l’État français, joue volontiers les pompiers pour Société Générale : « Il faut d’urgence arrêter les spéculateurs qui jouent sur tous les marchés […] Il existe une batterie d’outils pour protéger un établissement : une garantie publique ou la mise à disposition de financements par des organismes gouvernementaux », dit-il au Journal du Dimanche. Pas question de nationalisations ! L’ex-président du lobby bancaire et ex-président du Crédit Agricole, Georges Pauget, désormais à la tête d’un cabinet de conseil privé, dit au même journal son aversion pour toute forme de recapitalisation-nationalisation. « L’exposition totale des établissements français à la Grèce se chiffre à environ 8 milliards. » Autant dire, pas grand-chose : « Ce que [ces banques] gagnent en un semestre », précise Pauget. Il suffit donc, d’accord avec René Ricol, d’« un apport en garanties». L’État garantit, rassure, mais n’entre pas au capital. Jean-François Coppé, UMP, abonde dans le même sens.

 

Sanctionner des banques qui ont menti

Le défaut grec ne mettrait certes pas les banques françaises en danger. Mais c’est tout l’édifice bancaire européen que menacent les déficits irlandais, espagnol, italien, portugais et… français – sans parler de la Grande-Bretagne. L’effet domino n’échappe pas à l’autre économiste écouté, lui aussi à la tête d’un site de conseils, Marc Fiorentino, l’un des chouchous des médias pour son franc-parler. Au JDD et, le lendemain, au 13 heures de France 2, sa position tranche avec ses confrères : lui juge urgente la recapitalisation étatique, et la chiffre : « […] une participation de l’État au capital des banques françaises de l’ordre de 30 % ». Nationalisation de fait que l’expert estime, selon une fourchette large, de 50 à 100 milliards d’euros. D’où l’État français aux prises avec sa propre dette pourrait-il les tirer ? « De l’emprunt », n’hésite pas à provoquer Fiorentino. Comble du cauchemar pour le lobby bancaire, ce partisan de la fin de la récréation des banques sans garde-fou prône un État actionnaire interventionniste qui recentrerait l’activité des banques françaises sur le financement de l’économie « et non plus sur la spéculation financière ». Cité par le JDD, Fiorentino dit tout haut ce que même les candidats socialistes n’osent pas avancer : « [Les banques] nous ont menti en 2008 et nous ne savons pas aujourd’hui si elles cachent d’autres bombes toxiques dans leurs bilans. »

 

La recapitalisation sans nationalisation est possible

Marc Fiorentino a lancé l’idée : la nationalisation des banques serait-elle une solution ? Sans nier le danger que fait courir au monde entier l’opacité des banques européennes, Georges Ugeux le banquier indépendant repousse, lui, la méthode Fiorentino. La recapitalisation ne passe pas forcément par les États. Aux banques européennes « obèses », Ugeux suggère la recherche de fonds propres via les marchés boursiers, discipline financière et transparence à la clé. Au passage, il prône l’interdiction pour ces banques de spéculer sur leurs propres fonds propres. Vous avez bien lu : les banques d’affaires spéculent sur leurs propres fonds. Une remarque qui a de quoi faire froid dans le dos… « Face à une banque dégraissée et mieux gérée, le marché des capitaux ne devrait avoir aucun problème à fournir les fonds propres nécessaires sous forme d’obligations subordonnées à long terme et d’actions », diagnostique le spécialiste. Dont la conclusion mérite qu’elle soit la chute de cet article : « Il faut que les banques se débrouillent pour faire une cure d’amaigrissement. Ce n’est pas un drame, même si cela chatouille les egos impérialistes de certains dirigeants de banque… »

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