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Jeu dangereux en Méditerranée orientale

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« À partir de maintenant, nous ne permettrons pas que ces navires soient attaqués par Israël, comme ce fut a été le cas pour la Flottille de la Liberté », a lancé Recep Tayyip Erdogan, jeudi 8 septembre. Le Premier ministre turc a jeté de l’huile sur le feu. L’annonce que la marine de son pays allait commencer à patrouiller dans l’espace maritime séparant les deux pays, au motif qu’il entendait garantir la sécurité des navires transportant de l’aide, a fait écho à une autre déclaration, la même semaine, de son ministre des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu. Celui-ci avait déjà annoncé un certain nombre de mesures à l’encontre d’Israël, et notamment la liberté de navigation dans la Méditerranée orientale. Cette escalade verbale n’est pas fortuite, elle intervient juste après la publication du très attendu rapport Palmer.

 

Le rapport Palmer surprend la Turquie

Ce rapport, rédigé par un groupe d’experts des Nations unies chargé d’enquêter sur le raid israélien, a conclu que le blocus de Gaza était et demeure une mesure de sécurité légitime pour Israël, et a estimé que, même si l’attaque avait été « excessive », les organisateurs turcs étaient pour partie responsables du bain de sang sur le Mavi Marmara.

Une réelle surprise que ces conclusions pour la Turquie ! Ankara était persuadé que les experts de l’ONU, dont il avait encouragé la mission, arbitreraient en sa faveur – notamment parce que le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies avait condamné les attaques peu de temps après qu’elles ont eu lieu.

 

La mise en œuvre du « plan B »

La position plus nuancée défendue dans ce rapport a contraint Ankara a recherché d’autres outils diplomatiques. Le « plan B », comme a été surnommée la nouvelle stratégie des Turcs, comprend plusieurs éléments, tout en réaffirmant son attachement au principe de libre navigation en Méditerranée.

La Turquie a aggravé la dégradation de ses relations avec Israël en suspendant tout accord militaire, en promettant de saisir la Cour pénale internationale sur le blocus de Gaza et en soutenant toutes les actions en justice conduites, à travers le monde, au nom des victimes du Mavi Marmara.

Enfin, les autorités turques ont aussi assuré qu’elles appuieraient de tout leur poids la demande de reconnaissance d’un État palestinien qui sera présentée le 20 septembre devant l’Assemblée générale des Nations unies.

 

Un risque réel d’escalade

Mais les risques induits par des patrouilles turques en Méditerranée orientale, là où Israël recherche des ressources naturelles, sont considérables. Les observateurs craignent que la confrontation, pour l’instant bataille de communiqués, ne devienne franchement belliqueuse et n’aille jusqu’au conflit ouvert. « La diplomatie a ses limites, et nous pénétrons dans la zone rouge », estime Gokhan Bacik, professeur de relations internationales à l’université de Zirve. Pire encore, lorsque toutes les solutions diplomatiques sont épuisées, restent « de fortes tensions, une crise, un conflit et enfin la guerre », ajoute-t-il.

 

L’affaire du Mavi Marmara, un déclencheur

Si le plan B n’a été révélé que la semaine dernière, les analystes assurent qu’il est en préparation depuis l’incident du Mavi Marmara. « Parler de “plan B”, c’est se contenter de donner un nom à un processus déjà en place », affirme Bulent Kenes, rédacteur en chef du journal turc Today’s Zaman. Après le raid de 2010, Ankara avait rappelé son ambassadeur en Israël, suspendu les exercices militaires conjoints et interdit son espace aérien aux avions militaires israéliens. La Turquie n’a cessé de demander à Israël de présenter des excuses pour le raid, d’offrir des réparations aux proches des victimes et de lever le blocus de Gaza. Israël a répondu qu’il s’agissait d’autodéfense, et n’en démord pas.

Mais, tant qu’Israël ne satisfait pas aux exigences turques, « il est impossible d’espérer un rétablissement et une normalisation des relations turco-israéliennes », a rappelé Erdogan avant son départ, lundi 12 septembre, pour une tournée hautement stratégique devant le conduire en Égypte, en Libye et en Tunisie.

 

Les incertitudes d’une situation régionale mouvante

L’influence croissante de la Turquie dans la région tient largement au fait qu’elle est perçue comme un intermédiaire, capable de s’adresser directement aux différentes parties. Ses difficultés récentes avec Israël pourraient fragiliser cette position. En même temps, avec le « printemps arabe » et la montée du sentiment anti-israélien en Égypte, l’équilibre stratégique de la région semble basculer à l’avantage de la Turquie. « La seule option pour Israël, s’il perd le soutien de l’Égypte, c’est de présenter des excuses. Sinon, ils se retrouveront bien seuls dans la région », estime Bacik.

 

Une dégradation lente et prévisible

La détérioration des relations entre la Turquie et Israël est sans précédent pour des alliés qui, il y a peu, menaient des manœuvres militaires communes et étaient les meilleurs partenaires commerciaux militaires. Déjà avant le raid sur le Mavi Marmara, ces relations avaient commencé à se détériorer. En 2008, l’offensive israélienne sur Gaza avait pris de court Ankara qui s’ingéniait à négocier un accord de paix entre Israël et la Syrie. En 2009, au Forum économique de Davos, Erdogan avait lancé au président israélien Shimon Peres : « Vous savez comment tuer. »

 

Jeux dangereux et arrière-pensées politiciennes

La brouille qui suit l’affaire de Mavi Marmara a fait disparaître tous les signes pouvant rappeler l’alliance étroite d’autrefois, et a rendu improbable un rapprochement rapide, considèrent les experts, en particulier en raison de la personnalité des dirigeants actuellement à la tête des deux pays. « Je ne crois pas que le Parti de la justice et du développement en Turquie et la coalition dirigée par Netanyahou en Israël pourront trouver le moyen de rétablir les relations entre les deux pays », estime Kenes.

Restaurer les liens pourrait se révéler encore plus difficile si Ankara envisage sérieusement de soutenir de tout son poids les actions en justice visant à accuser les responsables israéliens de crimes de guerre et crimes contre l’humanité dans le raid du Mavi Marmara.

 

Le risque de commettre l’irréparable

Depuis ce raid, de telles plaintes ont été déposées en Angleterre, en Espagne, en Belgique et en Indonésie, pays dont des ressortissants étaient présents à bord. Mais, selon Buhari Cetinkaya, avocat turc de certaines victimes, Ankara a hésité à appuyer ces démarches tant que le rapport Palmer n’avait pas encore été publié. « C’est encourageant d’entendre que, désormais, les autorités vont soutenir ces actions en justice. Ç’aurait dû être le cas depuis », prétend-il. La plainte déposée devant le bureau du procureur d’Istanbul cite nommément des officiels israéliens de haut rang tels que le premier ministre Benjamin Netanyahou et le ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman.

Il est peu probable que ces actions visant les responsables n’aboutissent ; en revanche, il est certain qu’elles vont compliquer toute chance de normalisation entre la Turquie et Israël.

 

GlobalPost/Adaptation FG-Jol Press

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