Site icon La Revue Internationale

Kadhafi : portrait d’un dictateur devenu fou

[image:1,l]

Quand Mouammar (ou Mu’ammar) Al-Qaddâfi s’empare-t-il du pouvoir ? Le 1er septembre 1969. Il a alors 27 ans (né le 19 juin 1942, à Syrte). Coup d’état facile. Avec un groupe d’officiers (il est capitaine), il lui suffit de mettre en prison le prince héritier, Hassan, neveu du vieux roi Idriss, 80 ans, malade, qui a abdiqué le 4 août précédent.

Roi en un royaume incertain

La Libye : 1 759,540 kilomètres carrés. Entre 6 et 8 millions d’habitants. Un territoire turc au début du XVIe siècle, puis italien (conquête de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque de 1911 à 1922), avant de recouvrer son indépendance à partir de 1951 (monarchie d’Idriss al Senoussi) jusqu’à l’arrivée du capitaine « Kadhafi », nom qui signifie « de la tribu des Kadhafa », et qui appartenait au clan bédouin des Ghous.

Il ne faisait guère de doute, du reste, que l’ambitieux élève d’une école préparatoire voulait renverser le vieux roi : il avait constitué un groupe de militants révolutionnaires au sein de cette même école, motif de son exclusion en 1961 ! Son modèle avoué : Gamal Abdel Nasser, l’égyptien. Droit, puis école militaire de Benghazi où il fomente un autre groupe contre la monarchie. Quand il revient en 1966 d’un entraînement au sein d’une école militaire britannique, il est fin prêt pour déposer le roi malade.<!–jolstore–>

Naissance d’un clan

Kdhafi impose sa famille comme une tribu. La famille : neuf enfants pour deux mariages et… quelques enterrements supposés. Saïf al-Arab Kadhafi, 29 ans, aurait été tué à Tripoli, ce qui n’est pas confirmé. Pas davantage n’est confirmée la mort d’Hana Kadhafi, fille adoptive (?), pleurée par son père en 1983 car prétendument tuée dans un raid mené par les Américains. On l’aurait vue renaître en qualité de médecin…

Bilan d’un autocrate

À partir de ce jour, le capitaine qui s’autoproclame colonel va déployer une politique nationaliste où la richesse du pétrole va donner à la population une véritable aisance que tempère la violence du régime.

Nationalisation des entreprises utiles, notamment italiennes.

• Moins de dix ans après la prise de pouvoir, la République devient la Jamahirya (littéralement, « état au pouvoir des masses »).

Créer un parti – seuls les comités révolutionnaires sont autorisés – relève de la peine de mort : le prétexte donne lieu à des dizaines d’exécutions et mutilations (retransmises à la télévision).

• Les bases militaires américaines sont priées de plier bagage.

• 1970 : augmentation du prix du pétrole. Les pays producteurs s’engouffrent dans la brèche.

• Politique d’annexions. C’est d’abord la bande d’Aouzou tchadienne, en 1973, puis, en 1980, la déclaration commune Kadhafi/Oueddei de la fusion Libye-Tchad. Ce pays de « Françafrique » échappera à l’« effet Libye » en 1981 avec le coup d’État d’Hissène Habré. Frustré, le « colonel » tente le coup avec un Bourguiba vieilli, prêt à unir la Tunisie à la Libye. Nouvel échec.

• Valse des « coups » via des organisations terroristes qui érigent le militaire atteint de toute-puissance en champion des « complots mondiaux » : de l’IRA aux Brigades rouges en passant par l’ETA, le dictateur dirige les attentats des groupuscules en les alimentant en armes, à profusion. Dans le sillage des morts de ces sinistres alliances, les Occidentaux s’émeuvent : en 1986, le président américain Reagan ordonne des raids. C’est au cours de l’un d’eux que la fameuse résidence du despote de Bab El Azizia est bombardée, ruines que Kadhafi conservera comme témoignage de la « brutalité américaine », et résidence que l’on montre désormais dans les reportages comme si elle avait été prise d’assaut par les rebelles. En 1992, l’ONU décrète l’embargo sur les puits pétroliers.

Du dictateur au terroriste sanguinaire

Auparavant, Kadhafi n’a pas chômé sur le plan intérieur : un coup d’état manqué à son encontre entraîne la mort de milliers de supposés opposants. Dans la décennie 1990, une seconde tentative donne au Néron libyen toute sa démesure : il faut tuer toute opposition. Des milliers de détenus sont assassinés dans les prisons, massacre que reconnaîtra Kadhafi en 2004. Du reste, il n’est plus avare d’aveux : l’attentat aérien de Lockerbie, au-dessus de l’Écosse, en 1988 – qui visait une compagnie et des citoyens américains – , 270 morts ? C’est bien moi : je paie 2,16 milliards de dollars aux familles, mais en contrepartie l’ONU lève ses sanctions. Vous ne voulez pas de mon programme nucléaire ? Je le suspends. Vous ne voulez pas de mes immigrés ? Je les garde. Vous voulez faire du business avec moi ? J’assouplis mon protectionnisme… Moyennant quoi, la Libye et son dictateur redeviennent fréquentables. L’Occident tente de trouver uen voie de compromis tout en restant sur ces gardes. On verra l’homme fort de la Libye reçu par tous les grands de ce monde ou presque.

Mégalomane en quête de reconnaissance ?

Un autre rêve de maître du monde passe par les États unis d’Afrique, avec monnaie unique et armée de 2 millions d’hommes. Kadhafi se voit bien sûr sur le trône. Mais il se contentera de la présidence de l’Union africaine, en 2009. Toutefois, ses actions de répression ne cessent de faire des vagues. Kadhafi se doit de lâcher du lest. Les libérations d’opposants des années 2000 – dont celle, fameuse, des cinq infirmières et d’un médecin anesthésiste accusés d’avoir contaminé des enfants libyens par le virus du sida – contribuent à rendre fréquentable celui que Human Rights Watch accuse d’arrestations et de tortures en sous-main. Son appel au jihad contre la Suisse en 2010 rappellera que sous la coiffe africaine du champion du panarabisme et du panafricanisme demeure un authentique mégalomane.

La chute

Ses excès ne cessent d’exacerber ses opposants et les tensions intérieures réprimées finissent par devenir diffciles à étouffer. A partir de février 2011 que le dictateur perd toute crédibilité en réprimant de façon sauvage des insurrections nées à Benghazi. Les Occidentaux vont s’allier aux insurgés. En mars 2011, la Cour pénale internationale ouvre une enquête à l’encontre du colonel et de ses fils.  Le  17 mars du Conseil de sécurité de l’ONU aurorise délibérément la guerre aérienne (en vue de protéger les populations) contre celui qui fera semblant jusqu’au bout de croire que son peuple « l’adore ». En mai, la Cour pénale internationale lance un mandat d’arrêt contre lui pour « crime contre l’humanité ». Sa tête (mort ou vif) est mise à prix (1,2 million d’euros) par un groupe d’hommes d’affaires : celui qui le livrera sera à l’abri de toute poursuite. Il faut croire qu’il inspire encore suffisamment la peur dans son entourage pour que personne ne se risque : le sinistre fuyard serait, sous toutes réserves, passé en Algérie…

Le début de la fin

Au début de l’insurrection, pourtant, les accords secrets que Kadhafi avait su passer avec l’Occident auraient dû le protéger : Antoine Vitkine, auteur d’un documentaire consacré à « Notre meilleur ennemi » (diffusé en mars sur France 5, à une époque où la chute du colonel n’était pas assurée), montrait alors combien la communauté internationale restait réticente à l’idée d’aider à son départ. Il avait pour lui l’argument pétrolier et le business des armes, deux raisons pour l’Occident de ménager le génocidaire. Mais pour ne plus fermer les yeux sur les ripostes massives de celui qui savait massacrer en coulisses tout en présentant un front de parfait innocent que le basculement inattendu est devenu possible. Au passage, les alliés enfin décidés à en finir avec le roi du pétrole libyen n’oublient pas de négocier avec les « rebelles légitimes » les compensation en or noir. Dans Le Nouvel Observateur, Hélène Decommer pointe les contreparties. Le pétrole était la seule véritable arme dont disposait le « guide de la Révolution » : 95 % des hydrocarbures sont exportés, de quoi acheter tout ce dont la Libye a besoin (et tout ce dont les Kadhafi ont « besoin »). On comprend mieux pourquoi l’embargo a su casser la logique totalitaire du despote. Il n’empêche que les alliés n’ont pu envisager l’intervention en Libye qu’assurés par les révolutionnaires qu’ils auraient accès aux premières réserves d’Afrique, les huitièmes mondiales, et à la quatrième réserve de gaz d’Afrique.

Quel successeur pour le dictateur déchu ?

Or, depuis 2006, toutes les compagnies pétrolières sont en Libye. Leurs États n’ont pas manqué de s’assurer que tous les contrats d’avant le soulèvement seront respectés par le nouveau pouvoir en place. « Promesse » d’autant plus certaine que l’ONU ne commence qu’au compte-gouttes les versements des avoirs gelés au CNT, le Conseil de transition en train de s’installer à Tripoli (plus d’une centaine de milliards.

Selon la journaliste du Nouvel Observateur, Chinois et Russes seraient, pour l’heure, les perdants de la « guerre », faute d’avoir bombardé les forces de Kadhafi aux côtés des Occidentaux. Or 11 % du pétrole libyen sont achetés par la Chine, et les Chinois disposent d’arguments pour que les nouveaux hommes forts de Tripoli ne les « rationnent » pas. D’autant plus sûrement qu’une fois nanti des avoirs bancaires à l’étranger qui lui revient, le CNT pourrait se donner le temps de renégocier la vente de son or noir, avec recul. Encore faut-il que les Occidentaux restituent vite cette manne à ses nouveaux propriétaires, ce qui ne semble pas se vérifier. Autre inconnue : le CNT sera-t-il à la hauteur des enjeux ? Le nouveau pouvoir libyen va-t-il, en temps record, se doter de structures démocratiques, de transition certes, mais suffisamment crédibles pour devenir un partenaire des Occidentaux ? La famille « K » détenait tous les pouvoirs : entre constituante et élections, le nouvel appareil libyen va exiger du temps avant de faire ses preuves… s’il y parvient.

Un avenir sur fond de guerre du pétrole

Pour les Libyens qui s’expriment via le Net, le départ de Kadhafi est un « coup » des Européens et des Américains pour « faire main basse sur les réserves pétrolières des pays arabes qui, pour leur malheur, possèdent du pétrole et des dirigeants installés au pouvoir pour l’éternité » (in La voix de la Libye). Avec ce rappel : « Pratiquement tout est gratuit en Libye… » Il est certain que tout va dépendre désormais de la légitimité, de la force, des intentions des nouveaux dirigeants face aux alliés occidentaux qui attendent des compensations…

La Libye des élites « confiscatoires » est riche : 59,1 milliards de dollars en 2009, 45,2 milliards d’exportations d’hydrocarbures, soit un PIB par habitant de 14 000 $ en 2010. Ce n’est donc pas une révolution de la misère qui a démarré en Libye, mais bien un soulèvement face au manque de liberté, aux arrestations arbitraires et aux assassinats politiques, soulèvement qui aurait dû aboutir à des concessions de la part du clan Kadhafi.

Abus de mégalomanie

Toutefois, une grande partie de l’activité économique lybienne était effectuée par une main d’oeuvre étrangère ( égyptiens, syriens, africains..). La déstabilisation a vu fuir cette main d’oeuvre qui a abouti au blocage économique général que connaît la Lybie aujourd’hui. Signe de sa faiblesse et de sa dépendance. De mégalomanies en folies sanguinaires, Kadhafi à force d’être coupé du réel a perdu le sens du jeu politique. Malgré la richesse de son pays, malgré les nombreux mercenaires dont il savait s’entourer. Comme de nombreux dictateurs, il a fini par êtte rattrappé par l’avidité de son propre clan et les incohérences de sa non-politique.

Quitter la version mobile