Site icon La Revue Internationale

La crise européenne selon le professeur Y. M. Ioannides

La crise prend une tournure dramatique

Lors de la descente des Italiens dans la rue, mardi 6 septembre, pour protester contre le plan d’austérité du gouvernement, la crise liée à la dette européenne a pris une tournure dramatique. Les malheurs de l’Europe ne cessent d’irriter les investisseurs mondiaux.

La Banque Nationale suisse a créé la surprise en plafonnant le taux de change du franc suisse. Avec la montée fulgurante du franc, les investisseurs se sont rués sur cette monnaie refuge. Les marchés européens ont touché le point le plus bas jamais atteint en deux ans.

Alors que les Européens reviennent de vacances et que les dirigeants tergiversent, les investisseurs se sentent de plus en plus concernés par l’effondrement possible de la monnaie unique. Leur inquiétude s’étend à la déconfiture d’un ou plusieurs pays, ce qui conduirait à une crise économique mondiale.

 

Yannis M. Ioannides un grec made in USA

L’économiste Yannis M. Ioannides est le président de la Max et Herta Neubauer de l’université Tufts, à Medford dans le Massachusetts. L’économie de la Grèce n’a aucun secret pour lui. Il a été chercheur associé au Bureau national de recherche économique à Athènes, avant de devenir membre du Conseil académique de l’Institut d’économie politique d’Athènes, fonction qu’il occupe toujours. Il a également coprésidé le Groupe d’études grecques au Centre d’études européennes à la prestigieuse université d’Harvard.

 

JOL Press : Mi-août, la chancelière allemande Angela Merkel et le président français Nicolas Sarkozy ont proposé des initiatives pour faire face à la crise de la zone euro, sans réussir à convaincre les investisseurs. Les actions mondiales ont dégringolé. Une des idées Merkel-Sarkozy était de renforcer la gouvernance de la zone euro. Une étape vers une meilleure union financière pour l’Europe – essentiellement vers un budget commun et une gouvernance des dépenses politiques. Certains ont évoqué les États-Unis d’Europe. Y croyez-vous ?
 

Yannis Ioannides : Il ne fait aucun doute qu’une meilleure gouvernance aiderait à résoudre la crise, mais la vraie question est de savoir si l’Union européenne est prête à se rapprocher d’une sorte d’union politique qui impliquerait forcément une union fiscale. Je pense que Sarkozy, autant que Merkel, ont souhaité apaiser les marchés par le biais de déclarations politiques. À mon avis, leurs idées ne sont pas adaptées à la situation actuelle, elles appartiennent au passé.
Nous savons très bien ce qui est nécessaire actuellement : la croissance. Naturellement, il est important d’avoir des excédents afin d’être en mesure de fournir des prêts aux autres pays. En même temps, tout le monde comprend que les déficits sont parfois inévitables, de la même manière que les excédents apparaissent avec la croissance. L’élément majeur est donc la croissance. Les marchés ont profondément regretté ne pas avoir vu ce sujet abordé lors de la réunion de mardi. Ils ont d’ailleurs chuté, en partie, à cause d’un manque d’idées productives du sommet Merkel-Sarkozy. C’est un échec politique de l’Union européenne.

Jacques Attali, qui fut un temps bref à la tête de la Banque de développement européenne, a récemment déclaré au Conseil des relations étrangères que l’Europe ressentait le besoin de créer une fédération – avec une centralisation du budget, des obligations spécifiques et d’importantes restrictions sur les budgets nationaux. Attali a averti que si ce n’était pas fait rapidement, l’euro pourrait disparaître. Partagez-vous ou non ce point de vue ?
 

Oui, il a raison. L’idée que vous pourriez avoir une monnaie commune sans union fiscale est manifestement défaillante. La question est : comment voulez-vous construire les États-Unis d’Europe ? C’est impossible, à cause d’une faible mobilité du travail, d’un manque d’uniformité politique à travers la zone euro et de nombreux autres facteurs.
Au lieu de proposer des mesures innovantes à propos de choses qui concernent vraiment tous les Européens, les dirigeants européens sont seulement en train de faire le minimum nécessaire pour s’en sortir.

Faute d’union monétaire sans union fiscale, comment établir une union budgétaire à temps ?
 

Le problème est que les dirigeants des grands pays – l’Allemagne, la France, l’Italie – ne toléreront pas de devoir subventionner les autres, surtout si les bénéficiaires sont incapables de réciproque.
Comparez aux États-Unis. Prenons l’exemple du Massachusetts qui adresse des subventions à l’Arizona, de façon récurrente. Eh bien, en retour, l’Arizona subventionne le Massachusetts. Automatiquement, grâce à nos impôts, nos cotisations à la sécurité sociale, nos contributions à la caisse de chômage fédérale et autres dispositifs. Il s’agit là du système des vases communicants. Et si le Massachusetts n’utilise pas certains fonds, l’excédent est mis à la disposition de l’Arizona. Ce système de « subventions croisées » fonctionne en toute transparence, sans que vous ou moi n’ayons à en discuter. Ça fait partie de l’union fiscale américaine.

En Europe, les gens continuent à parler de l’Union européenne, mais ils oublient le simple fait que l’ensemble de son budget est inférieur à 2 % de son produit intérieur brut. Aux États-Unis, le PIB est beaucoup plus élevé, de l’ordre de 40 % selon certaines estimations. Ce système paraît difficile à mettre en place avec un budget estimé à seulement 2 %. Une union fiscale signifierait un budget de 20 % du PIB, soit dix fois plus qu’à présent. Les Européens y sont-ils prêts ? Je ne le pense pas.

 

La Banque centrale européenne doit-elle ou non émettre des euro-obligations : le débat fait rage. Dans ce cas, la dette deviendrait donc la source du crédit des pays membres de la zone euro, ce qui rendrait l’accès au crédit plus difficile pour les pays solvables. Votre opinion ?

L’inconvénient avec l’idée des euro-obligations, c’est qu’elle sera sans effet sur le plus important, à savoir la discipline budgétaire. Les pays qui connaissent des difficultés financières, comme la Grèce, ne seraient plus contraints de tenir leur promesse d’une attitude prudente, comme l’exige le Fonds européen de stabilité financière avant de libérer des fonds de sauvetage. Il n’y a rien dans le mécanisme des obligations européennes qui fasse jouer ce mécanisme. Aux États-Unis, la question ne se pose pas parce que les États sont autorisés à émettre des obligations pour les projets d’investissement, mais pas pour couvrir les déficits. Seules les autorités fédérales le peuvent, parce qu’elles détiennent le contrôle de la masse monétaire.
L’euro-obligation permettrait à la Banque centrale européenne de se calquer davantage sur le modèle de la « United States Federal Reserve Bank », la Réserve fédérale. Mais en même temps, les entités émettrices seraient toujours regardées avec suspicion par les marchés. Pourquoi la Grèce a-t-elle été incitée à la prudence ? La réponse n’est jamais clairement apparue dans les discussions. Dans son principe, l’euro-obligation est une bonne idée, la Banque centrale européenne y gagnerait un statut « standard », mais je n’ai rien entendu à propos de l’aléa moral.
D’autre part, l’euro-obligation aurait pour but d’aider l’Europe à prendre des mesures rapidement, sans passer par l’organisation d’un sommet, ce qui éviterait la complexité que génère toute prise de décision politique.

Si la zone euro n’est pas disposée à adopter l’une de ces politiques qui consistent en la mise en commun de budgets par les pays – comme l’émission d’euro-obligations ou la création d’une union fiscale –, est-il inévitable que certains pays fassent défaut ? Assisterons-nous à la sortie de certains pays de la zone euro ?
 

Je ne vois pas pourquoi la non-émission d’euro-obligations devrait pousser certains pays à se retirer de la zone euro. Je pense que les pays courent davantage un risque de défaut de paiement si leurs économies ne parviennent pas à se développer, plutôt que si les dirigeants ne parviennent pas à émettre des euro-obligations. Prenons l’exemple du Portugal qui se redresse, se porte beaucoup mieux, seulement quelques mois après son sauvetage. Non, je pense sincèrement que la solution se nomme croissance. Si la mise en œuvre de politiques favorables à la croissance se réalise, alors nous verrons le bout du tunnel et, plus important encore, les marchés se redresseront.

En ce moment, les gouvernements maintiennent une approche qui semble restreindre la croissance. Ils poursuivent l’austérité, ce qui favorise la déflation, ralentit la croissance et favorise le chômage. Est-ce la bonne stratégie ?
 

L’austérité est nécessaire pour réduire les déficits budgétaires, mais les gouvernements doivent réduire leurs dépenses insensées et déplacer une partie de ces dépenses dans les investissements pour les infrastructures, la création d’emplois et l’attribution de subventions à certaines entreprises.

Qu’entendez-vous par dépenses insensées ? Trop d’argent dépensé pour la bureaucratie ?

Je connais bien le secteur public grec. C’est incroyable ce que l’État paie sans réelle justification, sans aucun retour. C’est du pur gaspillage. L’État doit remanier le secteur public en suspendant les activités qui ne font que qu’absorber les recettes fiscales et donc mettre en place un système où les fonctionnaires seront évalués et éventuellement réorientés vers des activités plus productives. Mais ce n’est pas ce qui se passe. Ils en parlent, mais ils ne font rien.

Si la Grèce, l’Irlande ou le Portugal venait à défaillir, estimez-vous que l’Espagne et l’Italie en subiraient l’effet domino ?
 

Que ce soit ou non contagieux, à proprement parler, c’est une question empirique qui n’a pas été prise en compte. Je voudrais bien voir une étude sérieuse qui établit clairement que la Grèce, le Portugal et l’Irlande ont des répercussions sur l’Italie et l’Espagne.
Ce que je crois, surtout en ce qui concerne l’Italie, c’est que nous avons affaire à une crise politique. Oui, au début de l’été, le gouvernement italien a adopté des mesures rapides pour le contrôle de son budget. Mais les personnes concernées voudraient que le ministre des Finances, Giulio Tremonti, prenne surtout les devants pour régler le fond du problème et pallier des mesures prises trop hâtivement.
Quant à l’Espagne, le Premier ministre a décidé d’anticiper les élections en novembre au lieu du printemps prochain. Il est donc naturel que le public et les marchés perçoivent l’instabilité politique.

 

Quid de l’inflation ? Les dettes sont libellées en montants nominaux et l’inflation tend à les affaiblir en faisant affluer plus facilement les liquidités pour assurer les paiements. Certains médias français ont suggéré que l’inflation pourrait aider en annulant les taux d’intérêt – plus ou moins de la même façon que les acquéreurs de maisons dans les années 1960, notamment aux États-Unis, ont pu facilement rembourser leurs emprunts hypothécaires après l’inflation des années 1970…
 

Il ne fait aucun doute que l’inflation fausse la valeur réelle de la dette. Mais il s’agit d’une affaire très délicate. Il me semble que personne ne veuille d’une inflation. Les partis qui plaident en faveur de la prudence fiscale, l’Allemagne, les Pays-Bas, les pays scandinaves et l’Autriche, font tout actuellement pour ne pas connaître l’inflation. D’ailleurs, la chose la plus effrayante pour le public allemand, c’est l’inflation. Ils n’ont pas oublié qu’elle fut à l’origine de la montée en puissance d’Hitler.

 

Global Post/Adaptation Pasqualine Nelh – JOL Press

Quitter la version mobile