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La guerre des brevets ou le nouveau capitalisme juridique

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Un conflit planétaire s’est déclaré. Il s’agit de la bataille pour la domination du marché mondial des smartphones et des tablettes. Un marché extrêmement rentable. Le conflit se traduit par une guerre des brevets, avec des batailles judiciaires devant les tribunaux à travers le monde, et entre autres en Allemagne, en Australie, en Corée, aux États-Unis, au Japon et aux Pays-Bas. À ces conflits judiciaires s’ajoutent aussi des procédures devant l’International Trade Commission (ITC).

 

La nouvelle guerre des fabricants de tablettes et smartphones

Les affrontements opposent Apple à Samsung, mais on trouve aussi au cœur de la bataille le taïwanais HTC, aidé par Google. Les procès réciproques entre les constructeurs de téléphones mobiles et de tablettes sont fondés sur la violation de brevets, de dessins et de modèles. Ils visent à faire interdire la commercialisation des produits du concurrent. En outre, des procès opposent constructeurs, fabricants de composants, etc. Tous détiennent d’importants portefeuilles de brevets. Les plaintes sont des demandes de paiement de royalties, les contentieux visent à forcer des accords de licence.

Les procès récents ou courants opposent constructeurs de matériels et éditeurs de système d’exploitation pour ces terminaux.

 

Le Who’s Who de l’économie derrière les contentieux

La liste des protagonistes dans le contentieux est le Who’s Who de l’économie : le géant de la vente sur Internet Amazon, la deuxième capitalisation mondiale Apple, l’éditeur américain Barnes & Nobles, les pionniers suédois et finlandais du téléphone portable Ericsson et Nokia, le plus grand fabricant mondial de composants Foxcon, le géant de l’internet Google, HTC, Huawei, le leader des solutions chimiques pour la haute technologie Inventec, l’ancien leader de la photo Kodak, le conglomérat coréen spécialiste de l’électronique LG, le leader des logiciels pour entreprise Oracle, Motorola, le géant de l’informatique Microsoft, le leader américain des processeurs pour téléphones portables Qualcomm, le fabricant canadien des Blackberry, RIM, le conglomérat coréen Samsung, la multinationale japonaise Son, le géant chinois de la téléphonie mobile et en particulier des clés 3G, ZTE.

 

Alliances inévitables

Dans ce conflit mondial, des alliances sont formées à l’échelle planétaire pour mener les batailles judiciaires. Derrière les parties au litige se profile le conflit entre Apple et Android, c’est-à-dire Google. La part du marché smartphones des systèmes d’exploitation Android est de 48 %, ce qui mène à des coalitions Microsoft et Apple, alors que Google se pose en victime et organise un front contre Apple. Google se plaint des royalties qui doivent être versées à Microsoft par les constructeurs de terminaux animés par l’OS de Google. Microsoft gagne plus d’argent grâce aux ventes de smartphones à système de Google que ceux qui tournent avec le sien !

 

La manne des rachats de portefeuilles de brevets

La bataille fait rage pour le rachat de portefeuilles de brevets. Apple, RIM (Blackberry) et Microsoft se sont alliés avec d’autres constructeurs pour acquérir les brevets de l’équipementier Nortel en juillet. Le consortium a ainsi acquis un portefeuille de plus de 6 000 brevets pour 4,5 milliards de dollars (3,2 milliards d’euros).

Google a acquis la division mobile de Motorola et ses 12 000 brevets pour plus de 12 milliards de dollars (8,8 milliards d’euros). Cette acquisition est un moyen de renforcer la protection juridique des utilisateurs d’Android, mais il augmente aussi la vulnérabilité de Google puisque Motorola est visé par des plaintes d’Apple. Google a cédé à HTC il y a quelques mois une série de brevets, le moyen qui offre l’occasion au constructeur taïwanais de porter plainte contre Apple. Ces brevets avaient été achetés par Google à Palm, Openwave System et Motorola. Cependant, Oracle, l’éditeur de logiciels pour entreprises, accuse Google d’avoir utilisé sans autorisation du code de son langage Java pour créer Android !

 

La complexité des frontières technologiques

Les smartphones et tablettes utilisent de nombreuses techniques d’une ère informatique nouvelle : modes de connexion et interfaces utilisateur se mettent à l’heure l’interaction humain-ordinateur. Pour faire fonctionner leurs terminaux nomades, les constructeurs de téléphones dits intelligents intègrent des technologies multiples, depuis les télécommunications sans fil, les transmissions de données, qu’elles soient incorporées à des puces ou au logiciel, les écrans, la visualisation des images fixes ou vidéo, le fonctionnement des claviers physiques et virtuels, jusqu’aux couches de logiciel dans le système d’exploitation. La convivialité des produits se fonde sur une myriade de techniques et innovations : défilement des images, écran tactile avec fonction multitactile et multitâche. Les constructeurs de smartphones et de tablettes cherchent à utiliser la protection de la propriété intellectuelle liée à chacune de ces technologies, mais ils jouent aussi sur le design.

 

Propriété intellectuelle et technologies innovantes

Cette guerre des brevets met bien entendu en lumière le rôle des brevets, fondamental dans la propriété intellectuelle des technologies innovantes. Avec le conflit classique entre la liberté de création et d’innovation, et la protection des efforts et investissements liés à cette création. Cette dimension nouvelle de la propriété intellectuelle traduit non seulement l’évolution technologique, mais aussi l’évolution des entreprises depuis une trentaine d’années, et tout spécialement celle des entreprises du secteur dit des nouvelles technologies. Les innovations sont la combinaison de technologies en grande partie développées par des tiers – universités, laboratoires, centres de recherche d’entreprises –, lesquels fabriquent des composants ou développent des logiciels. La production est confiée à d’autres tiers dont les produits sont achetés par les constructeurs, acquéreurs au surplus des droits sur les logiciels.

 

L’évolution du modèle économique industriel

Le modèle économique a longtemps consisté en des techniques associées aux produits, protégées par le secret industriel et la maîtrise du processus de production. Désormais, ce modèle met en scène une entreprise qui se limite souvent à assembler des composants, et où la production est au contraire parfaitement maîtrisée par les fabricants de ces composants. L’entreprise entretient des relations purement juridiques avec ses fournisseurs, et son produit dépend de sa maîtrise juridique des droits sur les technologies impliquées. L’entreprise ne tire plus des profits de ses capacités de production, de ses outils de production, mais des droits qu’elle détient à l’égard des fournisseurs, des clients et des concurrents. La propriété intellectuelle se substitue à la propriété des moyens de production. L’évolution du capitalisme n’a pas été simplement une évolution vers un capitalisme financier, elle a été une évolution du capitalisme de production vers un capitalisme juridique.

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