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Le jour d’après… scepticisme à Jérusalem

Comme si souvent par le passé, la brève entrevue entre le président palestinien Mahmoud Abbas et le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou vendredi 23 septembre a peut-être souffert d’avoir suscité un peu trop d’attentes.

Le « blind date » d’Abbas et Netanyahou

Avec ces deux hommes d’un certain âge, aux parcours bien connus, c’était sans doute un peu trop d’espérer une conclusion miraculeuse, en dépit du cadre original de ce « blind date » inattendu.

Sans surprise, les deux s’étaient mis sur leur trente-et-un, veillant à arriver à l’heure, à masquer leurs travers les plus embarrassants et ne se résignant à mentir qu’en absence d’autre choix. Quel type de 45 ans se préparant pour une rencontre galante ne choisit-il pas son plus beau jean noir et un t-shirt soigné pour tenter de n’en paraître que 37 ?

C’était le genre de rendez-vous lors duquel les deux sont soulagés de ne pas avoir terminé dans l’appartement de l’autre, et regrettent d’avoir perdu leur temps. Et, une fois regagné dans la précipitation leur havre de paix, ne reste qu’un arrière-goût de vin amer.

C’est la situation dans laquelle se trouvent Israéliens et Palestiniens.

Et comme lors de tant d’autres occasions dans l’histoire, même leurs amis sont déjà las d’entendre le récit de la rencontre.

Un vendredi soir ordinaire à Jérusalem

Vendredi soir, les places centrales de Ramallah et Bethléem étaient remplies d’une foule impatiente d’entendre les appels d’Abbas à la pleine reconnaissance d’un État de Palestine à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies. Sur des écrans géants, son discours était retransmis en direct. Mais à Jérusalem, rien, pas même les événements dramatiques, historiques, d’outre-Atlantique ne sont pas parvenus à interrompre, le cours normal, sacré, du week-end des Jérusalémites.

Les Arabes, musulmans ou chrétiens, à Jérusalem est, et les Juifs, pour l’essentiel à l’ouest, étaient unis par le même ennui. Dans les bars de toute la ville, la vie a suivi son cours comme si de rien n’était.

Tant d’autres préoccupations

Au Sira, un bar populaire de Jérusalem ouest, les regards des jeunes hommes, occupés à boire et fumer, trahissaient leur totale incompréhension à la demande d’une réaction sur la guerre des mots qui se déroulait au même moment à l’Assemblée générale des Nations unies. Une seule chose les préoccupait, la fraîcheur inhabituelle pour cette saison et la bruine qui gâchait la soirée.

Les habitants de Jérusalem, quelle que soit leur confession, ont une sainte horreur de la pluie. L’Autorité palestinienne avait annoncé que le discours d’Abbas serait diffusé sur un grand écran installé au-dessus de la porte de Damas à Jérusalem est. Environ 80 journalistes ont fait le déplacement, les Palestiniens n’étaient pas plus d’une dizaine et, plus étonnant encore, il n’y avait pas d’écran.

Les reporters désespéraient de trouver quelqu’un à interviewer. Plus tard, dans les bars de Sheikh Jarrakh à Jérusalem est, les clients, tout occupés à profiter du congé de fin de semaine, haussaient les épaules et tiraient sur leurs narghilehs, déconcertés par la même question sur le sujet. « Honnêtement, cela ne pourrait pas moins m’intéresser. Pourquoi est-ce que je les regarderais ? » demandait un jeune Arabe, prétendant se prénommer Jalal.

Deux leaders appartenant au passé

Le lendemain matin, même constat.

Au café Smadar, réputé pour son brunch, Arnon Friedman finit un café partagé avec son fils, Yonatan. Friedman, homme d’affaires juif laïque, a complètement ignoré les discours. « Ils ne font que de se répéter, sans arrêt. Aucune avancée. Ils sont tous les deux enfermés dans le passé et passent leur temps à tenir l’autre pour responsable », estime-t-il. Son fils, un étudiant en architecture de 29 ans, a manqué l’intervention d’Abbas mais a vu une partie de celui de Netanyahou, sans bousculer son programme pour le dîner. « J’espère que cela va conduire à la paix, mais j’ai des doutes », avoue-t-il.

L’appel à la modération d’Obama

Les médias israéliens ont rapporté que le président américain Barack Obama avait demandé à Netanyahou de modérer son discours, et que celui-ci y avait consenti. Saeb Areikat, le négociateur palestinien, qui a plus de 20 années d’expérience dans les négociations de paix, a déclaré à Israël Radio, « j’espérais voir des Israéliens à Tel Aviv, Haïfa et Jaffa agiter des drapeaux palestiniens pour célébrer avec nous ».

À côté d’eux, un père, occupé à rappeler à l’ordre ses deux petites, sourit : « Moi non plus, je n’ai rien regardé ». Le chef du Smadar, Diae Sabri, un Arabe originaire de la ville de Jaljulia, alors qu’il sort fumer une cigarette, ne mâche pas ses mots : « Pour dire la vérité, tout simplement, ils ne m’intéressent pas. »

Abbas peaufine sa place dans l’histoire


Ra’ed Taha, 35 ans, le propriétaire d’Abu Shukri, le restaurant à hummus à deux pas de la porte de Damas, explique que l’affluence était telle qu’il a dû refuser des clients samedi matin. Il pense qu’Abbas a tenté son pari onusien pour soigner sa place dans l’histoire, et non parce qu’il en espère de véritables changements. « Je ne crois pas du tout que ce soit la bonne décision », affirme Taha, lui-même musulman. « Les choses vont bien. Les affaires marchent. Nous avons des touristes ici, les gens viennent manger de jour comme de nuit. Ce n’est pas le bon moment pour mettre le bazar ».

La crainte du désordre

Taha, dont la famille possède deux autres restaurants réputés de Jérusalem, prévoit d’ouvrir son premier établissement à Tel Aviv dans quelques mois. Il cherche un local. Mais il n’a encore rien signé, « mais je dois juste m’assurer que tout reste tranquille ». Amro Izhiman, arabe musulman de 28 ans et lui aussi héritier d’un autre empire gastronomique de la ville, l’El Dorado Coffee et le Chocolate Emporium, est opposé à l’initiative d’Abbas pour de tout autres raisons.

Un coup trop tard ?

« Si les Nations unies voulaient reconnaître la Palestine, elles auraient dû le faire il y a trente ans, dans les années 1970 », explique-t-il. Izhiman s’oppose à la solution des deux États dont les deux dirigeants sont partisans. « Je crois à la solution d’un seul État. Je veux rester Israélien et Palestinien et vivre dans un État unique. La seule bonne chose qui pourrait sortir de ce qui se passe, ce serait que les États-Unis utilisent leur veto et que l’Autorité palestinienne soit démantelée ».

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