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Le royal zèle du Premier ministre Harper

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Toronto, Canada. Le Premier ministre canadien serait-il obsédé par la monarchie britannique ?


Un premier ministre plus qu’enthousiaste


En quelques semaines seulement, Stephen Harper a remonté le temps.


Il a réintégré le mot « royal » dans les branches de l’armée canadienne : « Maritime Command » a été rebaptisé « Royal Canadian Navy », « Air Command » en « Royal Canadian Air Force ». Il a ordonné à toutes les ambassades et à tous les consulats canadiens dans le monde d’accrocher aux murs des photos de la reine d’Angleterre.


Ces mesures s’ajoutent à la récente publication d’un guide d’information des nouveaux citoyens canadiens où se voient soulignées la monarchie et l’histoire des forces armées canadiennes. En plus, le gouvernement prévoit une série de célébrations l’année prochaine pour fêter le succès des Britanniques dans la guerre qui les opposa aux Américains en 1812 !


Eh oui : le Canada est bien une monarchie constitutionnelle dont la reine Élizabeth II demeure le chef d’État.


Des sujets réticents


Toutes ces mesures semblent aller à l’encontre du sentiment de la plupart des Canadiens : selon les sondages, au mieux, ils seraient indifférents à la royauté, et n’auraient pas la moindre idée de son fonctionnement. Mais les Québécois francophones ont tendance à voir plus loin dans l’histoire, et perçoivent la couronne britannique comme un symbole d’oppression. Leur sentiment vis-à-vis de l’attitude du Premier ministre était prévisible : ils se sentent profondément insultés.


Pourquoi rappeler à une nation moderne, vibrante et multiculturelle, son passé colonial si éloigné ? Harper, grand requin blanc du monde politique canadien, a-t-il vraiment mis de côté ses instincts politiques ? D’ordinaire politique plutôt fin, a-t-il succombé au symbolisme d’un Canada disparu ?


Autrement dit : qu’y a-t-il à gagner, politiquement, à dépoussiérer les portraits d’Élizabeth II ?


Le facteur « Will et Kate »


Si le Canada est encore une colonie, c’est alors une colonie américaine – et non britannique. Mais un des seuls contrepoids à la dominance de la culture populaire des États-Unis est l’occasionnelle visite royale. On peut donc comprendre que lorsque le duc et la duchesse de Cambridge ont choisi le Canada pour leur première visite officielle, le gouvernement Harper voulait marquer l’événement. Leur voyage de neuf jours par avion, bateau, hélicoptère et hydravion était une extravagance conçue pour la télévision – et des célébrations somptueuses pour la fête nationale à Ottawa, à la poussière de la grande fête du rodéo à Alberta Calgary en Alberta, il ne manquait rien au spectacle.


L’avantage : le Premier ministre et son gouvernement n’ont pas raté une occasion pour apparaître aux côtés d’un couple auquel on accorde le mérite d’avoir redoré de son lustre l’image ternie de l’héritage royal.


L’inconvénient : il n’y en a pas !


Vive la reine !


Malgré une accumulation de dettes, plusieurs divorces et la mort de Diana, sans doute Élizabeth II est-elle toujours populaire au Canada, ne serait-ce que forte du contraste avec les déboires du reste de sa famille. Et même si la plupart des Canadiens ne s’en rendent même plus compte, sa tête figure toujours sur la monnaie du pays…


L’avantage : si vous avez trouvé qu’on en a trop fait avec le show de Will et Kate, attendez de voir ce que M. Harper prépare pour le 60e anniversaire du règne d’Élizabeth II ! Les célébrations ont même été incluses dans les promesses électorales de son parti.


L’inconvénient : comme sa mère, Élizabeth vivra peut-être jusqu’à cent ans. Mais peut-être pas. Est-ce que le peuple canadien aura la même sympathie pour son infortuné fils, Charles ?


Révision de l’héritage Trudeau ?


À part un bref interlude, Pierre Trudeau fut Premier ministre de 1968 à 1984. Lui et son Parti Libéral ont fondamentalement altéré le visage de la nation en embrassant le multiculturalisme, en modernisant le code criminel, et en introduisant une charte des droits et libertés. Et puis il a surtout « rapatrié » la constitution canadienne, dont les amendements avaient jusque-là nécessité l’approbation de la Grande-Bretagne.


L’avantage : même s’il est mort en 2000, Trudeau fut le vrai rival politique du Premier ministre Harper, qui s’en souvient : il a intérêt à détruire une grande partie de son héritage.


L’inconvénient : Trudeau reste une figure populaire pour de nombreux Canadiens, certains le voient comme un père fondateur. Défaire ses accomplissements historiques considérables entraînerait sûrement de sérieux contrecoups.


Marginaliser les socialistes ?


Les élections fédérales en mai ont fondamentalement réarrangé le paysage politique canadien. Harper a enfin obtenu une majorité de sièges au Parlement, les libéraux, une fois très puissants, ont été réduits à la troisième place, et le Nouveau Parti démocratique (NPD) est devenu l’opposition principale, en grande partie parce qu’il a raflé toute la province du Québec.


L’avantage : en forçant le NPD à défendre les intérêts du Québec, Harper espère limiter sa capacité à progresser dans le reste du pays.


L’inconvénient : isoler le Québec est une stratégie risquée pour une province qui a régulièrement menacé de se séparer du reste du pays.


L’effet Dark Vador


Les critiques à l’encontre d’Harper tournent en dérision sa manie de tout contrôler, jusqu’à émietter certaines institutions qui contestent le pouvoir du gouvernement. « Dans le monde d’Harper, la souveraineté n’appartient pas au peuple, elle appartient à l’État, attaque l’historien et auteur Mark Bourrie. Ce genre de monde est une hiérarchie dans laquelle la personne qui détient le vrai pouvoir siège juste sous la reine. »


L’avantage : après la mort tragique, des suites d’un cancer, du chef charismatique du NPD, Jack Layton, Harper n’est quasiment plus contesté sur la scène politique nationale.


L’inconvénient : Harper détient peut-être la majorité parlementaire, mais cette domination s’explique en grande partie par la division en trois de l’électorat. La majorité des Canadiens a voté contre lui, et un grand nombre d’entre eux craignent qu’il peaufine un agenda secret ultraconservateur où sera restaurée la peine de mort et rendu illégal l’avortement. Revenir aux racines coloniales du pays n’aidera sûrement pas à apaiser cette peur.


Tendre la main aux traditionalistes ?


Sur l’ensemble, les Canadiens sont peu nombreux à s’identifier à la famille royale, mais se font cependant entendre quelques groupes de citoyens qui soutiennent cette idée, particulièrement dans les provinces sur la côte Atlantique, certaines régions rurales d’Ontario, et, bien sûr, en Colombie britannique. Tous ces Canadiens votent conservateur.


L’avantage : le renforcement de l’autorité et de la tradition en dit long sur le sentiment de plus en plus courant que le pays a perdu son sens des valeurs communes. « L’impact des médias de masse et l’ampleur de l’influence culturelle américaine signifient que l’identité vraiment canadienne est en danger de disparition, a écrit Michael Erwin dans une lettre au Victoria Times. Appelez-moi Canadien, et donnez-moi nos burettes de vinaigre, nos tuques [casquettes, ndlr] et nos chemises de bûcheron, cet adorable rongeur aux dents proéminentes, et le portrait de la reine dans les bâtiments publics. »


L’inconvénient : Harper vient peut-être de se placer dans une position délicate en aidant l’opposition à se rallier contre lui. Car, après tout, comme l’a souligné l’historien Jack Granatstein, « personne ne voulait ça ». Certains commencent à critiquer ouvertement cet esprit conservateur, de quoi stimuler un groupe d’électeurs hostiles au gouvernement qui n’existait pas avant.


 


Global Post/Adaptation J. Fereday – JOL Press

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