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Les réfugiés de la guerre contre la drogue

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Mexico City, Mexique. Lorsque le caméraman Alejandro Hernandez a été kidnappé au cours d’un reportage sur un cartel de drogue, lorsqu’il a été attaché à une chaise et frappé à la tête, il a prié pour que la police mexicaine vienne le secourir.

Mais lorsque les voyous l’ont enfin relâché au bout d’une semaine, et qu’il a rencontré une patrouille de police fédérale, il a su qu’il n’était pas tout à fait au bout de ses peines…

Plutôt que d’emmener le caméraman blessé à l’hôpital, les policiers l’ont immédiatement emmené à une conférence de presse. Ils voulaient à tout prix montrer qu’ils gagnaient la guerre contre la drogue. Mais Hernandez craignait le pire : être utilisé comme témoin potentiel contre le cartel.

 

Piégés entre les cartels et la police

Pour protéger sa vie, le père de famille de 44 ans a fui de l’autre côté du Rio Grande, à El Paso, et rédigé une demande d’asile politique. Accordé en août 2011, après un an d’attente.

« Il était piégé entre le cartel et la police fédérale, explique Carlos Spector, l’avocat d’Hernandez. Il avait un dossier tellement solide, c’était impossible de refuser sa demande. »

Hernandez est l’un des nombreux Mexicains à demander l’asile politique aux États-Unis à cause de la guerre contre la drogue qui ravage leur pays natal.

 

Un nombre croissant de demandeurs d’asile

En 2006, lorsque Felipe Calderon a été élu président et qu’il a déclaré une répression totale des cartels de drogue, 2 818 Mexicains ont rempli une demande d’asile aux États-Unis – une augmentation sensible par rapport à l’année précédente (2 670). La tendance s’est confirmée : l’année dernière, ils étaient 3 231, et, selon certains avocats, le nombre augmentera encore cette année, d’autant plus que le cas Hernandez a créé un précédent.

« Je reçois cinq ou six demandeurs dans mon bureau chaque jour avec de nouvelles demandes, presque toutes liées à la guerre contre la drogue », chiffre Spector, qui travaille à El Paso, en face de l’autre rive où s’étale Ciudad Juarez, capitale du meurtre.

« Longtemps, les Mexicains sont restés démotivés car les juges refusaient très souvent leur demande. Mais les nouveaux cas sont extrêmement solides car la situation au Mexique est hors de contrôle en ce moment. »

 

Des juges réticents

Les juges américains se sont montrés traditionnellement plus durs avec les candidats mexicains qu’avec d’autres nationalités. L’année dernière, ils ont accordé l’asile à seulement 49 % des Mexicains en attente – 2 % des candidats au total. Par contraste, ils ont donné l’asile à 3 795 des 10 087 candidats chinois – soit 38 %. Ils ont également donné l’asile à la majorité de demandeurs arméniens : 206 personnes sur 232.

Les avocats de l’immigration estiment que cette réticence à l’égard des demandes mexicaines s’explique par une crainte : le déferlement de dizaines de milliers d’autres… qu’ils ne pourront repousser.

Or 12 millions de Mexicains vivent déjà aux États-Unis, la moitié sans papiers, selon le Pew Hispanic Center.

Certes, mais le degré de violence actuel au Mexique force à présent les juges à accorder l’asile politique plus que jamais.

 

Le nouveau profil des demandeurs d’asile

Avant que la guerre contre la drogue ne se soit aggravée en 2006, les demandeurs d’asile étaient le plus souvent des homosexuels qui se disaient persécutés pour leur sexualité. Désormais, les demandeurs disent craindre pour leur vie. Et pour cause : depuis 2006, on a enregistré 40 000 meurtres liés à la drogue.

Pour se faire accorder l’asile politique, les postulants doivent prouver qu’ils sont persécutés parce qu’ils appartiennent à un groupe en particulier, ou à cause de leurs croyances religieuses ou politiques.

Dans le cas du caméraman Alejandro Hernandez, son avocat a maintenu qu’il avait été attaqué directement à cause de son travail pour la chaîne de télévision Televisa. La condition – appartenir à une catégorie, en l’occurrence celle des journalistes – était remplie.

« Il faisait un reportage dont le cartel Sinaloa ne voulait pas entendre parler », est-il écrit dans son dossier déposé devant la cour fédérale de l’immigration à El Paso.

 

Un danger certain

Alejandro Hernandez a été kidnappé dans l’État de Durango en juillet 2010. Son reportage portait sur des prisonniers d’un pénitencier fédéral qui avaient quitté leurs cellules pour commettre un massacre, avant de retourner en prison. « La situation politique au Mexique est tellement surréelle que les juges américains ont du mal à la comprendre, remarque l’avocat Spector. Mais les faits sont irréfutables. »

D’autres demandeurs d’asile ont prouvé que les forces de sécurité envoyées pour réprimer les gangs de dealers les avaient pris à partie.

Cipriana Jurado, une militante des droits de l’homme de 46 ans, originaire de Ciudad Juarez, s’est vue attribuer l’asile cette année parce que l’armée mexicaine, disait-elle, « était à ses trousses ». Jurado a travaillé avec Amnesty International sur le cas de deux jeunes hommes apparemment kidnappés et tués par des soldats envoyés dans la rue pour combattre les gangs de trafiquants. « Je crains les cartels, mais je crains encore plus l’armée, confie Jurado. Ces soldats ont tué de nombreux innocents. N’importe quel militant des droits de l’homme qui se tiendrait sur leur chemin est en danger. »

Le département de la Défense mexicaine a promis de punir tout soldat en tort, et assure que des dizaines de militaires impliqués dans la guerre contre la drogue ont été jugés coupables d’homicide devant la cour martiale.

Mais plusieurs militants et avocats des droits de l’homme ont été tués par balle cette année à Juarez, et les crimes n’ont pas encore été résolus. À cause de ce bain de sang, Jurado s’attend à ce que de nombreux autres militants de tout le Mexique fuient le pays. « Nous ne pourrons peut-être jamais retourner chez nous, et c’est très triste. Il me manque plein de choses du Mexique. Mais ce qui se passe là-bas en ce moment est tragique. »

 

Global Pos/Adaptation J. Fereday – JOL Press

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