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Les Temples d’Angkor menacés par le tourisme

Le Temple d’Angkor a résisté à toutes les épreuves depuis un millénaire

Le Temple d’Angkor a survécu aux éléments naturels, aux attaques des pilleurs et aux guérillas des communistes.

Près d’un millénaire après la création du temple au XIIe siècle, il doit faire face à une menace bien plus importante : les millions de touristes qui grimpent chaque jour sur les façades des temples, déjà fragilisés, pour assister au coucher du soleil.

Les Temples d’Angkor font exploser le tourisme. Alors qu’ils étaient enfouis dans la jungle pendant des siècles, inaccessibles pendant les décennies de guerres au Cambodge, le site attire maintenant plus d’un million de touristes chaque année.

« Vous avez vu ? » lance Hyo-Soon Park, un chargé de projet sud-coréen qui montre fièrement la vue du site depuis le balcon de son bureau. Il montre la plus haute tour du temple qui forme une sorte de doigt en grès au-dessus des arbres. « Quand tout sera terminé, les clients seront en mesure de voir le panorama depuis leur chambre d’hôtel. Ils vont adorer. » Sans doute. Les conservateurs ont beau grincer des dents face à l’exploitation commerciale du site, la « disneyation » des temples n’est qu’un début.

 

Le projet de Park s’intitule Angkor Coex. Il prévoit l’extension du site d’Angkor par des terrains de golf, des hôtels de luxe, des magasins non-taxés et un centre de conférences. Il comportera également la construction d’un centre dédié au bien-être. La fin des travaux est normalement prévue d’ici à un ou deux ans.

 

Quand l’argent prime sur l’Histoire

Pour Park, « l’essentiel est : comment attirer les touristes, faire en sorte qu’ils ne restent que sur le site et y consacrent d’importantes dépenses ? » Après une longue période de baisse de fréquentation, le Cambodge s’attend maintenant à accueillir 2,8 millions de visiteurs en 2011. Soit le double par rapport à 2005 et presque 25 fois plus qu’en 1993 où l’on avait enregistré seulement 118 000 touristes.

Les tours opérateurs asiatiques participent grandement au développement économique du tourisme cambodgien. Les touristes chinois, selon le ministère du Tourisme cambodgien, ont augmenté de 29 % l’année dernière. Ils sont la cible phare du projet Angkor Coex.

La majorité de ces touristes voudront grimper sur les monuments et visiter l’intérieur des temples d’Angkor. Mais les conservateurs s’y opposent car ils déplorent les dommages que peut créer une telle fréquentation du site.

 

Des millions de visiteurs détruisent le site à petit feu

Jeff Morgan, directeur exécutif du Fonds pour le Patrimoine mondial, aux États-Unis, établit la comparaison avec un chef-d’œuvre : « Vous devez y penser comme on y a pensé pour Mona Lisa. Si tout le monde touche Mona Lisa, on va la détruire. C’est ce qu’il se passe à Angkor. » Morgan déplore que « des millions de personnes escaladent partout le site ».

Longtemps oublié, caché par une jungle dense, le temple a été popularisé en Occident grâce à sa redécouverte, en 1860, par l’explorateur Henri Mahout. Il écrivit plus tard : « C’est plus grand que tout ce que nous ont laissé la Grèce ou Rome, un triste contraste avec l’état de barbarie dans lequel la nation est plongée. »

C’était il y a 150 ans. De nos jours, une visite a Angkor Wat peut s’apparenter à un samedi dans un parc d’attractions. Les bus déversent des milliers de touristes, une foule bruyante qui se rue sur les temples que bâtirent les servants du défunt roi Suryavarman II (décédé vers 1150).

 

Des recommandations simples pour sauver le patrimoine

Morgan s’indigne : « Toutes ces personnes qui usent la pierre avec leurs chaussures ! C’est inacceptable ! Notre organisation a pourtant préconisé des actions simples pour conserver le site : construire des passerelles en bois, limiter le nombre de visiteurs journaliers et mettre en place un service de sécurité avec des gardes pour empêcher aux gens de grimper sur les pierres. »

Morgan constate tristement que les touristes ne sont pas les seuls coupables. D’après lui, le gouvernement est en cause car sa priorité va à la réponse donnée à la demande touristique.

Les édifices sont parfois restaurés avec du béton et des armatures en acier, ce qui provoque des dommages irréversibles. Morgan se révolte : « Ils se basent simplement sur de vieux croquis d’une exposition française datant de 1930. Ce n’est absolument pas scientifique ! »

L’équipe du Patrimoine mondial conserve un petit temple nommé Bantaey Chhmar et s’est juré de ne pas répéter la même erreur qu’avec Angkor Wat.

Les dommages causés à Angkor Wat sont particulièrement graves. Le temple revêt une signification profonde pour les Cambodgiens, précise Sotheara Vong, historien khmer à l’université royale de Phnom Penh. Les ruines sont une source de fierté que le pays veut à tout prix conserver pour lutter contre des siècles d’invasions étrangères, de domination coloniale française et de guerre. Pour Sotheara, « c’est notre fierté nationale, notre ciment de l’histoire, notre identité ».

 

Mais pour le moment, les autorités cambodgiennes montrent peu d’empressement à endiguer le flot de touristes prêts à payer l’entrée d’Angkor Wat. Une réelle opposition enfle entre les conservateurs qui se battent pour préserver les temples et les investisseurs de toute nationalité qui ne cessent de développer des projets pour capitaliser cette ruée vers l’or touristique.

En indiquant sur son plan un très grand mur d’Angkor Coex, l’historien détaille les futures installations : « Ici, il y aura un coin pour les artistes. Ils pourront montrer aux visiteurs comment les anciens travaillaient le bois, la soie et la pierre. Ensuite, ils pourront l’acheter l’œuvre. »

GlobalPost/Adaptation Pascaline Nelh-JOL Press

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