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L’Europe fédérale, solution miracle ?

Tout se passe comme si les États, membres d’une même famille – les « Zoneuro » – lavaient leur linge sale en famille quand la bise fut venue. L’Allemagne joue les « fourmis » de la fable auprès des cousines, les « cigales » grecque, italienne, portugaise… qui n’ont pourtant guère dansé tout l’été. La France, le grand frère encore fréquentable, solvable mais endetté, tente encore de faire jouer la solidarité européenne. Le banquier, lui, Banque centrale européenne et FMI réunis, conditionne ses subventions à des économies drastiques qui ont bien peu de chances de se réaliser… dans le court terme.

 

Dette grecque : mission impossible

Demander, comme l’a fait la BCE, 45 milliards d’euros d’économies à l’Italie en deux ans est aussi vain que de demander à une famille surendettée de vivre avec 1 € par jour… Faire appliquer à la Grèce le plan du 21 juillet relève de la même improbabilité : entre-temps, le déficit public grec est passé à 8,8 % du PIB. « L’obligation d’État à deux ans a atteint un taux d’intérêt de 50 % », lit-on dans Le Figaro. « La dette est hors de contrôle », a confirmé le précédent ministre des Finances grec. Pour la première fois, un État est en cessation de paiement, même si le banquier Michel Pébereau (BNP Paribas) préfère jouer sur les mots en expliquant que seule une entreprise peut essuyer des pertes quand un État creuse son déficit. Qu’on le dise d’une façon ou d’une autre, la Grèce ne peut rembourser sa dette.

 

L’autorégulation des marchés, un concept balayé

On pourrait ainsi filer la métaphore familiale à l’envi, avec les autres familles du globe, la famille états-unienne, plus riche parce que la plus grande et la plus avancée, mais dont les membres, gros consommateurs, croulent sous les dettes, comme la plus industrieuse, la famille pékinoise, créancière de toutes les autres familles, mais dont les enfants, très nombreux, vivent dans des conditions déplorables. L’image a ses limites : la mondialisation a brisé les cercles « familiaux », et la crise systémique rend impossible la rationalisation cartésienne d’événements en interrelation à l’échelle planétaire.

Le 5 septembre, à Paris, un colloque organisé par l’Institut Montaigne a érigé ce mot, « systémique », en explication, en excuse et en solution de tout. Autant dire que la prise en compte de la réalité à travers « l’instabilité, l’ouverture, la fluctuation, le chaos, le désordre, le flou, la créativité, la contradiction, l’ambiguïté, le paradoxe » (composantes de l’approche systémique) interdit toute solution « simple », et jette à bas les écoles et les politiques : le « credo de l’autorégulation des marchés » que l’hebdomadaire L’Express attribue à la droite en France (17/23 août) vient de voler en éclats. Sans rien pour le remplacer.

 

Des budgets établis sur une croissance inaccessible

Les États croulent sous les dettes. Cela, la crise de 2008 aux États-Unis, dite des subprimes, l’avait quelque peu camouflé[1]. Et cette crise-là, celle de 2008, était censée circonscrite, elle qui avait affecté les banques, non les États (mais par contrecoup les ménages, les entreprises… donc les États : le systémique était déjà à l’œuvre).

Si bien qu’en affichant, dès 2010, des résultats record, les banques de la zone euro ont donné l’impression que la crise était déjà jugulée. Pourtant, à des degrés variés mais toujours à jets continus, les États ont continué à emprunter dans un contexte généralisé de désindustrialisation – hors l’Allemagne et ses PME exportatrices – et de ralentissement économique : le PIB européen n’a progressé que de 0,2 % par rapport au premier trimestre 2011 (Eurostat). Même le moteur allemand a « serré » : 0,3 à 0,5 % d’augmentation de la production attendue, 0,1 % au final. Or les gouvernements – la France en tête – continuent à établir des budgets fondés sur une croissance inaccessible. La fameuse « règle d’or » brandie par un gouvernement que préoccupe sa réélection ne dépasse le cadre d’un effet de communication : imposer à partir de 2013 une « loi-cadre d’équilibre des finances publiques » sur trois ans sans chiffrer l’objectif de réduction du déficit n’a pas de sens. En Allemagne, les choses sont plus claires : la règle d’or de 2009 interdit un déficit structurel supérieur à 0,35 % du PIB à partir de 2016. Le président de l’Autorité des marchés financiers, Jean-Pierre Jouyet, invité par l’Institut Montaigne, n’imagine pas un seul instant une « règle d’or » qui ne s’appliquerait pas à tous les États de l’Europe : « Le contenu doit être réel ».

 

Europe fédérale

Autant de constats qu’alignent les experts réunis par l’Institut Montaigne devant un parterre de journalistes et d’anxieux venus boire les paroles de messieurs qui commençaient tous leurs phrases par « il faut » (pas une seule femme à la tribune).

« Il faut, a répété Jean-Claude Trichet, ex-futur président de la Banque centrale européenne, relayé par son successeur, l’Italien Mario Draghi, accélérer la construction européenne ». Pour aboutir à une gouvernance capable de « fédéraliser » l’Europe, au moins sur le plan de ses politiques monétaires ». Donc conférer à un « ministre des Finances européen » l’autorité voulue pour sanctionner les États membres qui s’écarteraient du pacte de solidarité. « Un jour, a dit Jean-Claude Trichet – et dans son esprit le plus tôt sera le mieux – nous connaîtrons une Europe fédérale, capable de prendre des décisions fédérales s’imposant à tel pays dont le comportement serait contraire aux intérêts supérieurs de la communauté. » En attendant « ce jour », Jean-Claude Trichet n’a pas caché qu’il fallait immédiatement faire appliquer, coûte que coûte (aux Grecs) les dispositions du 21 juillet.

 

Constat d’échec

« Trop tard, trop peu », des pouvoirs publics qui « ont raté le coche depuis vingt ans », un fédéralisme improbable au cœur d’une Europe « populiste, terroriste, séparatiste » (sic), les intervenants, qu’ils soient plutôt à droite, plutôt à gauche, de l’ex-secrétaire d’État et néanmoins socialiste en 2007 Jean-Pierre Jouyet à Nicolas Baverez, l’économiste du « déclinisme », n’ont pas eu de mots assez durs pour qualifier les vingt ans d’errance d’un système économique à repenser. Côté solutions, la liste se montre plus courte. Hors l’optimiste Trichet, qui voit des « progrès importants accomplis dans les avancées du G20 » et la « résilience des entités individuelles, des institutions financières, des banques et de l’ensemble du système financier », ni le colloque de l’Institut Montaigne ni les prises de position de quantité d’économistes relayées dans les médias ne semblent offrir de perspectives de sorties de crise claires et partagées.

 

À chacun sa recette

Le tour d’horizon de L’Express, déjà cité, par exemple, foisonne de propositions qui donnent une idée de l’impossibilité d’affronter la crise systémique à l’aide d’une vision universelle convaincante : le sociologue Paul Jorion (le capitalisme à l’agonie, Fayard, 2011) rêve d’« interdire les paris sur les spéculations des prix à travers les produits dérivés », tels les CDS qui spéculent sur les risques de défaut des États. L’économiste Jean-Luc Gréau (La trahison des économistes, Gallimard, 2008) prône un protectionnisme des salariés contre les bas salaires des pays émergents, par la mise en place de tarifs douaniers frappant les importations de produits de ces mêmes pays. Sa consœur Karine Berger (Les trente Glorieuses sont devant nous, Rue Fromentin, 2011) mise sur l’innovation et un plan de 100 milliards d’euros sur trois ans de la part du gouvernement à venir en 2012 sur l’énergie, la santé, les transports, les réseaux numériques. Un autre économiste, David Thesmar (La société translucide, Fayard, 2010), est aux antipodes en suggérant le retour de la bonne vieille inflation, sur le court terme, pour annuler la dette par un taux zéro. L’homme du rapport sur la dette, Jacques Attali (Tous ruinés dans dix ans, Fayard, 2010), incrimine la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée (« […] si la baisse du coût du travail était le facteur clé […], alors Haïti et le Bangladesh seraient les grands gagnants de la mondialisation ! »), ne croit pas à une inflation par les coûts salariaux puisque les salaires sont contraints par la mondialisation et le chômage, plaide pour une « TVA emploi », le financement de la protection sociale par une taxe sur les importations (de quoi combler son collègue Gréau), relais des cotisations des entreprises, ainsi libérées de cette charge.

Mais l’ouvrage le plus anxiogène risque d’être celui de Marc Roche, journaliste spécialisé finances correspondant du Monde en poste à la City de Londres : La banque – Comment Goldman Sachs dirige le monde (Albin Michel, 2011). Son exploration des paradis fiscaux et du rôle des banques – de Goldman Sachs aux banques françaises – semble vouer à l’échec toute tentative de moralisation. Des banquiers qui pilotent l’agenda des politiques. Une façon de plaider pour une réglementation européenne sévère et contraignante – et, au-delà, du monde planétaire de la finance. « Il faut casser ces géants bancaires ».

Autant de « bonnes idées » qu’aucun des candidats à l’élection présidentielle française en 2012 ne véhicule dans son programme.


[1] Rappel utile : Les subprimes sont ces foyers à faibles revenus auxquels les agents immobiliers, appuyés sur les banques, ont vendu au cours des années 1990 et 2000 des maisons hors de leurs moyens réels en leur expliquant qu’elles prendraient toujours plus de valeur hypothécaire, donc qu’ils pourraient toujours réemprunter pour faire face à l’emprunt – ce qui se révéla suicidaire.

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