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Pourquoi tant de colère contre le pape ?

Berlin, Allemagne. Fanfare et grand apparat, Benoît XVI, le pape allemand, arrive jeudi 22 septembre dans son pays natal pour une première visite d’État. Mais ce qui devait être un retour triomphant provoque indifférence, controverse, et même protestations de masse.

Un retour controversé

Le souverain pontife pourrait bien être encore moins populaire dans son Allemagne natale que partout ailleurs en Europe.

Le chef de l’Église catholique livrera un discours au Parlement allemand à Berlin, mais on s’attend déjà à voir des chaises vides : près de cent parlementaires des partis de gauche ont annoncé qu’ils boycotteront le discours, qu’ils jugent comme une atteinte aux principes de division entre l’Église et l’État. Et non loin du Bundestag, à la porte de Brandebourg, au moins 20 000 manifestants devraient se rassembler.

À l’approche de cette visite, le pape était sur la défensive : « Il ne s’agit pas de tourisme religieux et encore moins d’un spectacle », a-t-il dit sur le plateau du Monde Dimanche, la même émission où est apparu avec succès son prédécesseur en 1987. « Il devrait s’agir de faire revenir Dieu dans notre champ de vision, ce Dieu souvent absent, dont nous avons toujours tant besoin. »

Une crise interne au sein de l’Église catholique allemande

La controverse n’est pas nouvelle pour Benoît XVI. Il a déjà dû faire face à des manifestations massives en Espagne et au Royaume-Uni durant ses récentes visites. Mais ici, en Allemagne, la patrie de Martin Luther et de plusieurs millions de protestants dévoués dans tout l’est du pays, l’annonce de sa visite a été particulièrement mal reçue par certains.

En réalité, la colère suscitée a des causes plus récentes : le pape a attendu près d’un an après une série de scandales d’abus sexuels en Allemagne, avant de revenir pour s’exprimer sur le sujet. Cette attente a été perçue comme insultante pour certains.

Un sondage récemment conduit par le magazine hebdomadaire allemand Stern a établi que 86 % des sondés considéraient que la visite du pontife était « sans grande importance » ou « pas importante du tout ». Et pourtant, il y a près de 25 millions de catholiques en Allemagne, c’est-à-dire 30 % de la population.

« Je pense que la plus grande part des critiques ne viennent pas de l’extérieur mais de l’intérieur, de catholiques qui voudraient faire des réformes, estime Hermann Häring, théologien et ancien professeur à l’université Radboud Nijmegen aux Pays-Bas. La raison derrière ces critiques est que le pape a sans arrêt esquivé des réformes qui auraient dû être instaurées depuis longtemps. »

Une image ternie par les scandales d’abus sexuel

Benoît XVI n’a pas toujours été aussi impopulaire ici. Lorsqu’il est devenu le chef de l’Église en 2005, le tabloïd le plus vendu en Allemagne, Bild, a mis sa photo en première page, avec, pour titre : « Wir Sind Papst » (« Nous sommes le pape »).

Pourtant, six ans plus tard, la réputation du pontife est au plus bas, et l’Église catholique allemande, la plus riche d’Europe, se trouve embourbée dans une crise profonde. Les allégations d’attouchement d’enfants et de viol par des membres du clergé allemand ont émergé en janvier 2010. Ils ont jeté dans l’embarras les dirigeants catholiques du pays et initié un débat enflammé sur les règles et les pratiques de l’Église.

Le scandale a fait surface lorsqu’un petit groupe d’anciens élèves d’une école jésuite à Berlin, le collège Canisius, a informé le directeur du collège que deux anciens enseignants avaient sexuellement abusé des étudiants durant les années 1970 et 1980. Des dizaines d’autres étudiants se sont ensuite manifestés pour faire état de leurs propres histoires d’abus. L’ampleur du fléau fut sans précédent : des permanences téléphoniques mises en place au printemps pour aider les victimes affirment qu’elles ont reçu 11 000 appels en l’espace d’un an.

L’incident du collège Carnasius a déclenché une vague de témoignages de la part des catholiques d’Allemagne, mais aussi d’internats et autres institutions – dont certains proches du pape lui-même.

Un cardinal Ratzinger jugé trop passif

En tant que cardinal durant les années 1980, le Pape – Josef Ratzinger à l’époque – a été informé d’un mémo consacré à un prêtre allemand qui avait sexuellement abusé de jeunes garçons dans la ville d’Essen, dans l’ouest du pays. Aucune mesure de précaution n’a été prise : le prêtre a été muté au diocèse de Munich où il a pu travailler sans restriction. Il a ensuite été accusé à nouveau d’abus sexuel par les paroisses de la région.

En réponse aux critiques, le Vatican maintient que l’adjoint du cardinal Ratzinger était responsable du dossier, et non Ratzinger lui-même. Mais pour beaucoup de victimes, cette explication est insuffisante. « Le pape est responsable de ce qu’il sait, mais aussi de ce qu’il ne sait pas, a dit Norbert Denef, à la tête de Netzwerk B, une organisation d’aide aux victimes d’abus sexuel par des membres de l’Église. « Il est politiquement responsable de ce qui se déroule sous son autorité. Il ne peut pas se retirer de l’équation et dire “je n’étais pas au courant”. »

Un public outragé

Denef lui-même a été sexuellement abusé par un prêtre dans la ville de Delitzsch, de l’âge de 10 à 16 ans, puis à nouveau par le joueur d’orgue de l’église durant deux ans. Il a reçu 25 000 euros de compensation en 2005. Il affirme qu’un membre du diocèse lui a même demandé de garder le silence, en échange d’argent, mais qu’il a refusé. « Cet abus que j’ai enduré de 10 à 18 ans m’a suivi toute ma vie, jour et nuit, jusqu’à aujourd’hui », a-t-il confié.

Les cas d’abus et les tentatives pour les étouffer ont secoué le public allemand, suscité des appels à plus d’investigation et d’action. Plus d’un an plus tard, un comité nommé par le gouvernement a recommandé une compensation de 5 000 euros à chaque victime d’abus dans les foyers d’accueil catholiques. Un monastère bénédictin en Bavière a décrété qu’il versera entre 5 000 euros et 20 000 euros à 70 anciens élèves abusés systématiquement. Mais pour certaines victimes, ces sommes sont humiliantes.

« Ils ont joué avec la confiance des gens », selon Denef.

La désillusion des catholiques allemands

Ces scandales ont accentué une tendance déjà alarmante pour les autorités de l’Église en Allemagne : les Allemands quittent l’Église en masse. En 2010, plus de 181 000 catholiques ont rompu avec l’Église – près de 60 000 de plus que l’année précédente.

Pour le théologien Häring, « l’Église doit traiter le problème des scandales d’abus sexuel de manière crédible et complète, ce qui ne signifie pas seulement qu’il faut parler aux victimes et leur offrir une compensation. L’Église doit également examiner les causes derrière le scandale. »

Les experts estiment que bon nombre des catholiques d’Allemagne ont également été déçus par l’incapacité de l’Église à réussir des réformes importantes : abolir le célibat, ordonner des prêtres femmes, et accueillir des divorcés.

« Les membres de l’Église qui veulent réformer sont toujours discrédités et mal accueillis – par le pape et par les évêques, explique Sigrid Grabmeier, porte-parole du mouvement de réformation de l’Église Wir Sind Kirche (« Nous sommes l’Église »). De quoi créer un climat qui fait que les gens souhaitent partir. »

Les enjeux lourds de ce voyage

D’autres experts disent que le pape a terni sa propre image chez lui en décevant les Allemands depuis son élection il y a six ans.

« Cette euphorie naissante du sentiment que le pape était vraiment l’un des nôtres, je pense qu’elle s’est transformée en déception parce que de nombreuses personnes pensaient que leurs intérêts et inquiétudes, que la perspective allemande, joueraient un rôle important. Or ça ne s’est pas passé comme ça », commente Martina Blasberg-Kuhnke, experte en théologie et professeure à l’université d » Osnabrück.

Mais Blasberg-Kuhnke a également expliqué que le Pape Benoît XVI pourrait réhabiliter son image lors de sa visite cette semaine, simplement en écoutant. « Lorsque vous êtes chez vous, lorsque vous pouvez parler la langue, quand vous connaissez bien le peuple, vous devriez être capable de comprendre les tensions au sein de l’Église, dit-elle. Vous n’avez pas besoin d’être admiré de tous, mais vous pouvez sûrement montrer que vous écoutez les différentes Églises et que vous prenez au sérieux les priorités des gens sur le terrain. »

 

Global Post/Adaptation JF – JOL Press

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