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Ramallah, les yeux rivés sur New York

Ramallah, Cisjordanie. Comme à la veille du jour de l’Indépendance, les rues de Ramallah sont couvertes de drapeaux. Des drapeaux palestiniens flambant neufs décorent presque tous les lampadaires, tous les poteaux électriques. Des modèles plus petits en plastique pendent en zigzag au-dessus des rues du centre-ville. Même la plupart des voitures en arborent, un palestinien et un autre blanc, avec un logo qui combine les couleurs de la Palestine et les deux lettres « U. N. » – pour Nations unies en anglais – suivies de la formule Palestine State 194Palestine 194e État.

En attendant un signal de l’ONU

Les officiels, tant à Ramallah qu’à Jérusalem, se préparent à une confrontation ce vendredi devant l’Assemblée générale des Nations unies à New York. Après une longue période de vacillement, bien trop perceptible par l’opinion publique, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, fortement critiqué pour sa mauvaise gestion de cette crise, s’est envolé pour New York. De leur côté, les dirigeants palestiniens ont fait en nombre le même voyage, avec l’espoir de revenir porteurs d’un cadeau historique dans leurs valises. Avec un vote positif sur leur demande de passer du statut d’observateur à celui d’État pleinement reconnu, la Palestine deviendrait officiellement le 194e État membre des Nations unies.

Il est probable que leurs espoirs seront déçus. Les États-Unis ont rappelé depuis qu’ils useraient de leur veto devant le Conseil de sécurité lorsque cette requête leur sera présentée. Les Américains et d’autres États membres élaborent à la place des projets de déclarations qui pourraient conduire à une relance des discussions entre les deux parties en vue de trouver une solution à la question des deux États.

Ramallah se prépare au « grand soir »

Pendant ce temps, les rues de Ramallah se préparent sans retenue à des célébrations. Mercredi matin, de nombreuses écoles et entreprises ont fermé pour favoriser une large participation à une manifestation pro-Nations unies.

« Il n’y aura plus de barrages ! » entend-on – un choix d’expression ambigu. « Je suis heureux car nous allons devenir un État, il n’y aura plus de checkpoints, plus de mur. Nous pourrons visiter Tel Aviv, Haifa, Akko », affirme Wissam Joaby, un élégant avocat de 25 ans. Hosni Riziq Abdallah, un pharmacien de 40 ans, explique qu’il espère que « les soldats israéliens n’entreront plus dans nos villes, que les prisonniers seront libérés ». Aucun des deux n’imagine une explosion de violence si leurs espoirs ne sont pas satisfaits. « Il n’y aura pas de nouvelle intifadah », veut croire Abdallah. « Nous n’en sommes plus là. » En marge de la manifestation festive de mercredi, quelques affrontements ont pourtant eu lieu entre de jeunes lanceurs de pierres et les forces de sécurité israéliennes aux entrées du territoire.

Tant d’illusions

On dirait qu’il importe peu qu’il puisse rester tant d’éléments en suspens dont la solution paraît tellement lointaine : les frontières du futur État de Palestine, sa capitale ou sa capacité à assurer sa sécurité.

« Ce matin encore, quelqu’un me disait qu’après le vote il n’y aurait plus de checkpoints », évoque le professeur Asem Khalil, directeur des études internationales à l’université de Birzeit. « Les gens sont convaincus qu’il sera facile de se rendre à Jérusalem. L’Autorité palestinienne a encouragé la propagation de cette illusion populaire, et elle aura très prochainement un impact négatif sur le peuple palestinien. Il n’y aura pas de résultats immédiats, mais de grosses désillusions », craint-il.

Tant de chemin parcouru

Mary Sharbain, 46 ans, tient Sharbain’s, une librairie anglophone établie sur la place par son beau-père il y a 56 ans. « Tout le monde veut vivre dans un État libre, mener une belle vie, être en sécurité et être protégé », dit-elle. Imagine-t-elle une reprise de la violence après l’épisode onusien ? « Inch Allah, non ! » Son fils, Joseph, 23 ans, partage son point de vue. « La situation n’est pas la même qu’il y a dix ans. La vie s’est améliorée et les gens ont plus à perdre », estime-t-il.

De fait, Ramallah est presque vibrante de nos jours, avec ses nouvelles constructions et des grues partout. En fin d’après-midi, la foule débarque de Jérusalem et de Nablus pour fumer le narghileh ou profiter des chics cafés. Les changeurs de devises, toujours alignés sur Nahda Street, le long du mur de la Banque arabe, discutent, fument et exhibent à la vue de tous d’épaisses liasses de shekels sans inquiétude.

Une ville arabe comme les autres

Non loin de là, sur la place Manara, il est facile d’acheter des poêles fabriquées en Italie à 120 dollars. Ramallah offre cette diversité propre aux grandes villes du monde arabe. De nombreuses jeunes femmes se promènent en niqab ou en jean, tête couverte. Mais on en aperçoit beaucoup d’autres en tee-shirts prêts du corps et en mini-jupes ou en tenue de sport lycra devant la salle de sport Curves, à côté du nouveau Caesar Hotel.

En pause déjeuner au café Tche Tche, deux professeurs de gym, Manar Nakhleh et Nida Salameh, 22 et 24 ans, soutiennent l’initiative devant l’ONU mais avertissent que parmi leurs jeunes amis – ceux qui sortent boire des bières et manger des ailes de poulet frites l’envie d’en découdre n’a pas totalement disparu. Et on l’a vu mercredi en marge de la grande manifestation.

Patience et longueur de temps

« Si tout ne se passe pas aussi bien qu’escompté, j’imagine que certains de nos amis descendront dans la rue, affirme Salameh. Nous ne voulons pas que ça arrive, mais nous craignons une nouvelle intifadah. » Mua’yed Sayed, pharmacien de 26 ans, considère que la Palestine n’est pas prête à exercer toutes les responsabilités d’un État. « Le moment n’est pas encore venu. Nous avons besoin d’au moins deux ans encore pour nous organiser. Les chefs d’entreprise doivent d’abord avoir suffisamment d’argent pour payer leurs employés », explique-t-il. Sayed a trois employés à temps plein dans son officine. « J’ai peur que les colons israéliens ne se soulèvent. »

Thafer Garran, 44 ans, est un kinésithérapeute revenu à Ramallah il y a deux mois, après 16 ans à Denver, aux États-Unis. « Ce fut un gros effort d’adaptation pour les enfants, et pour moi aussi », reconnaît-il, sourire en coin. « J’adorais Denver, mais je suis d’ici. »

« Le vote à l’ONU nous donnera peut-être un peu plus de légitimité, mais ce que nous voulons c’est l’indépendance, la démocratie et la liberté. Et ce n’est pas à l’ONU qu’on obtiendra tout ça. Nous devons négocier. Nous ne voulons pas redevenir un champ de bataille comme il y a dix ans. Nous voulons les frontières de 1967 et Jérusalem-Est pour capitale. Autrefois, nous allions souvent à Jérusalem, Est comme Ouest. Aujourd’hui encore, je vois des Palestiniens et des Juifs ensemble dans le même bus à Jérusalem, donc je veux encore croire à la solution des deux États. »

La force et la rage, un risque qui demeure

« Le désespoir l’emporte sur déception dans les rangs palestiniens. Un désespoir tel que je ne pense pas qu’ils trouveront la force de choisir la violence. En plus, nous sommes divisés entre la Cisjordanie et Gaza. Je ne crois donc pas que la violence viendra du camp palestinien. Mais je crains que la situation puisse être utilisée par les autorités israéliennes, par les colons, comme excuse pour justifier des opérations violentes en Cisjordanie ».

Avec la communauté internationale remobilisée sur le sujet par les tractations en cours aux Nations unies, il n’est pas certain que les faucons, dans les deux camps, puissent avoir les mains libres et faire prévaloir le scénario du pire. Mais, malgré les espoirs, elle semble encore bien loin, la fin de l’Histoire, entre Israéliens et Palestiniens.

 

GlobalPost/Adaptation FG – JOL Press

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