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Une Chine moderne face à la violence conjugale

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Beijing, Chine. La femme sur les photos montre une oreille en sang, un front gonflé et des hématomes au visage. En mettant ces photos en ligne, elle a raconté comment elle se faisait battre par son mari, un homme d’affaires connu.

L’affichage au grand jour de ce qui est souvent considéré en Chine comme une affaire privée a beaucoup choqué. La publication a généré des milliers de réponses en ligne, depuis le soutien pour la femme battue jusqu’à des messages critiques à l’encontre de sa démarche. Enfin, après presqu’une semaine de silence, Li Yang, le mari violent, fondateur du centre d’apprentissage d’anglais Crazy English, a présenté ses excuses pour avoir battu sa femme.

 

Le silence, la règle implicite

Cette histoire a permis de mettre en lumière un phénomène rarement évoqué en Chine, mais, selon de nombreux spécialistes, fort répandu. Malheureusement, les statistiques officielles font défaut, en partie parce qu’aucune loi spécifique n’interdit la violence domestique.

Pourtant, un rapport publié l’année dernière par la All China Women’s Federation a prouvé qu’à un moment ou un autre, 64 % des adultes chinois ont vécu la violence chez eux.

Une autre étude, menée par l’Institut légal de Chine, estime que plus d’un tiers des familles chinoises ont souffert d’abus domestiques, et la vaste majorité des victimes sont des femmes.

Mais en Chine, on ne discute pas des affaires privées en dehors du foyer. Et encore moins de la violence domestique. Les défenseurs des droits des femmes espèrent que la première loi sur l’abus domestique du pays – qu’on attend toujours – changera cette mentalité, et sensibilisera les familles.

 

Des pressions socio-économiques

Il y a trente ans, une militante pour les droits des femmes, Wang Xingjuan, a constaté que ce dysfonctionnement majeur empirait lorsque la Chine a commencé à restructurer son économie. Avec la fermeture des entreprises d’État, des milliers de travailleurs ont perdu leur emploi. Fréquemment, des hommes sans emploi, dépressifs et en colère, s’en sont pris à leurs femmes.

Pour lutter contre cette tendance, Mme Wang a ouvert dans la capitale le premier centre d’aide aux victimes d’abus domestique, mais accessible aussi aux responsables des violences. Et alors que le pays se développe et s’enrichit, les Chinois sont de plus en plus nombreux à faire appel au centre, qui gère désormais un service d’assistance téléphonique.

Wang explique que cette prise de conscience progressive multiplie les cas d’abus signalés. Mais elle estime que cette augmentation est bien plutôt due à l’évolution économique et à l’écart de richesse de plus en plus grand, facteurs de dérapages familiaux.

 

Un changement progressif

Sous-jacent à tous ces cas de violence, se dessine – surtout – une attitude vis-à-vis des femmes qui demeure anormale.

« Les femmes chinoises ont honte quand elles sont sujettes aux violences conjugales, et bon nombre de gens estiment encore que de tels traitements conjugaux sont “normaux” », souligne Wang, femme aux cheveux gris, dans son bureau décoré de photos où elle apparaît avec Hilary Clinton et d’autres militantes chinoises.

« C’est un processus très lent. Durant plusieurs siècles, les hommes avaient tout simplement le droit de battre leurs femmes. Cette attitude est profondément ancrée dans la “culture”. Pour certains, il est patent que les femmes sont inférieures aux hommes. »

Même la réaction de Li Yang, le chef d’entreprise dont les habitudes violentes ont été dénoncées sur Internet par sa femme, en dit long sur la mentalité qui prévaut en Chine.

Li a reconnu les faits sur son blog au bout d’une semaine. Ses mots : « Je présente mes excuses sincères à ma femme, Kim, et à mes filles, pour avoir commis des violences domestiques. Cette violence leur a causé de sérieux dommages physiques et psychologiques. » Apparemment, tout est dit. Mais dans une interview au Global Times, Li était bien moins contrit. À propos des révélations de sa femme, il explique : « Elle a ruiné ma réputation et ma carrière qu’il m’a fallu vingt ans pour construire. »

Il a mis du temps à réagir. Interrogé sur ce retard, Li explique : « J’avais peur de dire quelque chose de stupide que je regretterais toute ma vie. Alors j’ai choisi de rester calme et de travailler, plutôt que de faire face à la situation. »

Il semble que cette affaire soit révélatrice d’un changement progressif des mentalités en Chine.

Au moyen d’un blog, une femme s’est exprimée ouvertement sur un drame qui concerne des milliers de femmes – et en a sans doute inspiré d’autres à suivre son exemple. Dans un pays où tout bouge, il paraît que les rapports entre hommes et femmes sont également sujets au changement.

 

Global Post/Adaptation J. Fereday – JOL Press

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