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Vers une délocalisation de la production de cocaïne ?

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Principal ingrédient dans la fabrication de la cocaïne… des feuilles de coca, comme son nom l’indique. Mais cette drogue n’a rien de naturel et bien d’autres ingrédients entrent dans sa composition. Des ingrédients de préférence chimiques dont la liste est longue et peu appétissante : acide sulfurique, soude caustique, acétone, entre autres.

Pas de composants chimiques, pas de cocaïne…

« Le coût de production n° 1 n’est ni la feuille de coca, ni la main-d’œuvre, ni même la construction du laboratoire. Ce sont les produits chimiques », explique Jay Bergman, responsable de la division Andes de l’agence américaine de contrôle des drogues. Pas donnés, mais indispensables. Sans ces composants, pas de cocaïne.

La campagne contre les « produits chimiques précurseurs » est une des plus discrètes armes – mais aussi des plus importantes – utilisées dans la guerre contre les drogues. Et tout comme les tentatives d’éradication des productions de coca, l’arrestation des trafiquants ou la lutte contre la consommation de la cocaïne, empêcher l’utilisation illégale de ces produits est une opération de longue haleine.

Contrôler les sources d’approvisionnement : l’exemple des États-Unis

Aux États-Unis, une campagne contre la vente à des fins domestiques de l’éphédrine et de la pseudoéphédrine, les deux principaux composants chimiques utilisés pour la production de méthamphétamine, a entraîné la fermeture de nombreux petits laboratoires artisanaux de crystal meth. Opération quelque peu vaine : ils ont aussitôt été remplacés par l’ouverture de « super-laboratoires » industriels au Mexique, pays où ces produits chimiques précurseurs sont librement disponibles.

Aux sources du mal, dans la jungle colombienne

En Colombie, premier pays producteur de cocaïne au monde, les trafiquants transfèrent des tonnes d’acides, de solvants et de bases vers des laboratoires situés au fin fond de la jungle et où sont fabriqués les narcotiques. Bergman, qui travaille depuis Bogotá, la capitale colombienne, affirme que les efforts conjoints des autorités américaines et colombiennes ont été efficaces pour réduire le transit. « Un laboratoire de cocaïne est contraint de fermer pour un certain temps s’il n’est pas approvisionné correctement en produits chimiques », assure-t-il.

L’impossibilité d’interdire tout usage des produits chimiques

Il n’en reste pas moins qu’empêcher les cartels de la drogue de mettre la main sur ces produits chimiques est extrêmement difficile puisqu’ils ne sont pas utilisés uniquement pour la production de cocaïne. On s’en sert pour traiter les eaux usées ou éviter que les bananes ne pourrissent trop vite. L’acétone est, à la fois, une composante essentielle de la cocaïne et de la peinture domestique. Et ce ne sont pas les seules substances pouvant servir à la production de cocaïne, précise le major Carlos Oviedo de la police antistupéfiants de Colombie. L’huile de moteur, l’essence, le kérosène, la chaux, le ciment et la soude alimentaire peuvent s’y substituer…

Un contrôle strict au sud du pays

Dès lors, le gouvernement colombien a décidé de mettre en place un contrôle strict des ventes de ces produits domestiques dans le sud du pays, là même où prolifèrent les laboratoires de production de cocaïne. Ces réglementations sont parmi les plus sévères au monde. Il est interdit aux stations services de vendre plus de 150 litres de carburant par jour à un même client. La limite par personne pour l’achat de soude alimentaire est de 5 kg par mois.

L’ingéniosité perverse des trafiquants

Les trafiquants trouvent toujours des solutions pour contourner les règles. Selon la police, ils offrent des pots de vin aux employés des magasins ou des entreprises chimiques, ou, tout simplement, dérobent ces substances. Ainsi, en 2006, quatre gardes furent tués durant le vol d’une tonne d’éphédrine dans une usine pharmaceutique de Mexico City. Une tonne, une quantité suffisante pour produire 4 millions de doses de méthamphétamine.

Dans certains cas, les cartels ont établi des entreprises paravents en Colombie qui importent des tonnes de produits chimiques précurseurs, mais ne produisent strictement rien. « Nous avons essayé d’inspecter les entreprises fantoches », explique Oviedo, l’officier de police spécialisé dans la lutte contre les narcotiques. « Parfois, nous arrivons à une adresse et il n’y a aucune entreprise, juste une maison. » Dans d’autres cas, les entreprises parfaitement en règle commandent plus de produits chimiques que de besoin, et vendent les excédents aux cartels de la drogue.

Une unité de police spécialisée efficace

Pour lutter contre ces pratiques, la Colombie a établi une unité de police spéciale chargée de surveiller l’utilisation des produits chimiques dans des centaines d’entreprises industrielles. En combinaison blanche et armés d’ordinateurs portables, ils conduisent des enquêtes d’identification scientifique.

Lors d’une récente opération, ils ont visité une usine de production de cosmétiques à Bogotá qui consomme 24 tonnes de produits chimiques précurseurs chaque mois. Alors que les ouvriers retiraient des flacons de dissolvant d’un tapis roulant, l’inspecteur Luis Saavedra a contrôlé les citernes de l’entreprise. Elles étaient remplies d’acétate de butyl et d’éthyle, un puissant solvant utilisé dans la production de dissolvant pour vernis à ongle, mais aussi de cocaïne. Saavedra et ses collègues ont passé deux heures à éplucher les registres d’importation et de consommation. Ils n’ont rien remarqué de suspicieux. Mais ces inspections, et une série récente d’arrestations, semblent avoir entraîné un changement dans le secteur des drogues illicites.

Un nouveau genre de délocalisations

Les trafiquants colombiens délocalisent certains de leurs laboratoires de cocaïne en Amérique centrale où les contrôles des produits chimiques sont moindres, d’après le général Cesar Pinzon, chef de la police antistupéfiants avant qu’il ne soit remplacé récemment après la nomination d’un nouveau ministre de la Défense. Selon lui, les trafiquants envoient une pâte ou base de cocaïne, version non élaborée du produit, vers des laboratoires nouvellement construits en Amérique centrale, où elle est traitée pour devenir une puissante poudre.

Avec le retard de l’Amérique centrale, une nouvelle géographie des drogues

Ainsi, lors d’un raid près de la frontière avec le Guatemala en mars, des policiers honduriens ont découvert un énorme laboratoire, capable de produire 8 tonnes de cocaïne. Ils y ont trouvé des fours micro-ondes, des compresseurs à air et de quoi loger douze ouvriers ainsi que des barils d’acide acétique, d’acétone et de chlorure de calcium. Preuves irréfutables.

C’est le premier laboratoire de grande taille jamais découvert au Honduras.

GlobalPost /Adaptation FG-JoL Press

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