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Wangari Maathai, la pasionaria verte, part en paix

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Du Mont Kenya à Nairobi via les États-Unis. Wangari Maathai est née en 1940 dans les White Highlands, aux pieds du Mont Kenya, alors que son pays est encore une colonie britannique. Ses parents, de l’ethnie kikuyu, sont des fermiers qui luttent pour la subsistance de leur tribu. Aînée d’une famille de six enfants, elle s’occupe, selon la coutume locale, de la majorité des tâches ménagères de la maisonnée. Pourtant, ses parents font montre d’une mentalité progressiste et la jeune Wangari a la chance d’aller à l’école. Sa scolarité se poursuit brillamment dans un collège de jeunes filles de Limuru où ses professeurs font en sorte qu’elle décroche une bourse pour aller étudier aux États-Unis. En 1964, elle y devient la première femme d’Afrique de l’Est à décrocher une licence en biologie. Elle la complète d’un master, travaille un temps à Munich avant de retourner à Nairobi où, en 1971, elle termine son doctorat et commence à enseigner l’anatomie vétérinaire.

Une idée lumineuse

En 1977, Wangari Maathai crée la Ceinture verte ou Green Belt Movement, une organisation non gouvernementale (ONG) qui développe un concept inédit : il s’agit de verser aux femmes pauvres de la campagne quelques centimes pour chaque arbre qu’elles plantent. Objectif : tenter d’enrayer, à défaut d’en inverser la tendance, la dégradation continue de l’environnement au Kenya. Les résultats dépassent toute attente puisque 34 ans plus tard, près de 30 millions de ces arbres ont été plantés dans ce seul pays. Très vite, elle se voit honorée d’un surnom poétique, « la femme des arbres ». Dès lors, d’autres « branches » vont s’ajouter au tronc de son action.

Une femme de tête

Ses convictions environnementalistes se traduisent aussi par un activisme social et politique qui lui vaut sa réputation et sa stature bien au-delà du mouvement écologiste. Elle devient dirigeante du Maendeleo ya wanawake, le Conseil national des femmes du Kenya. C’est une femme de tête. Elle aura eu trois enfants avant de divorcer en 1979. Son mari affirme alors au juge qu’elle avait un trop fort caractère pour une femme, et qu’il était incapable de la maîtriser. Le juge lui a donné raison. Elle déclare alors dans la presse que ce juge ne pouvait qu’être incompétent ou corrompu, et elle est emprisonnée, pour la première fois, durant quelques jours. <!–jolstore–>

En politique, une opposante courageuse

En 1997, au Kenya, les deuxièmes élections multipartites sont marquées par des violences ethniques. Maathai a posé sa candidature pour la présidence du Kenya. Son propre parti la retire sans même l’en avertir ! Autre défaite, lors de sa tentative d’entrer au Parlement la même année. Elle subit aussi la défaite. Sous la présidence de Daniel Arap Moi, elle est emprisonnée plusieurs fois. Elle est violemment attaquée pour avoir demandé des élections multipartites, la fin de la corruption et de la politique tribale.

Sa renommée mondiale lui vient de son opposition au projet pour la construction de la maison luxueuse d’Arap Moi, projet abandonné suite à son action. Et pour cause : il envisageait d’abattre des arbres sur plusieurs acres de terre. Elle poursuit la défense des forêts kenyanes et la démocratie au péril de sa vie ou de sa liberté. Elle prône l’utilisation constante de la non-violence et des manifestations populaires avec l’aide des organisations internationales. Elle participe à des groupes onusiens et connaît personnellement Kofi Annan, ancien secrétaire des Nations unies.

Mitante écologiste, elle fonde le Parti vert Mazingira en 2003, affilié à la fédération des Partis verts d’Afrique et aux Verts mondiaux. Elle est élue au Parlement kenyan en décembre 2002, où elle remporte son siège face à son rival par cinquante voix contre une. C’est à peu près à cette épique que Mwai Kibaki bat Arap lors de l’élection présidentielle. Elle est alors nommée, grâce au nouveau président, ministre adjoint à l’Environnement, aux Ressources naturelles et à la Faune sauvage en janvier 2003.

Nobel de la Paix

Maathai est devenue une icône pour les femmes en Afrique et ailleurs lorsqu’elle a entamé son combat contre l’injustice et la corruption des politiques (généralement des hommes). Ses efforts lui ont valu à plusieurs reprises d’être arrêtée, battue.

Dans les années 1980 et 1990, elle affronte le gouvernement de l’ancien président Daniel Arap Moi, continue de tenter d’arrêter la déforestation et la saisie de terres au profit des politiciens ou de leurs affidés.

Le succès de sa campagne contre la construction d’un gratte-ciel dans un parc de Nairobi lui vaut la colère personnelle du président Moi.

En 2004, elle a été la première femme africaine à recevoir le prix Nobel de la Paix « pour sa contribution au développement durable, à la démocratie et à la paix ».

Dans une interview, elle décrit son engouement pour son travail : « C’est une question de vie et de mort pour ce pays. Les forêts kenyanes sont menacées de disparition et c’est la faute des hommes. Il est impossible de protéger l’environnement sans donner le pouvoir aux gens, sans les informer et sans les aider à comprendre que ces ressources leur appartiennent et qu’il est de leur devoir de les protéger. »

Le Greenbelt Movement a annoncé la disparition de Maathai lundi : « C’est avec une grande tristesse que la famille du professeur Wangari Maathai annonce son décès… des suites d’une longue et déterminée lutte contre le cancer. Elle était entourée de ses proches dans ces instants. La disparition prématurée du professeur Maathai est une grande perte pour tous ceux qui la connaissaient – qu’elle soit leur mère, leur parent, leur collègue, leur modèle ou leur héroïne, ou qu’ils admirent sa détermination à rendre le monde plus pacifique et en meilleure santé, à en faire un endroit meilleur », exprime le communiqué.

Concert de louanges

À l’annonce de sa mort, des commentaires de soutien sont venus fleurir sa page Facebook. Les plus grands responsables africains et des personnages influents du monde entier ont ajouté leur voix au chœur de la tristesse.

La Nelson Mandela Foundation : « C’est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris aujourd’hui la mort d’une exceptionnelle militante de l’environnement. […] Le professeur Maathai laisse un formidable héritage, une plus grande prise de conscience et une meilleure capacité à agir pour protéger notre environnement et le monde ».

« On se souviendra de Wangari Maathai comme d’une championne déterminée de l’environnement, du développement durable, des droits des femmes et de la démocratie », écrit Kofi Annan, l’ancien secrétaire général des Nations unies. Annan a décrit son obtention du prix Nobel comme déterminant, « l’important lien dans toute son œuvre entre développement durable, la paix et la sécurité ».

« L’Afrique, et en particulier les femmes africaines, perdent une championne, un leader, une militante », s’est attristée la première femme présidente du continent, Ellen Johnson Sirleaf du Liberia. « Elle va nous manquer. Son action, tout ce qu’elle a engagé depuis tant d’années dans le secteur de l’environnement au service des droits et de l’intégration des femmes, va nous manquer. »

Le Premier ministre kenyan Raila Odinga, un temps son collègue au Parlement, lorsqu’elle a exercé brièvement les fonctions de vice-ministre : « Je m’associe au deuil des Kenyans et des amis du Kenya devant la disparition de cette héroïne de nos luttes nationales. Son héroïsme a été volontiers souligné tant dans notre pays qu’à l’étranger, sans qu’il appartienne aux historiens d’en juger. »

Le Programme pour l’environnement de l’ONU, avec lequel Maathai a travaillé à un plan visant à la plantation de milliards d’arbres à l’échelle mondiale, a vu en elle « un des militants africains de l’environnement le plus déterminant, reconnue internationalement pour son attachement à la démocratie, aux droits de l’homme et à la protection du milieu naturel ».

« Wangari Maathai était une force de la nature, a estimé le directeur exécutif du PNUE Achim Steiner. Alors que tant d’autres s’efforcent, de toutes leurs forces et toute leur vie, de détruire, dégrader l’environnement, d’en tirer quelques bénéfices de court terme, elle a tout mis en œuvre pour s’opposer à eux, mobiliser les forces vives et convaincre de la nécessité de privilégier la défense de l’environnement et le développement durable à la destruction. »

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