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Accord historique au G20 : vers une régulation sociale de la mondialisation?

Le G20 Social : pour une harmonisation de la protection sociale

JOL Press : Quand et dans quel contexte a été créée cette réunion des ministres du Travail des membres du G20, surnommée le G20 social ?

Xavier Bertrand, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé : C’est une volonté du président de la République qu’à côté des sujets économiques et financiers, les politiques sociales soient à l’agenda de la présidence française du G20 en 2011.

Rappelons le contexte : le G20 s’est imposé depuis fin 2008, notamment sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, comme une des instances essentielles de la gouvernance économique mondiale. Le G20 est légitime pour être une telle instance d’impulsion, car il représente 85 % de l’économie mondiale et 2/3 de la population mondiale.

Mais à côté de ce pilier économique, le président de la République a voulu que la présidence française du G20 en 2011 complète cette approche en inscrivant à l’agenda une forte dimension sociale. Comment en effet imaginer, dans une situation économique qui a des conséquences sociales, nous le savons, difficiles pour beaucoup de nos concitoyens, que la gouvernance mondiale ne comporte pas un pilier social ?

C’est la raison pour laquelle, j’ai présidé les 26 et 27 septembre la réunion des ministres du Travail et de l’Emploi du G20. Cette réunion, avec Gilles de Robien, représentant de la France auprès de l’Organisation internationale du travail (OIT), nous l’avons activement préparée pendant plusieurs mois, avec l’ensemble des acteurs : les États du G20, les organisations internationales, mais également les partenaires sociaux. Nous avons associé très étroitement les partenaires sociaux français et internationaux pendant toute la présidence française. D’ailleurs, avec l’ensemble des ministres du G20, nous les avons consultés le matin même de la réunion ministérielle.

Le principe de la régulation sociale : un tournant historique de la politique mondiale

JOL Press : Cette année, les ministres du Travail des membres des pays du G20 se sont pour la première fois mis d’accord sur le principe de généralisation de la protection sociale. Quels sont les grands axes de la régulation sociale préconisés lors de cette réunion ?

Xavier Bertrand : En un mot, notre objectif est de faire progresser la dimension sociale de la mondialisation, en amenant les ministres du G20 à prendre une série de décisions concrètes et ambitieuses.

Il y a eu des avancées sur les quatre priorités sociales fixées par la présidence française : l’emploi, la protection sociale, le respect des droits sociaux et du travail et la cohérence entre les organisations internationales.

Sur l’emploi, nous nous sommes engagés à en faire une priorité, en accordant une attention particulière aux jeunes. Ce n’est pas vain, car l’échange d’expériences et de bonnes pratiques va faire émerger des solutions concrètes et réalistes. C’est pourquoi nous avons décidé de mettre en place une « task force » sur l’emploi des jeunes, qui, en associant les organisations internationales et les partenaires sociaux, préparera la réunion des ministres du travail du G20 qui se tiendra en 2012. Cette task force constitue un élément phare pour que l’emploi reste au cœur de l’agenda des travaux du G20.

Sur le renforcement de la protection sociale, les États se sont engagés chacun à mettre en œuvre des socles de protection sociale adaptés aux situations nationales.

Sur le respect des droits sociaux et du travail, le G20 a apporté son soutien à l’Organisation internationale du travail dans les efforts qu’elle entreprend au quotidien pour promouvoir la ratification et l’application des huit conventions fondamentales. Cet engagement est un signal fort d’une évolution du G20 quand on sait qu’aujourd’hui plusieurs États, et pas les moindres, n’ont pas encore ratifié toutes ces conventions.

Enfin, nous avons appelé au renforcement de la cohérence des politiques économiques et sociales. Ce qui passe par une meilleure coordination entre organisations internationales. Les outils existent : accords de coopération, consultations entre elles sur les sujets d’intérêt commun… Il nous faut les systématiser et c’est le sens de notre message.

JOL Press : Pourquoi est-il si important de replacer le social au cœur des débats internationaux ?

Xavier Bertrand : Tout simplement parce que les questions sociales sont au cœur des défis auxquels nos pays font face : la crise a provoqué des effets dévastateurs sur nos marchés du travail avec 30 millions de chômeurs supplémentaires en moins de deux ans, et aucun État n’a été épargné. La situation économique et sociale ne fait que renforcer l’impératif de mettre l’emploi au cœur de nos priorités. C’est pour cette raison que notre objectif est de faire progresser la dimension sociale de la mondialisation. Ce que nous voulons, c’est que la mondialisation marche sur deux jambes : la croissance économique et la justice sociale, le libre-échange et le respect des droits des travailleurs. Ce que nous voulons, c’est une mondialisation équilibrée, qui ne donne pas tout à l’économie et rien au social.

JOL Press : Pensez-vous que cette avancée historique soit le premier pas vers la conception d’un droit à la protection sociale comme un nouveau droit humain universel ?

Xavier Bertrand : C’est en tout cas dans cette perspective que nous avançons. L’engagement des États du G20 à mettre en place des socles de protection sociale, au cœur du rapport « Bachelet », c’est une véritable stratégie pour garantir, dans chaque État, un accès aux soins, une garantie de revenus pour les personnes âgées et handicapées, l’octroi de prestations pour enfants à charge ou encore une garantie de revenus pour les chômeurs et les travailleurs pauvres. Ce n’est pas rien !

Des principes à leur application…

JOL Press : Il existe une grande disparité entre les pays du G20. Pensez-vous que des pays comme la Chine, l’Inde ou l’Indonésie, par exemple, peuvent réellement mettre en pratique ces mesures sociales, très éloignées de leur système actuel ?

Xavier Bertrand : C’est vrai que tous les États n’ont pas spontanément la même position sur la mondialisation ni les mêmes intérêts à défendre. Rappelons que sur les huit conventions fondamentales de l’OIT, la France les a toutes ratifiées, alors que la Chine en a ratifié quatre et les États-Unis seulement deux ! Mais les engagements que nous avons pris, et que tous les États du G20 ont soutenus, c’est le signe que nous progressons dans la bonne direction. Prenez l’exemple de la Chine : je me suis rendu à Pékin en août pour convaincre mon homologue chinois sur tous ces sujets. Je peux vous dire qu’il a parfaitement conscience que plus de protection sociale pour les Chinois, c’est un progrès économique et social, et c’est aussi important politiquement.

JOL Press : De quelle manière le G20 pourra-t-il accompagner ces développements ? Existe-t-il un plan de mise en place avec des objectifs dans le temps pour chacun des pays membres ? Voire des sanctions pour les membres qui ne respecteraient pas leurs engagements de principe ?

Xavier Bertrand : Attention, le G20 n’est pas une organisation internationale qui serait dotée d’un pouvoir de sanction vis-à-vis de ses membres. Mais quand les États du G20 s’engagent, comme nous ministres du Travail et de l’Emploi l’avons fait les 26 et 27 septembre, c’est un engagement solennel devant l’ensemble de la communauté internationale. Et je peux vous dire que beaucoup, je pense par exemple aux partenaires sociaux, sont très vigilants à ce que nous respections nos engagements. Ce qui est sûr, c’est que lors de la prochaine réunion ministérielle que nous aurons l’an prochain sous présidence mexicaine, nous ferons un point sur le respect des engagements que nous avons pris.

JOL Press : Ne craignez-vous pas que les dirigeants du G20 de novembre prochain ne placent les questions sociales au second plan et que les questions financières ne monopolisent leurs discussions ? Ou même que les représentants des pays ne ratifient pas les propositions du G20 social ?

Xavier Bertrand : Partons de ce qui existe déjà. Ces conclusions ambitieuses de l’ensemble des ministres du Travail et de l’Emploi constituent déjà un pas décisif. La prochaine étape, vous avez raison, c’est le Sommet de Cannes. Je plaide auprès du président de la République pour que les chefs d’État accordent une place importante aux questions sociales, à côté des questions économiques et financières, car c’est un message auquel nos concitoyens seront attentifs. Et je sais que le président y est sensible. Je sais aussi que les partenaires sociaux y seront attentifs. Car, en marge du sommet des chefs d’États à Cannes, se tiendront le « B 20 », réunion des représentants des entreprises et le « L 20 », réunion des syndicats de salariés. Ce dialogue social à l’échelle du G20, j’y accorde une attention particulière, car c’est aussi la garantie que les décisions prises par les États dans le cadre du G20 ne resteront pas des discours et qu’elles seront relayées et intégrées par les acteurs de terrain, les entreprises et les salariés.

Le message d’espoir du modèle européen de démocratie sociale

JOL Press : Pensez-vous que malgré les difficultés dans les modalités d’application, ces nouveaux principes mondiaux sont la preuve de la victoire du modèle de démocratie sociale à l’européenne sur d’autres systèmes de société ? Et donc un message d’espoir pour le monde, vers davantage de justice sociale et d’une plus grande responsabilité des États dans la protection des personnes ?

Xavier Bertrand : Nous avons une obligation de résultat : faire progresser notre vision d’une mondialisation plus équilibrée, avec des résultats concrets. Car si nous échouons, c’est la tentation du protectionnisme qui l’emportera, alors même que nous savons tous que cette tentation est stérile et néfaste pour nos économies, y compris pour la France.

En ce sens, vous avez raison : que tous les États du G20 s’engagent à faire de l’emploi des jeunes une priorité commune, pour développer la protection sociale de leurs habitants, pour respecter les principes des conventions fondamentales de l’OIT, ou encore pour donner davantage de place à l’OIT face à l’OMC et au FMI dans l’action des organisations internationales, c’est un message d’espoir pour tout le monde. C’est la preuve que nous pouvons faire progresser notre vision d’une régulation sociale de la mondialisation.

Propos recueillis par Olivia Phélip – JOL Press

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