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Bangkok submergée par les inondations

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[image:1,l]L’eau a désormais encerclé le cœur de la ville, qui est protégé seulement par des barrages de ciment, des digues et des « murs » formés par des sacs de sable hâtivement entassés.


Mais si ces défenses tombent – ce qui est fort probable, selon le gouvernement même – alors le centre densément peuplé de la ville pourrait se voir submergé.


Risque de famine


[image:2,s] Ce scénario a plongé Bangkok dans la panique. Les maisons et les commerces sont entourés par des sacs de sables. Les nantis ont fui vers la plage. Ceux qui ne le peuvent pas continuent à faire provision de nouilles instantanées et à chercher abri dans les étages plus élevés des immeubles. Dans les quartiers plats de la ville déjà atteints par les inondations, les habitants ont remplacé leurs chaussures de villes et à talons par des tongs.


Bhichit Rattakul, ancien gouverneur de Bangkok et directeur du Centre asiatique de préparation aux catastrophes, exprime son inquiétude : « Nous craignons que les gens à Bangkok ne meurent de faim, risque plus grand que la noyade. Les personnes qui n’ont plus rien à manger et à boire – à cause de la panique qui a conduit les gens à amasser des provisions et à vider les magasins, et non pas par l’approvisionnement limité – se trouveront dans une situation difficile. »


Les inondations qui montent envahiront probablement les centres d’évacuation et ralentiront la vie commerciale, mais les risques portent davantage sur les noyades et les électrocutions que sur la famine. Pendant des jours, le gouvernement thaïlandais a incité les résidents à stocker. Les autorités ont décrété cinq jours de congés exceptionnels pour que les habitants gagnent des provinces plus sèches.


Les inondations ont déjà détruit 800 000 habitations


La gravité des inondations de Bangkok fluctue selon les quartiers. Même Bhichit admet que les inondations dans les secteurs de la ville plus habités – comme son artère principale, la route de Sukhumvit – pourraient ne causer que des gênes momentanées : « Au pire, l’eau pourrait arriver aux trottoirs. » Mais le gouvernement craint que, dans d’autres quartiers, l’eau des précipitations n’atteigne des hauteurs dangereuses.


Mais il n’est pas exclu que la catastrophe reste à venir…


Longtemps après que l’eau se sera déversée dans la mer, la Thaïlande, la deuxième économie du Sud-Est asiatique, continuera à souffrir des inondations. Jusqu’à présent, selon Reuters, plus de 800 000 habitations ont été détruites et près de 650 000 personnes sont temporairement sans travail.


« La dernière fois que j’ai vu ma maison, l’eau à l’intérieur arrivait à ma taille. À l’extérieur, elle arrivait à ma poitrine », raconte Anuwat Sumploy, un commerçant de Rangsit, une ville à la périphérie de Bangkok. « Je me sens complètement perdu. Je ne peux même pas l’expliquer », continue Anuwat qui s’est refugié dans un centre d’évacuation avec sa femme, sa mère âgée et son fils de deux ans. « Je suis supposé m’occuper de ma famille. Nous avons perdu beaucoup et je suis en train de perdre plus en restant assis ici. Ma maison est submergée, et là où il y a de l’eau, il y a des moustiques et des immondices. Mais je voudrais y retourner. »


Anuwat et des millions d’autres évacués ne rentreront pas tout de suite. Selon le gouvernement, les inondations pourraient se poursuivre encore deux, trois ou quatre semaines. Une fois l’eau évacuée, beaucoup reviendront dans des logements inhabitables, retrouveront des autos et des camions hors d’état et des usines en ruines.


L’économie thaïlandaise paralysée


Le bilan économique s’annonce alarmant. Les prévisions de croissance pour l’économie thaïlandaise étaient de 5 % en début de l’année. Désormais, l’agence de notation Moody estime les pertes à 65 milliards de dollars. De qui bloquer la croissance du PIB thaïlandais à 2,8 %.


Plus de 10 000 usines ont déjà été inondées. Les constructeurs automobiles japonais, qui s’appuient sur les usines d’assemblage thaïlandaises, ont vu baisser la production de 6 000 unités par jour. Même des usines Toyota au Kentucky et en Virginie occidentale, qui utilisent des pièces produites dans des usines thaïlandaises, ont diminué les amplitudes de travail. Le même sort pourrait bientôt toucher les usines d’Apple, s’inquiète son PDG Tim Cook, puisque la Thaïlande produit un tiers des lecteurs de disques dans le monde.


Une catastrophe liée à la détérioration des défenses naturelles


Les risques potentiels pourraient se révéler encore plus graves si des inondations continuent à affecter Bangkok dans le futur.


La capitale a connu une croissance explosive dans la dernière décennie. Parallèlement à l’expansion démographique, les maisons en dur et les commerces se sont multipliés, bâtis sur le sol marécageux de la région. Autrefois, des zones de véritable jungle encerclaient la capitale en la protégeant des eaux ruisselant des collines par l’action des arbres et de leurs racines. Désormais, cette verdure a été remplacée par des immeubles et des usines. Privée de cette défense naturelle, la capitale surpeuplée est maintenant protégée exclusivement par les réservoirs, les barrages et les stations de pompage d’État, avec leur cortège de pannes et d’insuffisances.


Les détracteurs de Yingluck Shinawatra, la nouvelle présidente thaïlandaise que l’armée ne soutient pas, comparent cette crise des inondations à l’ouragan Katrina : un désastre naturel mal géré par le gouvernement national.


Signaux contradictoires de l’autorité publique


[image:3,s] Les annonces du gouvernement ont alterné entre appels au calme et alertes rouges. Presque 90 % des sondés par le Collège de l’Assomption thaïlandais ont révélé se sentir « désorientés » par les messages du Premier ministre face aux inondations. Yingluck a jusqu’à présent refusé le transfert du trafic de l’aéroport domestique de Bangkok, même si l’enceinte est submergée par plus de 80 cm d’eau.


Le gouverneur de Bangkok, un membre du parti rival, est allé jusqu’à affirmer que les gens de Bangkok devraient l’écouter lui et lui seul, et ne plus prêter attention au Premier ministre. La plupart des experts constatent que les dirigeants successifs du pays ont omis de réaménager le drainage de Bangkok. En outre, « savoir quand ouvrir les réservoirs et quand retenir l’eau n’a rien d’une décision aisée », explique Chaiyuth Sukhsr, chef du département des ressources hydriques à la Chulalongkorn University de Bangkok. « Les gens critiquent les rétentions d’eau en début de processus, mais au début de la saison des pluies les exploitants du barrage voulaient économiser l’eau le plus longtemps possible. Ils craignaient la saison de sécheresse à venir… »


« Il reste beaucoup à faire » pour améliorer les infrastructures, selon Bhichit. « Faute de quoi, nous irons au-devant de grosses difficultés avec les investisseurs étrangers. » L’ancien gouverneur prédit que, dans les prochains mois, les politiciens proposeront des mégaprojets pour parer les inondations futures : « Tout le monde va essayer de sauter dans cet appel d’air à grands travaux. »


Pour l’instant, ceux qui ont fui les eaux doivent attendre dans des abris de fortune, plantés devant la télé qui diffuse les nouvelles alertes du gouvernement et des feuilletons. « Ce sont les pires inondations que j’aie jamais vues dans ma vie », temoigne Waree Rangsiawong, une grand-mère de 81 ans qui cherche refuge dans un abri gouvernemental. Sa maison, dans la province gravement inondée de Pathum Thani, est complètement sous l’eau. « Je ne suis pas en colère, ni contre le gouvernement ni contre quelqu’un en particulier », se résigne-t-elle. Ces pertes sont normales. Tout le monde doit l’accepter. »

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