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Canal Plus/TPS : la force des engagements des entreprises

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L’Autorité de la concurrence vient de retirer la décision d’autorisation de l’opération de rachat de TPS par le groupe Canal Plus. À moins de revenir à l’état antérieur à 2006, Vivendi et Groupe Canal Plus devront notifier à nouveau l’opération à l’Autorité de la Concurrence.

L’Autorité de la concurrence a justifié cette décision par les manquements constatés en relevant qu’ils traduisaient des négligences mais aussi un manque de diligence et un mauvais vouloir répété de Canal Plus. Elle a souligné l’importance de l’atteinte que cette inexécution est de nature à engendrer pour la concurrence.

L’opération avait créé un monopole sur l’édition et la commercialisation de chaînes premium et renforcé la position dominante sur le marché aval de la distribution. Compte tenu des risques nombreux d’atteinte à la concurrence, l’autorisation délivrée par le ministre de l’Économie le 30 août 2006 après avis du Conseil de la concurrence avait été subordonnée à la mise en œuvre de 59 engagements souscrits par Vivendi Universal et le Groupe Canal Plus afin d’apporter des solutions aux distorsions de concurrence qui avaient été identifiés. L’Autorité de la concurrence a constaté des manquements à 10 engagements et le caractère essentiel de ces manquements.

La force de l’engagement

Le non-respect de ces engagements posait la question de la force des engagements pris comme conditions de l’autorisation et de la sanction de l’inexécution de ces engagements.

L’utilisation d’engagements en droit de la concurrence est fréquente dans le cadre des « procédures d’engagement ». La procédure est prévue par les articles 5 et 9 du règlement n° 1/2003 du Conseil relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence, prévues aux articles 81 et 82 du Traité CE et, au plan national, par les articles L. 464-2 et R. 464-2 du Code de commerce.

Elle autorise une entreprise, suspectée de commettre une entente ou un abus de position dominante, de proposer des remèdes en mesure d’y mettre fin en contrepartie d’un abandon des poursuites et la clôture de la procédure.

« Préoccupations de concurrence »

Elle s’applique, en droit interne, à des situations qui soulèvent des « préoccupations de concurrence » actuelles, et auxquelles il peut être mis fin rapidement au moyen d’engagements. Son recours est donc en principe exclu pour les pratiques anticoncurrentielles particulièrement néfastes à l’économie, telles que les cartels et abus de position dominante qui ont déjà causé un dommage important.

Dans le cadre de la procédure d’engagement, la sanction du non-respect de ces engagements est claire, elle est la remise en cause de l’abandon des poursuites et l’ouverture d’une procédure.

Lorsque les engagements ont été souscrits dans le cadre d’une opération de concentration, en cas de non-respect de ces engagements, l’article L 430-8 du Code de commerce prévoit que l’Autorité constate leur inexécution. Elle peut alors retirer la décision autorisant la concentration, enjoindre sous astreinte aux parties d’exécuter les engagements ou prononcer une sanction pécuniaire.

Les sanctions de l’Autorité de la concurrence

La décision de l’Autorité de la concurrence donne l’apparence de la clarté et de la rigueur : puisque les engagements pris devant l’État ont été bafoués, la décision est annulée. La sanction s’apparente à celle de l’inexécution en matière contractuelle, avec l’exception d’inexécution. Une partie est en droit de refuser d’exécuter totalement ou partiellement la prestation à laquelle elle est tenue tant qu’elle n’a pas reçu la prestation qui lui est due. Cette sanction contractuelle n’est cependant efficace que s’il y a interdépendance entre les obligations.

Un dysfonctionnement de plus en plus fréquent

La limite de la sanction de l’inexécution d’engagements pris à l’égard de l’État pose des problèmes différents lorsqu’il s’agit d’une condition d’une autorisation. La décision est en effet un acte unilatéral et non un acte bilatéral comme le contrat. Cette exception survient de plus en plus fréquemment dans la mesure où de nombreuses décisions étatiques sont conditionnées par des engagements : octroi de subventions, autorisations d’exploitation, reprise d’entreprises à la barre, etc. Lorsqu’il s’agit de subventions, l’entreprise qui a reçu les fonds est souvent insolvable lorsqu’on lui demanderait éventuellement leur remboursement. Une entreprise qui s’est engagée à maintenir des emplois sera aussi généralement insolvable dans la situation où elle ne respecte pas ses engagements.

Les fautes de Canal Plus

Lorsque la fusion a été autorisée sur la base d’engagements, les risques d’atteinte à la concurrence résultaient de la création d’un monopole avec des risques d’abus de position dominante, situation dans laquelle des engagements n’auraient pas suffi au regard d’une procédure de sanction. La finalité des engagements était de permettre aux distributeurs de télévision payante qui subsisteraient après l’opération d’accéder à des contenus suffisamment attractifs pour constituer des bouquets de chaînes payants compétitifs qui participeraient à l’animation de la concurrence sur le marché aval de la distribution de télévision payante. En fait, l’Autorité de la concurrence a constaté que Groupe Canal Plus a tardé à mettre à disposition des distributeurs tiers les 7 chaînes qu’il devait dégrouper, donnant ainsi un avantage à sa nouvelle offre, « Le nouveau Canalsat ». Groupe Canal Plus a dégradé la qualité des chaînes qu’il devait dégrouper. Enfin il n’a pas respecté certains engagements concernant les relations avec les chaînes indépendantes et tierces.

Annulation de la décision d’autorisation

C’est pour sanctionner le non-respect de ces engagements que l’Autorité de la concurrence a annulé la décision d’autorisation. Canal Plus a indiqué qu’elle contesterait la décision de l’Autorité devant le Conseil d’État. « Nous procéderons à la notification sous un mois de l’opération d’acquisition de TPS. Ce qui est assez surprenant, car c’est une opération qui date de 2006 et nous allons la notifier aux conditions de marché d’aujourd’hui », a expliqué à la presse Bertrand Méheut, président du groupe audiovisuel. Dans le cadre de cette notification, il serait question de négocier de nouveaux engagements. Interrogé sur l’avenir de TPS Star, Bertrand Méheut répond : « Je ne sais pas quelle sera la situation dans six mois. Toutes les options sont possibles : la fermer, demander son passage sur la télévision numérique terrestre (TNT) gratuite, comme Paris Première et LCI, pour tenter d’arriver à l’équilibre », indique le patron de la filiale de Vivendi.

C’est toute l’ambiguïté de ce qui a été qualifié de carton rouge sans conséquence (autre qu’une « légère amende » de 30 millions d’euros). La possibilité d’en « revenir à l’état antérieur du rachat » est qualifiée de postulat « naturellement inenvisageable » par le Groupe.

Tuer la concurrence

Clairement, le retour en arrière serait totalement contre-productif sur le plan concurrentiel. L’Arcep, autorité régulatrice des télécoms, avait transmis à l’Autorité de la concurrence un avis du 15 avril 2010, soulignant que la stratégie de Canal+ France consistait à racheter TPS pour mieux tuer toute concurrence sur le marché du satellite, et ensuite accélérer la migration des abonnés. Avec pour objectif de tuer TPS et ses marques, en ne laissant sur les réseaux qu’une coquille vide. Les opérateurs de télécommunications n’ont pu bénéficier d’un socle de chaînes thématiques payantes et, par voie de conséquence, confectionner des offres concurrentielles, de sorte que Canal Plus a annihilé toute concurrence. Les actionnaires de TPS refuseraient de toute évidence de restituer le prix reçu pour la restitution de cette coquille vidée de sa substance et dans un contexte concurrentiel qui s’est très largement aggravé.

Revitaliser la concurrence

Le président de l’Autorité, M. Lasserre, a d’ailleurs indiqué récemment que la renotification, qui « durera 6 mois », permettra de mettre en place « une régulation forte ». Au travers de cette déclaration, l’Autorité veut apparemment signifier qu’elle portera une attention toute particulière au choix des nouveaux engagements. On peut rappeler qu’il s’était écoulé 8 mois et demi entre l’annonce du rachat (16 décembre 2005) et son autorisation (30 août 2006), et près de 13 mois entre la même annonce et le closing de l’opération (janvier 2007). La situation est encore plus complexe, et non seulement on peut s’interroger sur les engagements susceptibles d’être proposés à l’Autorité, mais aussi sur la valeur de ces engagements. Il s’agit en effet de revitaliser une concurrence, et non de la protéger, ce qui exige des obligations positives. La situation concurrentielle est encore assombrie par l’annonce, par Canal Plus, du futur rachat de Direct 8 et Direct Star auprès du groupe Bolloré, marquant son entrée dans la télévision gratuite. Il est clair que cette opération permettrait à Canal Plus de bénéficier en particulier d’effets de leviers entre payant et gratuit sur le marché des droits, de profiter de la combinaison de ses antennes en termes de commercialisation publicitaire et de promotion croisée entre chaînes du groupe. Si le non-respect des engagements ne peut être sanctionné par un refus d’accepter des engagements futurs, que ce soit dans le cadre de la nouvelle notification de l’opération TPS ou pour celle concernant Direct 8 et Direct Star, car il s’agirait d’une sanction non prévue par les textes, en revanche il peut et doit être un facteur déterminant dans l’acceptabilité d’engagements qui ne sont pas immédiatement exécutés ou susceptibles d’exécution forcée.

Réparation des préjudices

En outre, le non-respect des engagements pris par Canal Plus a constitué un préjudice pour ceux qui devaient bénéficier de l’exécution de ces engagements : distributeurs concurrents et clients. La responsabilité de Canal Plus et du groupe Vivendi peut être mise en cause avec une demande de réparation du préjudice subi. Il s’agit de ce que l’on qualifie de « private enforcement », des règles du droit de la concurrence par les entreprises ou les consommateurs, par opposition au « public enforcement » par le régulateur. La jurisprudence administrative a consacré cette responsabilité pour les ententes. De telles actions sont probablement la seule véritable sanction dissuasive des obligations des entreprises, la seule mesure à même de donner une force aux engagements pris par les entreprises.

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