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Ce n’est pas drone !

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Les drones, qui sont ces petits avions sans pilote, sont de plus en plus utilisés durant des missions de surveillance et des assauts militaires. Depuis 2008, on rapporte, au Pakistan seulement, 687 civils tués (le quotidien The News de Lahore). Ce chiffre dépasse probablement le petit millier de civils tués par des drones américains. Le total des civils tués de cette façon dans le monde est difficilement quantifiable. De toute façon, il est trop élevé, puisqu’il dépasse le nombre zéro. Le fabuleux tandem que forment la CIA et le Pentagone, sous la bénédiction du gouvernement américain de Barack Obama (le rappel est important), dirige adroitement ces frappes. La CIA utilise un aérodrome secret dans ce pays et, avec le Pentagone, assure le contrôle des tirs devant des écrans d’ordinateur. Différents arrangements militaro-politiques existent dans l’utilisation de drones pour faire la guerre au Moyen-Orient. L’objet est le même, la guerre à moindre risque et à moindre coût. L’utilisation des drones s’inscrit dans une démarche plus grande et complexe de la nouvelle façon de faire la guerre : la robotisation, et encore plus gravement, l’autonomisation de la guerre. On peut s’interroger sur la portée éthique de ce phénomène.


Des armes très peu chères


Le coût d’un drone se situe entre 30 et 100 millions de dollars l’unité. Le drone de type Predator A, fabriqué par l’entreprise General Atomics au coût unitaire de 30 millions, est amplement suffisant. Lorsqu’il est chargé de missiles explosifs, il possède une autonomie de 12 heures. Donc, cent drones suffisent à détruire toute vie et surtout toute résistance dans un continent pour la modique somme de 3 milliards. Certains prétendent qu’une dizaine est suffisante. Aucune perte humaine n’est à déplorer… pour le pays agresseur. Même le Québec peut se payer ce genre de politique militaire.


Est-ce moral qu’une guerre ne comporte des risques que pour un des protagonistes ? Ne doit-il pas exister un coût au déclenchement d’une guerre afin d’éviter de la décider trop facilement et de manière irréfléchie ? Une des façons les plus certaines qu’une guerre se termine est quand le pays le plus puissant considère les coûts financiers ou sociopolitiques, liés aux pertes de vies humaines, sont trop élevés.


Sans morts chez soi, plus de limites à la guerre


Si le pays agresseur ne risque plus aucune perte de vie et que les coûts diminuent dangereusement, les militaires n’auront plus de comptes à rendre à personne. La guerre impérialiste n’arrêtera que lorsque la planète entière sera soumise à la puissance dominante. L’absence de pertes diminue toute chance d’essoufflement du pays le plus puissant. La guerre du Vietnam tua 1,4 million de militaires nord-vietnamiens et sud-vietnamiens et 4 millions de civils vietnamiens. Ce qui dérangea l’opinion américaine, ce sont les quelque 50 000 militaires américains tués au combat. Les récentes guerres d’Afghanistan et d’Irak ont provoqué des milliers de morts chez les civils. Du côté occidental, quelque 2 595 militaires ont été tués en Afghanistan et 4 792 en Irak durant la dernière décennie (source, MSN Actualités). La plupart de ces pertes furent américaines, les autres surtout britanniques. Le Canada a, pour sa part, un bilan de 157 pertes humaines en Afghanistan. Ce sont ces pertes humaines qui servent de modérateurs aux démarches militaro-politiques des pays occidentaux. Le Canada et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne ne peuvent supporter beaucoup plus de pertes humaines : les partis d’opposition et les opinions défavorables font énormément pression auprès des gouvernements. Les Américains ont une capacité plus grande d’absorption de pertes. Les événements du 11-Septembre ont servi d’élément déclencheur et motivateur. Ce pays est riche (ou plutôt pauvre) d’une longue histoire guerrière et impérialiste. Cependant, il connaît ses limites.


Le prix des morts dans l’opinion, le critère de la continuation d’une guerre


La guerre du Vietnam l’a déjà démontré et l’arrivée des premiers soldats tués durant les récentes guerres du Moyen-Orient fut des moments de tension au sein de la nation américaine. Le gouvernement doit démontrer la légitimité de ses guerres et limiter les pertes humaines. Il devra éventuellement en limiter les pertes financières. Qu’un gouvernement doive composer avec des pertes et une opinion publique limite les durées des conflits. Vous voyez où l’on se dirige ! L’absence de coûts humains et une diminution importante des coûts économiques d’une guerre libéreront les gouvernements de toute limite : à eux la guerre en toute impunité. Le principe d’imputabilité est souvent garant du bon comportement des individus et des gouvernements. Les pertes humaines des pays envahis comptent peu dans l’opinion. La mort de douze soldats américains ou de deux soldats canadiens, par exemple, est beaucoup plus médiatisée qu’un nombre beaucoup plus important de pertes de vies civiles du pays envahi. Ce sont les coûts nationaux qui importent. Les médias sont partie intégrante de ce processus. Chaque nation se bat pour elle-même. Le drone n’est pas seulement meilleur marché que les bombardiers, c’est le concept global qui l’est. Il n’est plus aussi utile d’occuper le terrain, l’entraînement des contrôleurs de drones est moins long, moins coûteux que celui des pilotes, et les contrôleurs ne risquent rien, à partir de leur centre de commande.


Guerres automatisées


Parenthèse : des drones autonomes sont actuellement évoqués. Fort d’une large autonomie d’action, ils seraient programmés pour choisir eux-mêmes leurs cibles ! Imaginez-vous le casse-tête éthique : un monde dirigé par des machines qui, non seulement nous arrêtent quand on conduit trop vite, mais qui attaquent une cible d’un certain « profil »… Mais revenons au cœur des choses.


Chaque fois qu’une attaque ennemie tue quelques soldats alliés, des discussions se tiennent afin de déterminer la légitimité et la nécessité de continuer telle ou telle guerre. Avec la robotisation de la guerre, ces discussions n’auront plus lieu d’être. Comment se fait-il que l’ONU tolère cette situation ?


Les Soviétiques et les Américains avaient déjà réfléchi à ce genre de situation. Le traité ABM (Anti-Balistic Missile) signé à Moscou en 1972 répondait à cette idée qu’un pays trop bien protégé ne peut entreprendre une guerre de façon réfléchie. L’interdiction d’investir en défense se voulait porteuse d’espérance. Un pays qui investissait trop dans la défense était un pays qui deviendrait hostile, car sa défense l’immunisait contre des pertes éventuelles et rendait donc peu coûteuse la déclaration d’une guerre. Pourquoi ce même genre de réflexions n’existe-t-il plus aujourd’hui ? Les drones et la robotisation de la guerre sont encore pires. Les nations occidentales l’apprécient parce qu’elles pensent que les coûts humains seront moindres. Ils seront supérieurs, au contraire, mais seulement au sein des nations envahies. Si elle ne subit plus aucune perte, aucun signal d’alarme ne viendra faire réfléchir la nation belliqueuse.


Une arme défensive est l’arme offensive la plus dangereuse, et l’impunité que procure le drone, par exemple, l’est encore plus.


Pour faire la guerre, il faut souffrir des deux côtés. Sinon, elle ne se terminera qu’avec l’extermination et la mise à merci du plus faible. La population de l’État qui provoque une guerre ne saura même plus ce qui se passe. Le gouvernement n’aura plus de comptes à rendre. Les médias américains, eux, tirent profit du sang et des dollars. Une guerre qui ne mange pas trop d’Américains et coûte peu deviendra un fait presque divers.


Nous ne sommes plus au temps des chevaliers où l’honneur commandait de voir les yeux de celui qu’on affrontait. Aujourd’hui, ce qui importe, est surtout de ne pas les voir.


« La guerre n’est que la simple continuation de la politique par d’autres moyens » (Clausewitz, De la guerre, 1832), cependant elle est en train de ne devenir qu’une simple affaire de commerce où le peuple sera désormais isolé du processus décisionnel. Commerce peu coûteux pour les uns, trop pour les autres.


 


PS : ces liens montrent une attaque type d’un drone.


http://www.dailymotion.com/video/xa506y_compilation-d-attaques-americaine-e_news

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