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Égypte : une révolution ou un coup d’État militaire?

Le Caire, Égypte. Quelques jours seulement après le départ de l’ancien président Hosni Moubarak le 11 février, les nouveaux chefs de l’armée une rapide transition à un gouvernement civil dans les six prochains mois.

Les mêmes foules de militants qui avaient réclamé le départ de Moubarak ont applaudi leur armée qui promettait de conduire la nation vers un « système libre, démocratique ». Le moins que l’on puisse dire est qu’elle prend son temps.

La loi d’urgence, instrument de répression

Sept mois plus tard, pour beaucoup d’Égyptiens, il y a eu peu de changement.

Alors que le soi-disant Conseil suprême de l’armée égyptienne consolide, et parfois renforce, son emprise sur le pouvoir, la révolution qui a inspiré toute une région commence à ressembler de plus en plus à un coup militaire de la vieille école.

Des citoyens égyptiens continuent d’être jugés devant des tribunaux militaires et les dirigeants militaires ont prolongé la loi d’urgence, vieille de 30 ans et critiquée au temps de Moubarak, qui s’en servait pour justifier ses tactiques autoritaires.

Les chefs de la police égyptienne ont même annoncé ce mois-ci que les forces de sécurité utiliseraient des balles réelles contre des protestataires qui entreraient par effraction dans certains immeubles du gouvernement.

Des élections peu fiables

Bien que les dirigeants militaires aient finalement donné une date pour les élections parlementaires le 21 novembre – peu d’Égyptiens pensent que le vote sera équitable ou amènera la paix et la stabilité.

« L’armée ne donne pas l’impression de vouloir transférer son pouvoir à un gouvernement civil », a dit Joshua Stacher, expert de l’Égypte et professeur à l’Université de Kent. « Comme n’importe qui au pouvoir, ils veulent rester en place pour préserver leurs intérêts. »

Une armée corrompue

Quels sont ces intérêts ?

Un vaste empire financier cultivé durant les dernières décennies par les dirigeants du pays, qui sont tous issus des rangs de l’armée. En tant qu’ancien commandant de l’armée de l’air égyptienne, Moubarak a surveillé un réseau militaire qui possédait – et qui possède encore – d’innombrables entreprises privées.

L’armée dirige « un empire économique au sein de l’économie égyptienne », estime Samir Soliman, professeur de science politique à l’Université Américaine au Caire. Pendant plusieurs décennies, l’armée égyptienne a profité de l’argent investi dans tous les secteurs, des usines d’eau minérale aux hôpitaux, des hôtels en bord de mer aux boîtes de nuit.

Des tactiques « à la Moubarak »

Personne ne peut dire exactement quelle part de l’économie égyptienne est contrôlée par l’armée, mais la plupart des estimations sont à l’échelle des milliards.

Le souci, disent certains experts, c’est que vraisemblablement l’armée ne veut pas transférer tout le pouvoir aux citoyens, pour s’assurer de leur emprise sur ces atouts.

« L’armée ne laissera jamais un président civil surveiller leur budget, assure Stacher. Et les tactiques “à la Moubarak” pour contrôler les dissidents dans les rues sont une façon pour l’armée de consolider sa place au pouvoir. »

Des arrestations sans mandat

Cette semaine, le gouvernement intérimaire dirigé par les militaires a annoncé que la loi d’urgence, qui autorise la police à arrêter n’importe qui sans mandat, ne sera pas abrogée avant 2012.

Pour justifier cette décision, l’armée a déclaré que ce pouvoir était nécessaire pour éviter le type de chaos qui avait éclaté au Caire le 9 septembre, quand des centaines d’égyptiens ont pris d’assaut l’ambassade d’Israël.

Les militants et membres de l’opposition ont répondu en critiquant les « tactiques de la peur » de l’armée égyptienne. Selon eux, l’état d’urgence donne surtout aux forces de sécurité le moyen d’intimider les travailleurs en grève et d’étouffer par la force les manifestations pacifiques.

La stabilité à n’importe quel prix ?

Wael Ghonim, ancien cadre chez Google devenu un jeune militant durant le soulèvement contre Moubarak, a récemment plaidé devant les militaires pour une transition à une autorité civile démocratiquement élue.

« Après des semaines et des mois, le mode de gouvernance dans notre pays n’a pas fondamentalement changé, et la raison donnée a toujours été la “stabilité”. Que la stabilité en question soit illusoire, au fin fond de tout, ne semble pas déranger », a écrit Ghonim dans une lettre ouverte postée sur son compte Facebook, le 16 septembre.

L’armée ne sait pas gouverner…

Certains experts estiment que les conseillers militaires ne connaissent peut-être rien hormis la force brute. Les dirigeants actuels du pays, après tout, ont également dirigé le pays durant les trois décennies où Moubarak était au pouvoir.

Mohamed Tantawi, le chef d’État de fait, était l’ancien ministre de la Défense et proche de Moubarak. « Le leadership de transition abâtardi a montré qu’il n’est question que d’intérêt personnel pour des militaires dirigés par d’anciens membres du régime, estime Soliman. Mais ils ne savent pas comment s’y prendre. Le rôle de l’armée a toujours été de combattre. Non de gouverner. »

Que ce soit pour des raisons indicibles ou par ineptie, le gouvernement militaire semble conduire le pays sur une voie qui ressemble beaucoup à son passé autocratique, disent les experts.

Certains groupes de défense des droits de l’homme en Égypte voient dans la répression à l’encontre de la presse indépendantele signe que « le régime Moubarak se survit ».

La presse en partie censurée

Plusieurs chaînes du satellite – dont une d’Al Jazeera – se sont vu retirer leur licence au début de ce mois parce qu’elles n’auraient pas les permissions voulues, selon le ministre égyptien de l’Information. De mesures similaires avaient été prises avant les dernières élections parlementaires en 2010.

« Il faut savoir que peu de temps avant les élections en 2010, les pires de l’histoire de l’Égypte, le régime Moubarak s’était attaqué à plusieurs médias… Il avait réduit leur capacité à surveiller les procédures électorales et à dénoncer les irrégularités », a rappelé l’Institut d’études des droits de l’homme dans un communiqué de presse le 19 septembre.

Des révolutionnaires exaspérés

En attendant, les révolutionnaires égyptiens sont de plus en plus fatigués par les mois de manifestations à petite échelle et les grèves qui semblent incapables d’aboutir rapidement à une vraie réforme politique.

Une récente manifestation contre le prolongement de la loi d’urgence n’a rassemblé qu’une centaine de militants devant le Parlement, au centre du Caire. Mais les militants intransigeants qui ont mené le combat durant le soulèvement en janvier affirment qu’ils n’abandonneront pas.

« C’est normal pour nous d’avoir des hauts et des bas, explique l’avocat des droits de l’homme Ragia Omran lors de la manifestation devant le Parlement. C’est sûr : notre révolution n’est pas terminée. Mais nous y travaillons toujours. »

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