Site icon La Revue Internationale

Élections polonaises : Tusk et Kaczynski dans un mouchoir

diete_varsovie.jpgdiete_varsovie.jpg

[image:1,l]JOL Press : Quels sont les enjeux de ces élections ?

Thomas Siemienski : Elles se résument, pour l’essentiel, à un choix entre deux partis de droite. D’un côté, le PO – Platforma Obywatelska ou Plate-forme civique , une droite libérale, pro-européenne, avec pour cofondateur et président le Premier ministre Donald Tusk, en fonction depuis le 9 novembre 2007. De l’autre, le PiS – Prawo i Sprawiedliwość ou Droit et Justice –, dirigé par Jaroslaw Kaczynski, Premier ministre de juillet 2006 à novembre 2007 et frère jumeau de l’ancien président Lech Kaczynski, décédé dans le crash de l’avion présidentiel à Smolensk en Russie le 10 avril 2010. C’est une droite beaucoup plus conservatrice aux valeurs traditionnalistes, chrétienne et sociale dans sa gestion de l’économie.

JOL Press : Un duel de partis mais aussi un duel entre deux leaders ?

[image:3,s]Thomas Siemienski : Deux leaders aux personnalités très tranchées. Jaroslaw Kaczynski est un homme politique charismatique. Ce n’est pas forcément visible à la télévision car ce charisme ne s’appuie pas sur un physique flamboyant. Il en appelle à certaines valeurs auxquelles demeure particulièrement attachée toute une partie de l’électoral polonais. Il joue du patriotisme, évoque l’indépendance nationale. Il parle beaucoup et aime, notamment, raviver les vieilles peurs historiques, la peur des deux grandes puissances voisines, l’Allemagne à l’ouest et la Russie à l’est. Il n’hésite pas à inventer toutes sortes d’ennemis, forcément mal intentionnés à l’égard de la Pologne. Il tire aussi, encore un peu, profit de l’image de son frère Lech, l’ancien président.

Donald Tusk est lui aussi populaire. Ce n’est pas un grand tribun, et il est surtout apprécié pour sa gestion rigoureuse et le bilan de son gouvernement.

Particulièrement frappante, la haine entre les deux hommes qui, pourtant, sont deux anciens camarades de Solidarnosc, qui ont combattu côte à côte dans les dernières années du communisme.

JOL Press : N’est-ce pas aussi le duel entre deux Pologne ?

Thomas Siemienski : Donald Tusk et le PO se targuent d’être un peu le parti des milieux les plus éduqués, celui des grandes villes, des classes plus privilégiées. Le PiS aurait un électorat plus provincial, moins éduqué. Voter Jaroslaw Kaczynski serait le signe, si ce n’est d’une frustration, en tout cas d’une certaine peur, d’une inquiétude devant l’évolution de la Pologne, de l’Europe et du monde. Cette distinction est assez grossière. Dans la réalité, les différences sont beaucoup plus complexes. Il y a aussi des intellectuels qui soutiennent le PiS.

JOL Press : Quelle place tient la puissante Église catholique dans ces élections ?

Thomas Siemienski : Officiellement, aucun. Pourtant, certains prêtres se permettent de dire pour qui ils comptent voter. La frange la plus traditionaliste soutient évidemment Jaroslaw Kaczynski, sans que, néanmoins, cette profession de foi ait une réelle portée.

JOL Press : Comment est perçu le bilan du gouvernement ?

[image:4,s]Thomas Siemienski : Plutôt bien. D’un point de vue économique, la Pologne ne va pas trop mal. Elle résiste mieux à la récession que le reste de l’Union européenne, et elle a conservé de 2008 à 2010 des taux de croissance de l’ordre de 3 ou 4 %. Comme partout, le déficit budgétaire s’est creusé pour atteindre 6,5 % du PIB, mais il est prévu de redescendre à 3 % en 2012. La capacité à entreprendre des Polonais constitue un atout et, en plus, ils bénéficient de la manne des fonds européens.

JOL Press : Justement, l’Europe, l’Union européenne sont-elles des enjeux dans cette campagne ?

[image:2,s]Thomas Siemienski : C’est un véritable clivage entre le PO et le PiS. D’un côté, Tusk et le PO sont d’authentiques euro-enthousiastes. Ils considèrent que la Pologne profite des subventions européennes et ils comptent entretenir de bonnes relations avec les grandes puissances européennes au premier rang desquels le couple franco-allemand. Leur théorie est que la Pologne doit prendre toute sa place dans l’Union européenne pour influencer l’action menée. À l’inverse, pour le PiS et Kaczynski, l’Europe, c’est un peu comme une puissance étrangère qui tenterait d’influencer, voire de contrôler, le devenir du pays. Ce n’est pas l’URSS, mais presque. Ceci dit, si ce ne sont pas de farouches partisans du fédéralisme, ils n’en sont pas, pour autant, un parti eurosceptique. Un peu comme s’ils avaient un pied dans l’UE, un pied en dehors, au nom de la préservation de l’indépendance nationale. Des quoi les conduire au conflit.

JOL Press : Comment s’explique la faiblesse de la gauche polonaise ?

Thomas Siemienski : Le SLD, l’Alliance de la gauche démocratique, est créditée dans les sondages de 6 à 8 %, parfois 10 %. Une des raisons est que ce parti est, de fait, l’héritier direct du Parti communiste du temps de la dictature. Même si les années passent, il reste dans ses rangs de nombreux anciens apparatchiks qui ont été impliqués dans la répression des années 1980. Aleksandr Kwasniewski, l’ancien président de la République de 1995 à 2005, a été ministre des Sports sous Jaruzelski d’octobre 1988 à juillet 1989.

En outre, la société polonaise, très traditionaliste, rejette dans son ensemble les thèmes porteurs, dits de société, de la gauche social-démocrate en Europe, tels que la légalisation de l’avortement ou la sécularisation.

JOL Press : Comment s’explique la relative faiblesse de l’extrême droite ?

Thomas Siemienski : Un parti ressemblant beaucoup au Front national français, faisait partie de la coalition soutenant Jaroslaw Kaczynski lorsqu’il était Premier ministre. Ils avaient clairement des tendances fascisantes. Ils ont été laminés lors des élections de 2007. Leurs thèmes ont été, en partie, repris par Kaczynski, patriote exigeant, et ils expliquent en partie sa popularité.

JOL Press : Il est peu probable qu’un parti obtienne seul une majorité et le prochain gouvernement sera, à nouveau, un gouvernement de coalition. Quels sont les scénarios possibles ?

[image:5,s]Thomas Siemienski : Le PO et le PiS sont crédités, tous les deux, dans les sondages, d’environ 30 à 35 % avec une légère avance pour le PO. Les partis charnières seront les Ouvriers et Paysans du PSL, déjà en coalition avec Donald Tusk, et Ruch Palikota, le mouvement créé en octobre 2010 par Janusz Palikot, un dissident du PO, qui tient pour une ligne plus libertaire, anticléricale. Une coalition avec le SLD n’est pas totalement à exclure car on a pu observer un net rapprochement sur certains thèmes de campagne entre ce parti et le PO. A priori, le PiS semble plutôt isolé.

 

JOL Press : La campagne s’est délocalisée, notamment au Royaume-Uni. Quel rôle peut jouer la diaspora polonaise à travers le monde ?

Thomas Siemienski : Une forte mobilisation des Polonais de l’étranger pourrait avoir une influence sur le résultat et favoriser le PiS de Jaroslaw Kaczynski. Aux États-Unis, cette communauté très ancienne, très bien implantée, demeure fortement marquée par l’époque soviétique et est farouchement anticommuniste. C’est aussi le cas au Royaume-Uni. Kaczynski y a la cote. Au sein de la communauté polonaise en France, le rapport de force est beaucoup plus équilibré.

 

Thomas Siemienski est le responsable de la rédaction en langue polonaise de la chaîne d’information française Euronews. Il est aussi l’ancien correspondant à Paris de la radio publique polonaise, Polske radio.

 

Propos recueillis par Franck Guillory – JOL Press

Quitter la version mobile