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Encore un moment, M. le Bourreau !*

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Article 225 du Grenelle 2 : l’obligation de reporting RSE repoussée d’un an. Et alors ? Avec ce report, les apôtres du court-termisme ont gagné une bataille. Piètre victoire quand on sait les enjeux posés par la nécessité d’un développement durable et la contribution attendue des entreprises. Combat d’arrière-garde quand on constate chaque jour la montée en puissance de la dimension responsable dans les cahiers des charges des acheteurs du public comme du privé. Lutte surannée quand on voit de nombreux chefs d’entreprises, de toute taille, s’engager dans la voie de la RSE – responsabilité sociétale des entreprises – parce qu’ils ont compris qu’elle était synonyme de performance durable à l’instar des membres d’Entrepreneurs d’avenir ou du Centre des jeunes dirigeants (CJD).

Céder aux lobbys

Alors que les derniers obstacles venaient d’être levés, les députés ont néanmoins voté un amendement le 11 octobre qui repousse à 2013 la réforme des obligations de reporting social et environnemental.

Si Bertrand Pancher, député UMP de la Meuse et co-rapporteur de la loi Grenelle 2, n’a pas ménagé ses efforts pour que le décret d’application de l’article 225 soit enfin publié, force est de constater que la majorité de ses collègues n’ont pas été convaincus par ses arguments et ont préféré suivre la voie rétrograde tracée par les lobbys.

Affaire de coûts ? Faux argument

Tout a été dit et tout a été fait pour faire reculer l’échéance de la mise en application de cet article novateur, consacrant la RSE comme véritable vecteur de performance.

On a notamment invoqué des surcoûts pour les entreprises. Sur quelles bases ? Le seul retour d’expérience est celui des entreprises cotées et obligées par la loi NRE, notamment celui des entreprises du CAC 40. Or, qu’y a-t-il de commun entre une entreprise internationale et multisite et une entreprise de taille intermédiaire (ETI) ? Les données à collecter sont bien évidemment plus nombreuses, au même titre que les structures et équipes à mobiliser, et, par là même, le processus à mettre à œuvre.

On ne prend aucun risque à affirmer qu’à coût constant, un rapport RSE coûte aujourd’hui plus cher à une entreprise du CAC 40 qu’en 2003, tout simplement parce que les entreprises ont gagné en maturité sur cette thématique. Désormais, elles compilent plus d’informations et ont donné beaucoup plus de matière et de corps à leur rapport.

Mais où est-il inscrit dans l’article 225 qu’une entreprise de 5 000, 2 000 ou 500 salariés doive produire un rapport de 120 pages ? Est-il précisé que la conformité aux informations à produire dans le reporting nécessiterait d’envisager dès la première année d’intégrer la totalité des indicateurs de la GRI** ? Certainement pas ! Pas plus qu’il n’est dit que la vérification par un organisme tiers indépendant doive se faire dans le cadre des assurances modérées ou raisonnables, délivrées par les commissaires aux comptes qui interviennent depuis plusieurs années auprès d’entreprises qui ont décidé volontairement, de faire vérifier leur rapport.

Affaire de transparence ? Argument obscur

Alors que dans de nombreuses municipalités, de droite comme de gauche, on donne dans les journaux locaux la parole à l’opposition, il est singulier de constater que le monde de l’entreprise n’est manifestement pas près à une telle transparence ; ainsi, a-t-on fait pression pour interdire la possibilité aux parties prenantes de présenter leur avis sur les démarches RSE des entreprises comme le prévoyait initialement le projet d’article 225, via le vote de l’Article 32 de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010. Pour le coup, les « frileux » opposants auraient pu s’inspirer des bonnes pratiques d’entreprises comme Lafarge, Areva et autres PSA qui dialoguent avec leurs parties prenantes et intègrent leur point de vue dans leur rapport RSE.

À la logique de la conformité, préférer celle de l’anticipation

Dans son billet du 16 octobre 2011, le consultant québécois Jean-Pierre Dubé s’inspire de l’article Why Sustainability Is Now the Key Driver of Innovation publié par Harvard Business Review en septembre 2009 pour nous proposer les clés d’un développement durable, gisement d’innovations pour l’entreprise. Jean-pierre Dubé affirme qu’il convient de « gérer les normes, lois et règlements sur l’environnement non pas par contraintes mais par opportunités », et de préciser : « Votre entreprise doit adopter rapidement et même dépasser les normes, lois et règlements émergents. Ce leadership vous donnera une longueur d’avance pour expérimenter de nouveaux matériaux, technologies et processus et promouvoir vos innovations. » Ce facteur clé de succès s’applique de façon plus large à l’ensemble du périmètre de la RSE et donc au contenu de l’article 225 de la loi Grenelle 2.

Ainsi, l’on voit aujourd’hui des entreprises répondant aux critères des plus de 5 000, 2 000 et 500 salariés anticiper la publication du décret de l’article 225 pour faire valoir leur innovation, leur excellence et leur dynamisme sur des marchés où la pression concurrentielle exercée par des grands groupes est particulièrement forte. Dans cette veine, la publication d’un rapport de développement durable devient tout à la fois un levier commercial et un levier de fierté d’appartenance.

Positiver cette année grappillée

En proposant aux entreprises de publier leurs pratiques sociétales, l’article 225 est avant tout un catalyseur de RSE. Parce que bien évidemment, il ne suffit pas, comme le soulignait Christian Brodhag, de faire un peu d’environnement et de social pour répondre aux enjeux du développement durable et d’affirmer que son entreprise s’est dotée d’une démarche structurée de RSE.

Dès lors, l’année gagnée ou perdue – selon les points de vue – donne l’opportunité aux entreprises de mieux préparer leur futur reporting RSE, afin d’éviter que ce document ne se cantonne à compiler des informations éparses et cosmétiques. La meilleure préparation repose sur une réflexion autour de la nature de la responsabilité sociétale pour chacune des entreprises impactées, sur la définition des enjeux et l’affirmation de ses engagements et de ses objectifs, en fonction – selon la définition que donne l’ISO26000 de la RSE – des impacts de ses décisions et de ses activités sur la société et sur l’environnement, se traduisant par un comportement transparent et éthique qui contribue au développement durable, y compris à la santé et au bien-être de la société, prend en compte les attentes des parties prenantes, respecte les lois en vigueur et est compatible avec les normes internationales, le tout intégré dans l’ensemble de l’organisation et mis en œuvre dans ses relations. De cette réflexion naîtront des politiques RSE mesurables et pilotables, sans pour autant se noyer dans des indicateurs et des process qui ne feront pas sens à l’activité et à l’ambition de l’entreprise, pas plus qu’à l’esprit de la loi.

Bénéfices financiers, mais aussi environnementaux et sociétaux

Nous citions en introduction l’engagement des chefs d’entreprises membres d’Entrepreneurs d’avenir et du CJD. Citons ici les mots de François-Henri Pinault prononcés en assemblée générale de PPR et relevée par Les Échos dans son dossier en date du 5 octobre consacré au développement durable, qui donne une vision ambitieuse et pragmatique de la RSE : « Nous devons générer des bénéfices environnementaux, sociétaux et financiers. »

 

* Mot prêté à Marie-Antoinette sur l’échafaud.

** La Global Reporting Initiative se donne pour objet, depuis 1997, au plan mondial, de développer des directives de développement durable et de synthétiser les performances économiques, environnementales, et sociales, initialement pour des sociétés et par la suite pour n’importe quelle organisation, y compris gouvernementale.

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