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Face au numérique : qu’en est-il des autres médias ?

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Le numérique ne touche pas seulement la presse


Le cas de la presse n’est pas unique, loin s’en faut, et l’on aurait grand tort de penser qu’elle est seule à affronter l’onde numérique.


Tous les autres médias et industries culturelles sont confrontés au même paradigme.


L’industrie musicale a sans doute été historiquement la première à subir le choc, et des groupes comme Time Warner ou Bertelsmann, présents dans la musique comme dans les médias, le savent parfaitement qui devraient en avoir tiré de précieux enseignements.


Basée sur un modèle dominant, la vente de disques, l’industrie musicale a connu la numérisation quasi totale et une dématérialisation massive des supports musicaux qui ont entraîné la vente de disques dans une spirale terriblement négative. Le disque est devenu physiquement un objet dramatiquement moins consommé. Pour de bonnes raisons : les lecteurs les plus répandus (type iPod d’Apple) quel que soit leur standard, ne lisent que des fichiers purement numériques. Mais pour de moins bonnes raisons, surtout : le piratage.


Les réponses des « majors » ont été de 4 types :


Gestion ultra-serrée de leurs coûts fixes (qui n’étaient traditionnellement pas un point fort de cette industrie, connue pour ses excès flamboyants…) : en quelques années, leurs dépenses de fonctionnement (au prix de multiples plans sociaux) ont spectaculairement baissé.


Fusions d’entreprises (devenues beaucoup moins nombreuses) et recherche de synergies ultérieures.


Réduction de tous les investissements et dépenses de soutien promotionnel : un disque doit coûter moins cher, un artiste qui ne rapporte pas n’est pas conservé, moins de paris de long terme sur des artistes, etc.


• Diversification des revenus en élargissant leurs positions dans la chaîne de valeur : organisation de concerts, produits dérivés, ventes sur supports numériques (où Apple reste en position dominante).


La télévision, reine de l’adaptation numérique


La télévision, elle aussi, est entrée de plain-pied dans l’ère numérique et les positions les plus établies ont été remises en cause en quelques années à peine.


Avec la phénoménale multiplication des chaînes en France par le biais de la TNT, c’est toute l’offre pour les téléspectateurs qui s’est transformée avec tout l’environnement concurrentiel pour les acteurs industriels. Nul n’imagine un retour en arrière, d’autant moins que, en France par exemple, la transmission analogique s’est purement et simplement éteinte, enterrement définitif d’une technologie et d’un type d’offre aussi vieux que la télévision elle-même.


Lancée chez nous au printemps 2005, la TNT a conquis en 5 ans un tiers du marché et continue à gagner des parts de marché au détriment des acteurs historiques. Les audiences se sont naturellement émiettées et l’exception française d’une chaîne ultra-dominante (qui se présentait comme « la plus forte d’Europe ») n’a plus cours.


Ceux qui, TF1 en tête, avaient tenté de manœuvrer pour empêcher son éclosion puis ont refusé de voir ce nouvel acteur, en ont fait les frais et n’ont pu revenir dans la course que tardivement et au prix de coûteux rachats de chaînes.


Offre réellement de masse, le modèle d’audience qui a pris le leadership est celui de la TNT gratuite (donc financée par la publicité), dans laquelle même le groupe Canal (qui dispose de moyens très importants et de synergies évidentes) vient de se lancer, alors même que son modèle économique reste encore très incertain : de nombreuses chaînes sont structurellement en déficit.


Les bouleversements apportés par le numérique vont cependant bien au-delà de simples combats de parts de marché entre opérateurs nationaux.


Recevoir la télé via une prise de courant et une « box » ouvre l’accès à une variété sans contraintes de programmes et de combinaisons de bouquets de chaînes.


L’offre s’est ainsi multipliée vertigineusement, comme le savent bien par exemple les magazines spécialisés dans les programmes TV qui ont du mal à suivre ces évolutions continues, et les acteurs se sont diversifiés avec les fournisseurs d’accès à Internet.


Plus de JT à heure fixe


Mais le mouvement est loin d’être terminé.


En réalité, le numérique a fait voler en éclat les possibilités de regarder des images « animées » : les écrans sont devenus plats, ils ont envoyé à la casse tous les appareils existants, puis d’autres écrans sont apparus chez soi (multiplication des écrans à domicile dont celui des ordinateurs) ou en mobilité (smartphones, tablettes).


Le numérique ouvre également à la consommation de télé de manière délinéarisée par le streaming et les systèmes de télévision de rattrapage (catch up) ou de vidéos à la demande (VOD).


Cette deuxième révolution rompt le lien, aussi ancien que la télévision, de l’horaire de diffusion et du programme imposés par le diffuseur, et donne au spectateur la possibilité réelle de composer ses propres programmes. Les grands rendez-vous télévisés, hors événements sportifs ou exceptionnels, sont voués à se diluer : le fameux film du dimanche soir ou les JT à heure fixe n’auront plus qu’une partie des spectateurs qui en faisaient des moments incontournables.


Arrive maintenant une troisième révolution : la TV connectée à Internet, avec, à terme, l’accès à tous les contenus disponibles en ligne…


C’est un nouveau modèle qui est en cours de mutation dont on peine à imaginer les contours mais qui, on le pressent, va imprimer une nouvelle secousse tellurique au monde de la télévision.


De nouveaux acteurs peuvent ainsi entrer dans la télé théoriquement et techniquement à l’infini. Pratiquement, ce sont les géants du Net que l’on voit se profiler, dont les moyens sont considérablement plus élevés que ceux des opérateurs de TV nationaux.


La VOD concurrence Google TV, Apple TV et Hulu


Aux États-Unis, par exemple des fournisseurs de vidéo à la demande deviennent concurrents frontaux des chaînes payantes. Et Google TV, Apple TV ou Hulu sont en train pénétrer en force dans les récepteurs familiaux.


La TV n’est plus celle « d’avant ». C’est, depuis quelques années sur un rythme croissant, un flux d’images « quand je veux, comme je veux et où je veux » qui va devenir une porte ouverte sur l’infinité de contenus qu’offre le Net.


La TV monolithique, rare et unidirectionnelle, est bel et bien à ranger parmi les antiquités qui font sourire nos enfants.


Le modèle publicitaire d’où proviennent la quasi-totalité des ressources des plus grands opérateurs est lui aussi en pleine recomposition : il reposait sur la vente d’écrans à heure fixe, il doit maintenant s’adapter à cette imminente et totale délinéarisation.


C’est une réinvention d’un modèle aussi ancien que la TV et dont les enjeux portent sur des sommes colossales.


Les opérateurs « historiques » luttent de toutes leurs forces pour ralentir, voire bloquer des évolutions susceptibles de rebattre les cartes, ce que dénonce le patron d’un des groupes challengers, Alain Weill (Le Monde 29 mars 2011). Les géants de l’Internet ont, selon lui, un boulevard qui s’ouvre devant eux dans la télé connectée, ouvert par l’immobilisme du secteur. Il dénonce le malthusianisme des groupes TV « historiques ».


La TV connectée ouvre enfin une nouvelle course à l’acquisition de contenus, les acteurs qui les détiendront s’approprieront, en effet, les clés des audiences futures, et cette course se déroule à l’échelle de la planète.


Or les diffuseurs de télévision ne possèdent que peu de contenus, y compris pour leurs programmes phares (on songe aux séries américaines). Pour l’essentiel, ils se fournissent sur le « marché ».


La TV connectée redonne ainsi de la valeur aux contenus « propriétaires » : tous les acteurs cherchent à en acquérir pour capter ou conserver leurs audiences, fournisseurs d’accès (FAI), futurs acteurs de la TV connectée (Apple TV ?) ou même fabricants de postes (Samsung, LG, etc.).


Ainsi TF1 vient d’enregistrer en 2011 un réel succès lors de la mise aux enchères de la diffusion de ses chaînes numériques (LCI, etc.) qui ont été achetées au prix fort par des FAI alors que la même mise en vente en 2009 s’était révélée très décevante (et même si TF1 reste perplexe sur le futur de LCI).


En pleine incertitude sur ses ressources et son modèle futurs, le monde de la télévision est à l’aube de recompositions et, comme la presse, sujet à de gigantesques tensions.

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