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« Je suis pour un Sénat européen des régions »

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Le geste n’est pas purement protocolaire : la remuante Française, dont on peut à loisir lire le blog exclusif sur ce même site de JOL Press, a quelques «vérités» à asséner aux « technocrates » européens, à commencer par le premier d’entre eux, José Manuel Barroso, président de la Commission européenne. Michèle Sabban l’estime un peu dur d’oreille quand elle évoque avec lui la « situation grave » de certaines régions européennes, touchées par la crise financière. Or, elles constituent, aux yeux de celle qui anime depuis trois ans le lobby majeur de la réalité régionale européenne, la véritable dynamique de l’Europe au sein d’États qui, dit-elle « nous laissent tomber ». Une prise de position forte et sans ambiguité.

Prôner la convergence entre régions, toujours insuffisamment reconnues

JOL Press : Politique de « cohésion », le mot est avenant. Mais rend-il compte de la réalité des régions ? Mènent-elles une politique de cohésion ?

Michèle Sabban : ce mot de « cohésion territoriale » sonne de façon bien compliquée auprès des présidents de régions qui appliquent, eux, une politique économique régionale, une politique sociale régionale. Il s’agit d’une terminologie très « Commission européenne ». Je lui préfère les termes de « politique régionale ». Le 21, j’insisterai sur l’importance, au chapitre « Compétences », de ne pas jouer les régions les unes contre les autres, mais de profiter de la compétitivité de certaines pour la mettre au service des autres, de faire en sorte que celles qui n’en ont pas les moyens bénéficient des expériences et des bonnes pratiques. La « convergence », pour moi, et c’est la raison d’être de l’ARE, traduit l’idée que l’avenir de l’Europe passera par les régions. C’est notre point d’orgue. Le moyen de nous montrer plus forts. Puis se pose la question économique. Dans la période où nous nous trouvons, alors que nous entrons dans le plein de la crise dans les jours à venir – et j’ai bien peur que ce ne soit encore plus dramatique que ce que nous venons de vivre –, les régions vont plus que jamais mettre le principe de subsidiarité qui est le nôtre au service de nos concitoyens.

JOL Press : C’est ce qui est déjà à l’œuvre. Comment aller plus loin ?

Michèle Sabban : En amplifiant ce mouvement. Les régions ont besoin les unes des autres parce que les gouvernements nous laissent tomber ! En tout cas, certains.

JOL Press : Vous avez l’intention, le 21 octobre, au cours de ce Sommet sur la politique de cohésion 2014 que l’Assemblée des Régions d’Europe organise avec le land du Niederösterreich* de présenter un « manifeste » musclé au commissaire européen en charge de la politique régionale… Quel caractère particulier revêt ce sommet de Saint-Pölten ?

Michèle Sabban : Il s’agira d’une autre étape qui appellera les uns et les autres à notre cause pour nous montrer plus forts. Avec le Comité des régions, avec les assemblées diverses et variées qui vont toutes dans le même sens, nous voulons nous donner les moyens d’être reconnus. Les questions fondamentales, comme celle de l’emploi qui aideront l’Europe à redresser la barre, passent par les régions.

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JOL Press : Des régions toujours insuffisamment reconnues ?

Michèle Sabban : Bien sûr. J’avais déjà interpellé M. Barroso il y a deux ans, quand il avait établi son plan d’action « twenty-twenty » [perspective 2020], en lui disant « M. le Président, il aurait fallu que vous preniez en compte l’état des régions, que vous compreniez à quel point elles se battent… » Il m’avait répondu : « Oui, je le ferai ». Je l’ai à nouveau interpellé l’année dernière. Auprès du commissaire chargé des politiques régionales, je vais insister à Saint-Pölten pour qu’il suscite une réunion urgente entre les présidents des assemblées régionales et le président Barroso, parce que la situation est grave, et que les régions veulent être, non seulement entendues, mais participer activement.

JOL Press : Le commissaire Hahn n’est-il pas celui qui doit parler au nom des régions ?

Michèle Sabban : En principe, mais je pense que la Commission européenne a fixé d’autres priorités, alors que les régions pourraient constituer une carte maîtresse de l’Europe twenty-twenty. Le commissaire Hahn partage complètement nos vues sur cette question, simplement j’ai l’impression que le président Barroso, pour le moment, n’entend pas son commissaire. J’ai donc l’intention de l’aider à l’écouter.           

La France et ses régions « à gauche », un cas à part

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JOL Press : À vous entendre, l’on a presque l’impression que la crise financière que nous connaissons pourrait constituer, pour les régions, une chance de se faire entendre, ou bien est-ce forcer le trait ?

Michèle Sabban : Je dirais l’inverse. La crise actuelle est telle que les régions sont une chance pour l’Europe et pour les gouvernements. J’ai eu l’occasion, il y a quelques semaines, de répéter que les régions sont le meilleur de l’Europe. Et comme l’Allemagne et la France en sont pour l’heure les acteurs principaux, elles devraient se pencher un peu plus vers les régions. En France, existe un problème politique interne : toutes les régions ou presque sont de gauche. Mais le gouvernement français se trompe : ce n’est parce qu’elles sont dirigées par une assemblée de gauche qu’elles ne peuvent faire progresser les situations vers une sortie de la crise économique.

JOL Press : La France est-elle un cas à part ?

Michèle Sabban : Un nombre croissant de régions françaises participent aux travaux de l’Assemblée des Régions d’Europe, et j’espère encore davantage demain, et elles apportent de vrais progrès en matière de culture, par exemple, de transports, mais ce ne sont pas tant les régions qui sont « différentes », c’est le gouvernement français vis-à-vis de ces régions. Dans nombre de pays, les gouvernements soutiennent les régions, les aident, travaillent avec elles, et ce n’est pas le cas en France.

JOL Press : N’est-ce pas le cas ailleurs surtout parce que l’on a affaire à des pays à gouvernements fédéraux ?

Michèle Sabban : Certes, mais il faut revoir le statut des régions au plan européen. En Espagne, entre autres, les régions sont de petits ministères, dotées de prérogatives législatives. Chaque pays assigne pratiquement à ses régions un statut différent, je pense que nous aurions intérêt à réfléchir ensemble à une harmonisation du rôle et de la place des régions. J’ai presque envie de vous dire qu’il nous faudrait créer un « sénat » européen des régions, sur le modèle du Bundestag allemand. Ce pourrait être un objectif de l’Assemblée des régions d’Europe !

Des régions dans une « Europe-Unie »

JOL Press : Est-ce à dire que l’ARE et sa présidente sont favorables à une vision « fédérale » d’une Europe beaucoup plus « intégrée », centralisée autour d’un gouvernement européen ?

Michèle Sabban : Nous ne disposons pas actuellement d’un tel gouvernement européen. Le président européen n’applique pas la politique qui devrait prévaloir, pas plus que le président de la Commission européenne. Nous devrions compter sur un ministre de l’Économie capable d’impulser une politique économique beaucoup plus forte que par le passé et le présent. Quand, en France, le référendum sur l’Europe, en 2005, avait vu la prédominance du « non », j’avais impulsé une campagne, avec d’autres, dont Dominique Strauss-Kahn, où la question d’un ministère des Finances avait déjà été soulevée.

JOL Press : Penser à des « États-Unis » d’Europe ne risque-t-il pas de reléguer les régions avec des députés plus représentatifs de leurs gouvernements ?

Michèle Sabban : Aujourd’hui, les députés européens sont élus par pays. Ils ne sont pas des candidats européens en tant que tels. Les gouvernements, presque tous, ne pensent pas « Europe », ne font pas l’« Europe ». Mais dans l’avenir, les listes rendront compte de l’existence de parlementaires réellement européens, qui ne seront pas le reflet des gouvernements. Et ce ne sera pas en contradiction avec les régions : elles disposent de délégations tout à fait différentes des questions dont traite le Parlement européen. Dans certains pays, et c’est le cas en France, là ou l’État est défaillant, la compétence passe aux régions, et les choses se mettent en place. Les régions sont obligées de « faire ». Prenez les transports en Île-de-France, les lycées, et c’est la même chose dans d’autres pays. Les régions exercent les délégations qui sont les leurs, mais prennent aussi des lois régionales. Je crois qu’il s’agit d’une évolution obligatoire. Le plan 2020 y sera contraint. Les trois « C », convergence, compétence, compétitivité passeront par les régions.

Qui dit député, dit parlementaire, donc législateur, qui doit anticiper, faire respecter des lois européennes, politiques et non technocratiques. Pourquoi les députés européens sont-ils si loin de leurs électeurs ? Mais parce qu’ils sont sur une autre planète que nous ! Or ils ne demandent qu’une chose, c’est de se rapprocher de leurs concitoyens.

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JOL Press : Quelles seront les clés du manifeste de Saint-Pölten ?

Michèle Sabban : je resterai sur la revendication d’une anticipation beaucoup plus forte, en matière économique, en direction des régions. Aujourd’hui, les priorités, bien sûr, vont à l’éducation et à l’emploi, mais l’on ne fera de l’éducation et de l’emploi que si les régions sont économiquement plus fortes. Elles ne le seront que si elles sont entendues par la Commission européenne.

 
JOL Press : pourquoi pensez-vous que le message passera mieux cette année ?

Michèle Sabban : Parce que la crise est là. Parce que chacun essaie de trouver des solutions. Les régions n’étaient pas la priorité. Mais certains gouvernements, certains États, s’appuient désormais sur les régions.

*La région la plus au nord des neufs lander d’Auriche.

Propos recueillis par Olivier Magnan pour JOL Press

 

Quelques repères :

La politique de cohésion de l’Union européenne, autrement désignée par l’expression de « politique régionale », s’est donné pour objectif de contribuer à « renforcer la cohésion économique et sociale de l’UE ».

Elle déploie un programme sur la période 2007-2013 sous la forme de trois objectifs, les « trois C » :

1. Convergence : aider les régions en retard de développement. Budget alloué : 251 milliards d’euros (81,5 %).

2. Compétitivité régionale et emploi : au bénéfice des régions non concernées par le programme Convergence. Budget alloué : 49 milliards d’euros (16 %).

3. Coopération territoriale européenne : toutes les régions sont concernées. Budget alloué : 7,75 milliards d’euros (2,5 %).

À l’issue du sommet de Saint-Pölten, l’ARE a publié ce communiqué :

« Le budget proposé par la Commission européenne pour la future politique de cohésion doit absolument être maintenu. Elle est un pilier de l’intégration. La croissance qu’elle impulse est bénéfique pour tous les citoyens européens. Elle ne doit pas être mise en danger ! Pour l’ARE, il faut la mettre en œuvre par un partenariat fort avec les régions, qui ont une connaissance précise des besoins de leurs territoires. C’est la meilleure réponse que nous pouvons apporter à la crise », a déclaré Michèle Sabban, présidente de l’Assemblée des Régions d’Europe. La présidente de l’ARE a demandé à toutes les régions membres de transmettre le Manifeste de Saint-Pölten à leurs gouvernements respectifs, afin que la voix des régions soit entendue dans les négociations budgétaires.

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