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Jules Hoffmann: des insectes et des hommes…

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[image:1,l]Lundi 3 octobre 2011, un communiqué de Stockholm annonce les lauréats du prix Nobel de physiologie et de médecine 2011 : « Messieurs Bruce Beutler et Jules Hoffmann se partagent une moitié du prix pour leurs travaux sur le système immunitaire inné. M. Ralph Steinman est récompensé pour ses travaux dans le système immunitaire adaptif. »

Une nouvelle inattendue, un formidable honneur pour le biologiste français Jules Hoffmann, 70 ans. C’est à Shanghaï, où la journée est déjà bien avancée, qu’il apprend la nouvelle, « heureux » plutôt que « fier ». Il a la modestie des grands « trouveurs » : « Je ne prends pas ce prix pour moi pour l’instant. Je suis très content que [le comité Nobel] ait choisi ce groupe-là, des gens qui s’entendent bien » – et on imagine alors qu’il pense, en particulier, à son co-récipiendaire le Canadien Ralph Steinman, décédé trois jours trop tôt d’un cancer du pancréas.

Un grand scientifique reconnu et souvent primé

[image:5,s]« Ce sont les travaux de ces trois groupes qui ont permis d’avoir une meilleure compréhension de l’immunité innée », explique-t-il avant d’ajouter, en toute simplicité : « Je n’étais pas sûr que ce domaine méritait un prix Nobel […], je ne pensais pas que notre contribution attirerait autant l’attention. » Le doute peut toujours être légitime, a fortiori chez le scientifique, mais n’avait-il pas déjà eu maintes fois l’occasion de prendre conscience de la reconnaissance de ses pairs pour ses travaux et leurs résultats : il y a tout juste deux semaines, il a reçu la médaille d’or du CNRS, une des plus hautes distinctions scientifiques françaises, et, dans les quelques mois qui ont précédé, les prestigieux prix Keyo de médecine, prix Gairdner en sciences médicales et le prix Shaw en sciences du vivant et médecine

Ses découvertes « ont fait émerger une vision nouvelle des mécanismes de défense que les organismes, des plus primitifs jusqu’à l’homme, opposent aux agents infectieux », indiquait le CNRS. Ainsi, à partir de l’étude du système immunitaire de la mouche du vinaigre, il a su montrer l’importance d’une première ligne de défense contre les micro-organismes que l’homme partage avec les insectes.

Les insectes, une passion

Jules Hoffmann est né au Luxembourg, le 2 août 1941. Son père, enseignant de sciences naturelles, collectionne les insectes à ses heures perdues. Il lui a transmis sa passion. Tous les deux, ils courent la campagne luxembourgeoise pour en répertorier les insectes. À 17 ans, il publie son premier article sur les criquets locaux dans les Archives grand-ducales des sciences et démontre déjà ses talents d’argumentations : « Avec deux millions d’espèces décrites, les insectes représentent 90 % des espèces animales. Leur interaction avec l’homme est décisive : un tiers de l’humanité est exposé à la transmission des maladies par ceux-ci et ils détruisent un tiers des récoltes. » <!–jolstore–>

Sa thèse : les défenses des insectes contre les microbes

[image:4,s]Tout naturellement, jeune étudiant à l’université de Strasbourg, il décide de consacrer sa thèse aux mécanismes de défense antimicrobiens des insectes et rejoint le laboratoire du Pr Pierre Joly. L’objectif de ses recherches est simple : comprendre pourquoi les insectes se défendent aussi bien contre les agressions extérieures et utiliser cette connaissance pour mieux les combattre – « dans les laboratoires, on transplantait depuis des années des organes d’un insecte à l’autre sans jamais provoquer d’infections, » se souvient-il.

Une parenthèse en endocrinologie

Ses travaux le conduisent d’abord à s’intéresser au système endocrinien du criquet migrateur. En irradiant un organe qui produisait des cellules sanguines, il découvre que non seulement son système immunitaire s’effondre, mais aussi que son cycle de mue est stoppé. L’endocrinologie apporte à son laboratoire, à la tête duquel il a succédé à son maître Pierre Joly, argent et contrats. Pourtant, son sujet de prédilection restent les mécanismes antimicrobiens. « Avec le recul, il m’arrive de regretter d’avoir délaissé pendant toutes ces années les mécanismes antimicrobiens pour l’endocrinologie », reconnaît Jules Hoffmann.

Retour aux mécanismes antimicrobiens

Dans les années 1970, il crée le laboratoire Réponse immunitaire et développement chez les insectes, installé à l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire du CNRS, à Strasbourg, qu’il a dirigé de 1994 à 2006. Ce n’est qu’à la fin des années 1980 que le groupe de Jules Hoffmann décide d’abandonner l’étude du système endocrinien des insectes et de se consacrer à 100 % aux mécanismes de défense contre les bactéries et les champignons.

Du criquet migrateur à la « mouche du vinaigre »

[image:2,s]Un autre choix stratégique est arrêté : celui d’utiliser la mouche drosophile ou « mouche du vinaigre », plus facile à faire muter sur le plan génétique. « Pour identifier avec les méthodes physico-chimiques de l’époque certaines des molécules actives, nous avons dû piquer et infecter près de 100 000 mouches !, se souvient le biologiste. La science est aussi affaire de main-d’œuvre… »

De la mouche à… l’homme

L’analyse par le biologiste des réponses antimicrobiennes des insectes procure des avancées pour la compréhension des mécanismes chez les mammifères, homme compris, à une époque où personne ne faisait ce type d’études au plan mondial. « Les insectes se défendent remarquablement bien contre les infections, notamment par la production de puissants peptides [petites protéines] à large spectre d’activité contre les bactéries et les champignons », a-t-il expliqué devant l’Académie française des sciences, quand il l’a présidée, de 2006 à 2008.

Considérée maintenant comme une première ligne de défense indispensable avant l’apparition d’anticorps, l’immunité innée faisait alors figure de système « subalterne ». On connaissait les phagocytes, des globules blancs avaleurs de bactéries, mais « on ne s’attendait pas à ce que cela soit aussi complexe ».

Le rôle essentiel de l’immunité innée

[image:3,s]L’immunité innée est une « défense immédiate et générale, sans viser spécifiquement un germe infectieux ni mémoriser son identité », explique Jules Hoffmann, qui a découvert en 1996 le récepteur Toll. Capable d’identifier un agent pathogène, il intervient aussi dans l’activation de l’immunité adaptative ou spécifique, le deuxième type de réponse immunitaire entraînant la production d’anticorps. Deux ans plus tard, plusieurs récepteurs « Toll-like receptors » (TLRs) sont identifiés chez l’homme. Mieux : on découvre qu’ils sont, chez les mammifères, rien de moins que le système d’alarme qui déclenche le système immunitaire adaptatif !

De jolies histoires…

« C’est une jolie histoire, commente Jules Hoffmann. Au départ, tout ce que nous voulions, c’était comprendre comment l’insecte se défend et bloquer ses défenses pour le neutraliser. Grâce à la drosophile, on a pu apporter en quinze ans des éléments nouveaux et importants sur l’immunité innée qui concernent tous les grands groupes animaux, y compris l’homme, chez qui ce sujet était très peu étudié. »

Ce n’est pas la seule belle histoire que les insectes ont occasionnée dans la vie de cet homme qualifié de chaleureux, bon vivant, élégant et en même temps un peu austère. Au laboratoire, Jules Hoffmann a rencontré son épouse Danièle, alors technicienne. Après avoir repris ses études, et passé une thèse sous sa direction, elle est devenue l’une de ses proches collaboratrices, et lui a donné deux enfants, nés en 1970 et 1974.

Et tout cela alors qu’en entamant des recherches sur les insectes, il pensait, avec humour, devoir se cantonner à la production d’insecticides…

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