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La génération qui va changer l’Amérique

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[image:2,s]Colby, Julian, Hannah, Maïka, Guorui, Brenda, Scott, Lyndon et les autres… Ils sont politiques, journalistes, financiers, comédiens, militaires, pasteurs… Ils habitent en Floride, à New York, en Californie, au Texas, dans l’Iowa… Ils ont entre 20 et 40 ans. Louise Couvelaire les a suivis et elle raconte leurs histoires. Fine connaisseuse des États-Unis, elle rappelle aussi le contexte dans lequel ils ont grandi, les attentats du 11-Septembre, la tuerie du lycée de Columbine, les deux guerres d’Afghanistan et d’Irak, les années Bush… et, aujourd’hui, un krach boursier, une crise économique, de nouveaux concurrents internationaux et Barack Obama.


Des histoires américaines, portraits d’une génération


JOL Press : Votre livre American stories, ce sont dix-huit histoires, les histoires de dix-huit jeunes Américains. Comment les avez-vous choisis, ces jeunes et leurs histoires ?

Louise Couvelaire : Je passe beaucoup de temps aux États-Unis. Au départ de ce projet, il y a un constat, celui d’un clivage générationnel entre les 20-40 ans et ceux qui les précèdent, les baby-boomers au sens large. Ils ne sont d’accord que sur pas grand-chose, j’ai voulu voir sur quoi, comprendre pourquoi et en imaginer les conséquences.
L’idée était d’aller voir ce que cette nouvelle génération, qui n’est pas encore aux manettes, a dans la tête, constater comment et sur quels sujets des changements s’amorcent, ce qu’ils imaginent faire de leur pays.
Toutes ces histoires sont singulières, mais pas anecdotiques.


JOL Press : Singulières, justement… une génération n’est pas monolithique, ses membres ne parlent pas d’une même voix. Forcément, des disparités demeurent…

Louise Couvelaire : Bien sûr, ils ne pensent pas tous exactement la même chose sur tout. Mais, on observe des points communs flagrants dans leur approche de la vie et de ses problèmes. Ils apparaissent nettement moins portés par des idéologies, des principes arrêtés que leurs prédécesseurs. Ils sont étonnamment plus pragmatiques. La méthode qu’ils prétendent vouloir privilégier consiste à voir ce qui va fonctionner, ce qui peut fonctionner à l’avenir, sans réel parti pris politique.
Ils ont conscience que leur pays va mal, qu’il y a de nouveaux concurrents étrangers. Ils portent un regard sans concession sur leurs aînés. Ainsi, souvent, dans leurs bouches, revient l’idée de ne pas fonctionner par appétit du gain. Leur rapport à l’argent est différent. Ils prétendent ne pas vouloir en faire leur principale motivation. Pourtant, ils ont conscience qu’il vaut mieux gagner de l’argent, ils comptent bien faire en sorte d’en avoir. Ils ont une formidable « énergie de faire », mais pas n’importe comment, pas à n’importe quel prix.


JOL Press : Vous nous parlez des États-Unis. Dès lors, n’y a-t-il pas, plus fortes que tout, de formidables disparités géographiques dans cette évolution des mentalités ?

Louise Couvelaire : Oui, on constate de manière plus évidente ces évolutions sur les côtes, est et ouest, que dans le Midwest ou le sud profond, et cela de manière traditionnelle. Mais j’ai aussi rencontré des jeunes originaires de l’Amérique profonde et ils témoignaient aussi de cette évolution des mentalités.
D’où qu’ils viennent, ils ont conscience que quelque chose ne fonctionne plus dans ce pays et qu’il faut y remédier.
Prenez Hannah, militante proche du Tea Party… Elle est farouchement de droite, une droite ultra, comme son père mais son approche est moins violente, moins manichéiste, moins radicale.


L’exceptionnalisme américain a de l’avenir


JOL Press : Que représente, pour eux, être américains ?

Louise Couvelaire : Être le n° 1, être les meilleurs, avoir le devoir de l’être. C’est ce qui les fait avancer. L’exceptionnalisme américain demeure, intact.


JOL Press : Quel regard portent-ils sur le reste du monde ?

Louise Couvelaire : Ils m’ont donné l’impression de surtout s’intéresser à ce qui se passe aux États-Unis. Selon un trait fort de l’identité américaine, ils demeurent très centrés sur l’Amérique. Néanmoins, de manière plus ou moins floue, ils semblent avoir conscience que la carte du monde et ses équilibres sont en train de changer. Ils ont conscience de l’existence de puissances émergentes. Ils mentionnent la Chine, l’Inde, mais balaient la question très vite.
L’Europe ne figure pas dans leurs radars. Elle reste la « vieille Europe ».


Une incroyable « énergie de faire »


JOL Press : Mais, pourtant, vous paraissent-ils très différents de la jeunesse européenne ?

Louise Couvelaire : Ils partagent sans doute une certaine exaspération vis-à-vis de la génération précédente, des baby-boomers. Mais, des deux côtés de l’Atlantique, la façon de faire, d’appréhender le changement paraît fondamentalement différent.
La principale différence, c’est cette « énergie de faire ». « Énergie de faire », parce que le système dans lequel ils ont grandi les a formatés ainsi, ne leur laisse pas le choix. Ils sont habitués à un système brutal où peu importent les concepts, les idées trop sophistiqués… Il faut faire, il faut foncer et, tant pis, si ça ne marche pas, on recommence. Ils ne sont pas du genre, comme en Europe, à passer des heures dans les cafés à refaire le monde.


[image:5,s]Hannah a démontré les dysfonctionnements, les malversations d’une entreprise d’insertion, l’ACORN, qui existe à travers le pays depuis plus de 40 ans. Quand on lui demande ce qu’elle avait en tête au début, lorsqu’elle décide de rassembler des preuves, elle répond qu’elle ne sait pas. Cette organisation s’est trouvée dans sa ligne de mire et elle a agi, s’adaptant, au fur et à mesure, aux circonstances. Elle avait juste l’intuition que cette organisation n’était pas aussi irréprochable qu’on le prétendait, elle a foncé.


C’est la même chose pour ce jeune entrepreneur désormais millionnaire grâce à un site Web où il diffuse des petits films tournés par des anonymes. Au début, il va voir un business angel, un prêteur de fonds, et lui explique qu’il veut placer une caméra sur sa tête, filmer et diffuser le résultat sur le Net. Il se retrouve à filmer le discours de Joe Biden, le vice-président, à la Knesset et à être le seul à avoir les images.


JOL Press : D’où tirent-ils cette « énergie de faire » ?

Louise Couvelaire : C’est dans leur ADN, leur ADN d’Américain. C’est sur ce principe que les États-Unis ont été créés et c’est ainsi que les Américains fonctionnent. L’individu, l’initiative individuelle prime sur tout le reste, et en particulier sur ce que peuvent faire, doivent faire les pouvoirs publics, au plan fédéral comme local. Le gouvernement ne vous prend pas par la main. Voilà une réalité un peu difficile à admettre, à comprendre vu d’Europe. Et ces jeunes ne sont pas différents de leurs aînés sur ce point.


La faute à l’inconsistance des baby boomers


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JOL Press : Justement, que reprochent ces 20-40 ans à leurs prédécesseurs, les baby boomers ?

Louise Couvelaire : Ils leur reprochent de n’avoir pas tiré les leçons qui s’imposaient du passé et des événements qu’ils ont traversés. Ils n’auraient rien appris du Vietnam pour mieux traiter, aujourd’hui, les vétérans d’Irak ou d’Afghanistan, si nombreux et si jeunes. Ils n’ont rien appris de la crise de 1993 pour gérer la grande crise d’aujourd’hui.


JOL Press : Ils ne leur accordent aucun crédit ?

Louise Couvelaire : Il ne s’agit pas d’un conflit entre générations, d’une guerre des âges. Ils constatent juste qu’il doit être possible d’aborder la vie, et les problèmes qu’elle leur impose, autrement. Ils ne vont pas les pousser dehors, ils vont commencer, eux, à faire les choses différemment.
Et puis, ils leur sont gré d’avoir mené un certain nombre de combats, ceux des droits civils, d’avoir avancé sur les moteurs, malgré tout. Plusieurs m’ont dit qu’ils pouvaient se permettre de ne pas se battre autant sur ces points parce que cela avait été fait avant eux.


Obama n’a pas changé le monde


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JOL Press : En quoi est-ce ce que vous décrivez, ce décalage d’approche, de mentalité entre les générations peut-il se traduire politiquement, notamment à l’occasion de la course pour la Maison-Blanche en 2012 ?

Louise Couvelaire : Difficile de se prononcer. On ne peut probablement pas parler de vote générationnel à ce stade. Les 20-40 ans sont moins portés par l’idéologie mais il n’en reste pas moins qu’ils ont des convictions qui les portent à voter républicains ou démocrates. Mais, c’est leur appartenance à un camp ou à un autre qui a évolué, ils sont moins manichéens, plus pragmatiques.
D’autres éléments joueront dans la détermination de leur vote.


JOL Press : Les jeunes avaient majoritairement soutenu Barack Obama en 2008. Quel jugement porte-t-il sur lui aujourd’hui ?

Louise Couvelaire : La plupart sont apparus très déçus. Une déception à la hauteur de l’espérance suscité. Il devait changer, il n’a pas fait bouger Washington qui demeure toujours aussi paralysé par la technocratie et les combines politiques.


JOL Press : Et puis il y a la situation économique et sociale dans le pays… Vous aviez couvert la campagne présidentielle il y a 4 ans. En quoi les États-Unis ont changé depuis ?

Louise Couvelaire : Sur le fond, les États-Unis ont très peu changé. En revanche, tels qu’ils étaient, ils ont connu un formidable déclin. Un déclin très net et difficile à appréhender depuis l’Europe. C’est très violent ce qu’il s’y passe avec la crise économique et ses conséquences sociales. Ces gens, des membres de la classe moyenne, qui perdent leur travail et, du jour au lendemain, se retrouvent sans rien, dans la rue, sans y avoir été préparé le moins du monde. En plus, beaucoup de jeunes ne peuvent plus se permettre de quitter le domicile de leurs parents.


JOL Press : Vous avez observé cette génération des 20-40 ans qui devrait faire l’Amérique de demain. Vous êtes optimiste ?

Louise Couvelaire : Je crois en cette génération. Ceux que j’ai choisis et suivis sont apparus très pragmatiques, et très intelligents dans leur pragmatisme. Avec la crise, ses conséquences, ils pourraient dire que c’est la faute de ces types, de ces banquiers qui, avant tout, ont voulu gagner de l’argent sans se préoccuper du krach boursier qu’ils pouvaient provoquer. Ils pourraient en tirer la conclusion que l’argent, c’est indécent, et ils ne vont pas dans cette voie. Ils veulent « faire de l’argent » mais pas n’importe comment. Ils n’ont pas choisi la critique radicale, frontale du libéralisme et du capitalisme. Ils veulent juste inventer, sans naïveté, une autre façon de faire sans cracher sur le modèle américain.


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JOL Press : Sur les dix-huit, y en a-t-il un qui vous a particulièrement impressionnée ?

Louise Couvelaire : Probablement, Julian Castro. Il a 36 ans, il est latino, il est démocrate et a été élu, en 2009, maire de San Antonio au Texas, sur les terres de Bush. À la Maison-Blanche, un jour… peut-être.


Louise Couvelaire a été journaliste au Nouvel Observateur pendant plus de dix ans. Elle a débuté sa carrière à New York, en tant que correspondante adjointe, avant de rejoindre le service « économie », puis le ParisObs. Elle est régulièrement retournée aux États-Unis pour Le Nouvel Observateur, Le Monde 2 et la revue XXI. En octobre 2008, elle a publié un essai sur la campagne présidentielle américaine intitulé Desperate White House


 


Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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