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La Grèce est-elle ingouvernable ?

[image:1,l]Le sauvetage de la Grèce est survenu la veille de la célébration du jour du Oxi. Les Grecs honorent le 28 octobre 1940, qui commémore le « Non » (Oxi) du gouvernement grec à l’ultimatum de capitulation de Mussolini en 1940. C’est après ce refus que les Grecs ont rejoint les Alliés dans la Seconde guerre mondiale. Acte courageux. Winston Churchill disait que les Grecs ne se battent pas comme des héros mais que « les héros se battent comme les Grecs ». Ce jour férié met en valeur la fierté nationale par une succession de parades.


Cette année, le jour du Oxi met en valeur la fracture de la société grecque. Malgré le soulagement, la Grèce demeure dans un profond état de malaise.
Car un défi persiste, il faut gouverner un pays assiégé et reconstruire une économie décimée par des années de récession et d’austérité.


Personne n’est optimiste


Incompréhension entre tous les acteurs du pays


Dans la mesure où les grandes banques européennes, à cause de l’allégement de la dette, viennent de perdre 150 milliards de dollars, la Grèce ne doit pas s’attendre à un accueil chaleureux sur les marchés. Le Fonds monétaire international prévoit dix grandes années avant que la situation ne redevienne normale.


Du point de vue du gouvernement, syndicats et partis d’opposition ont essayé de bloquer les réformes au pire moment de l’histoire grecque, celui où elle frôlait l’effondrement par une dette qui pouvait menacer toute l’Europe.


Pendant ce temps, les Grecs se sentent injustement ciblés par des mesures d’austérité imposées par un gouvernement dont ils disent qu’il est plus occupé à servir ses prêteurs étrangers que son propre peuple.


« Une aube nouvelle » ?


[image:2,s]Le Premier ministre Georges Papandréou espère que le plan de sauvetage, avec ses 180 milliards de dollars de prêts, en « plus » des 50 % de dette en « moins », va rassembler le pays. Pour lui, c’est « une aube nouvelle ». D’autres disent que c’est une prière. « Nous nous battons pour le pays », disait-il jeudi 27 octobre lors d’une conférence de presse durant laquelle il a appelé les Grecs à oublier un temps leurs différences. « Arrêtons de manger notre chair. »


Un vote du Parlement sur l’accord est attendu d’ici à la fin de l’année, après que les détails auront été négociés. L’accord va ramener la dette grecque à 120 % de son PIB d’ici à 2020. Elle aurait pesé de 180 % sans l’accord.


Mais le consensus se montrera sans doute impossible. Le leader principal de l’opposition, Antonis Samaras, du parti conservateur Nouvelle Démocratie, a déclaré que Georges Papandréou et son parti socialiste, le Pasok, ont signé l’abandon de la souveraineté nationale. « Les Grecs vont de nouveau affronter neuf années de pauvreté. »


Insolente Grèce


Quand l’Irlande et Portugal ont eu besoin de prêts d’urgence, leurs partis politiques respectifs ont pris ensemble des mesures d’austérité. Pas la Grèce. Ici, le Parti socialiste au pouvoir a fait passer ses mesures controversées par une très faible et mince majorité.


En colère contre la baisse des pensions et des salaires, les syndicats ont appelé à la grève, de quoi paralyser le pays et joncher de déchets les rues. Des cocktails Molotov ont été jetés sur la police pendant les manifestations. Récemment, l’on a vu des jeunes encagoulés se battre, non contre la police, mais contre d’autres manifestants. Les responsables du parti au pouvoir sont apparus en public à leurs risques et périls. Des étudiants ont même jeté du yaourt sur le ministre de l’Intérieur, alors, que, peinard, il savourait… un film au cinéma.


Chômage, crime, suicides sont en hausse. Bref, le moral est au plus bas.


« Il n’y a plus de croyance. Vous avez fait passer une loi pour augmenter mes taxes, mais vous ne m’avez pas convaincu que ces taxes serviraient un programme en particulier où quelque chose de bien ». C’est Georges Alatsakis, qui s’exprime. Alatsakis possède une quincaillerie dans une banlieue nord d’Athènes. « Il n’y a pas un seul membre du Parlement qui soit patriote, qui porte de l’intérêt au pays. Ils devraient sortir voir les gens. Personne ne nous explique ce qui se passe. Les réformes, c’est secret défense. »


La Grèce est sauvée !


[image:3,s]La Grèce a été renflouée de 150 milliards d’euros par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international, volume négocié en mai 2010. Georges Papandréou a hérité de 400 milliards de dette quand il est arrivé à son poste, il y a deux ans.


Malgré la tourmente, politiciens et citoyens sont coincés dans leurs mêmes vieilles habitudes, opine le sociologue Gregory Katsas, du Collège américain de Grèce. Les partis d’opposition affrontent systématiquement le parti au pouvoir et le peuple attend qu’on lui donne de l’argent.


« Ça dure depuis des générations, maintenant, ajoute Gregory Katsas. Parents, grands-parents ont toujours fonctionné de cette manière. C’est très dur de changer ça en un an. C’est dur d’apprendre aux Grecs qu’on ne peut pas aller voir un politicien pour lui demander du travail. Nous n’avons pas appris à vivre rationnellement. Nous allons apprendre, mais ça prend du temps. »


Mais le temps peut être compté


Une restructuration majeure du gouvernement grec est urgente, affirme un grand groupe d’universitaires. Le trio, Michael Jacobides, Richard Portes de la London Business School, et Dimitri Vayanos, de l’École d’économie et de science politique de Londres, estime que la tâche s’apparente à la « restructuration d’une nation. »


Leur livre blanc du 21 octobre, publié une semaine après avoir accueilli un sommet des affaires et des chefs de gouvernement, affirmait que « dans ces circonstances extrêmement dangereuses, il est vraiment inquiétant que n’existe pas de consensus entre les partis politiques sur la refonte de l’État, afin d’éviter l’effondrement. » Ils proposent l’abolition de la structure fiscale dysfonctionnelle de la Grèce et son remplacement par une autorité indépendante, ainsi que la création d’autorités pour gérer les soins de santé, mettre en œuvre l’ensemble des réformes du gouvernement et éradiquer la corruption. Selon certaines estimations, la Grèce perd jusqu’à 30 milliards de dollars par an à cause de l’évasion fiscale et de la corruption.


La mise en œuvre des réformes est tout aussi importante que le vote d’une loi, disaient-ils, affirmant par exemple que le syndicat des collecteurs d’impôts est un blocage délibéré des réformes visant à la protection de son territoire.


La Grèce, enfant de l’Europe


[image:4,s] À Berlin cette semaine, la chancelière Angela Merkel a soulevé l’idée d’une « surveillance permanente » des réformes de la Grèce.
Le gouvernement grec a radicalement réduit ses dépenses l’année dernière. Insuffisant pour sauver le pays. Réorganisation et réduction des emplois dans le secteur public sont des mesures vitales.


« Un système déficient se dévorera tout seul », écrivaient-ils.


Lors des récentes manifestations, de nombreux Grecs en colère ont appelé à de nouvelles élections. Certains députés du Pasok ont même encouragé Georges Papandréou à chercher un gouvernement de coalition. Mais le Premier ministre a déclaré jeudi que « les gens veulent des changements, non des élections ».


Il faut grandir


Stratos Georgoulas, professeur de sociologie à l’université de l’Égée, a déclaré que les Grecs « sont à la recherche d’un nouveau dirigeant ou d’un nouveau parti qui peut gouverner ». Il pense faire partie des gens de gauche qui disent « oxi » au capitalisme. « Nous devons dire “non” à un système économique qui nous gouverne ainsi. Il y a de nombreuses personnes à gauche qui croient que l’État doit régler le système économique. »


La perspective d’une surveillance européenne sur la Grèce agace la plupart des Grecs, dont les ancêtres ont souffert de l’occupation nazie pendant la Seconde guerre mondiale, et de plus de 300 ans d’occupation turque sous l’Empire ottoman.


« Les Grecs disent depuis toujours que les étrangers sont responsables de tous les dysfonctionnements, mais c’est aussi un alibi pour ne pas faire les choses par nous-mêmes », pense Costas Karategos, programmeur informatique qui a participé à une récente manifestation place Syntagma. « Pour les Grecs, le gouvernement doit résoudre tous les maux du peuple. »

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