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Le G20, embryon de gouvernement mondial ?

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[image:1,l]Plus de 20 000 milliards de dollars (environ 14 000 milliards d’euros) : c’est le coût de la crise mondiale, financière et économique, qui a débuté en 2007, la plus grave depuis la Grande Dépression des années 1930.


À l’automne 2008, avec le krach boursier, les opinions publiques prennent conscience de la gravité de la situation. Selon plusieurs économistes, mis à part les produits dérivés, les banques représentent l’une des principales causes de la crise. C’est après la faillite de la banque d’investissement Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, que les dirigeants des principales puissances économiques éprouvent le besoin de se rencontrer au plus vite.


Sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy et de Gordon Brown, rendez-vous est pris à Washington le 15 novembre 2008. Face à la plus grave crise économique et financière depuis la seconde guerre mondiale, un plan d’action exceptionnel pour éviter l’effondrement du système financier et de l’économie mondiale est défini.


Les crises et l’approfondissement de la coopération internationale


Depuis trente-cinq ans, les pays membres du G6, G7 puis G8 se concertent sur les grandes problématiques économiques mondiales. L’essentiel des avancées ont été conduites sous l’effet de crises économiques et/ou financières qui mettent particulièrement en évidence la nécessité d’une meilleure coordination des politiques à l’échelle mondiale.


[image:4,s]Au lendemain du premier choc pétrolier, en 1975, la France, en la personne du président Valéry Giscard d’Estaing, prend l’initiative de réunir les dirigeants de l’Allemagne, des États-Unis, du Japon, du Royaume-Uni et de l’Italie. Ainsi créé, le G6 se tient au château de Rambouillet, près de Paris. Le Canada a rejoint le groupe (G7) en 1976. L’entrée de la Russie en 1998, lors du sommet de Birmingham (Royaume-Uni), marque la création officielle du G8. Un G8 à neuf puisque le président de la Commission européenne en est membre à part entière.


Une autre crise, la crise financière asiatique de 1997-1998, rend nécessaire une nouvelle avancée. En marge de la réunion du G8, le 25 septembre 1999 à Washington, à l’initiative du ministre canadien de l’économie Paul Martin, est créé le Groupe des 20.


Il est composé de dix-neuf pays plus l’Union européenne. Ces pays sont d’abord les membres du G7 (États-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie et Canada) – les principales nations développées qui se coordonnent depuis les années 1970 –, auxquels s’ajoutent l’Afrique du Sud, l’Australie, l’Arabie Saoudite, la Russie et la Turquie, ainsi que quatre pays d’Asie – la Chine, l’Inde, l’Indonésie et la Corée du Sud – et trois pays d’Amérique latine – le Brésil, l’Argentine et le Mexique. Les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales de ces pays se réunissent pour la première fois les 15 et 16 décembre 1999 à Berlin et continuent, depuis lors, au moins une fois par an.[image:2,s]


Leur objectif : disposer d’« un mécanisme informel de dialogue entre les pays importants sur le plan systémique, dans le cadre du système institutionnel qui a résulté des Accords de Bretton Woods ».


Mais c’est la crise mondiale de 2008 qui marquera l’histoire du G20 avec la décision d’élever le niveau de ces rencontres et de passer de l’échelon ministériel à celui des chefs d’État et de gouvernement. Le G20 marque le symbole d’une volonté politique, à l’échelle des grandes puissances développées et émergentes, de se coordonner. Le G20 devient effectivement la première enceinte de cette coordination des politiques économiques.


Le G20 marque le symbole d’une volonté politique, à l’échelle des grandes puissances développées et émergentes, de se coordonner. Il aura fallu payer le prix fort pour admettre que « les marchés financiers internationaux sont devenus un monstre qui doit être discipliné », selon la formule de l’ancien président de la République fédérale allemande et ex-directeur général du Fonds monétaire international, Horst Köhler.


Le G20, soutenir l’économie face à la crise


Le premier Sommet du G20, à Washington en novembre 2008, est consacré à l’évaluation des causes de la crise financière. Il en ressort qu’elle a été encouragée par un manque de coopération économique, des déficiences d’évaluation des risques, des normes comptables peu adaptées et disparates et des manquements à la surveillance des marchés. Révélé par cette crise, le leadership du G20 réussit à orchestrer rapidement une certaine coopération à l’échelle mondiale en matière de régulation financière et une coordination macroéconomique, notamment avec la réforme des institutions financières internationales.


Les institutions financières internationales, le FMI et la Banque mondiale, sont sous le feu des critiques. Elles ont peu évolué dans leur mandat et leurs structures, malgré une évolution radicale du contexte depuis leur création, après les accords de Bretton Woods en 1944. De fait, elles sont devenues des outils d’action des pays riches sur les pays pauvres.


[image:6,s]Dès le G20 de Londres, en avril 2009, de nouvelles ressources sont allouées au FMI et à la Banque mondiale, et un conseil de stabilité financière fort de 26 autorités financières nationales est créé. Les participants s’engagent à hauteur de 1 000 milliards supplémentaires pour le FMI. Dans les faits, le Fonds doit voir ses moyens tripler avec 500 milliards supplémentaires constitués par de « l’argent nouveau » et par des droits de tirages spéciaux. Il est également autorisé à vendre de l’or pour continuer à financer son aide aux pays les plus pauvres. Puis une liste noire des paradis fiscaux est établie, et de nouvelles règles de gouvernance des marchés financiers sont adoptées. Elle vise notamment les salaires et les bonus des employés du secteur.


Au Sommet de Pittsburgh, à l’automne 2009, un cadre pour une croissance forte, durable et équilibrée est lancé. Question sous-jacente : si la demande américaine a soutenu la demande mondiale avant la crise, quoi pour lui succéder ? En juin 2010, à Toronto, les chefs d’État et de gouvernement s’engagent sur la nécessité de réduire les déficits publics, les dettes publiques et de remédier aux déséquilibres commerciaux. Le G20 se cantonne, à ce stade, à la régulation financière et économique.


D’un G20 de crise à un G20 de construction


[image:5,s]Au-delà de la seule gouvernance économique mondiale, le G20 de Séoul en novembre 2010 souhaite incorporer les questions de développement au sens large. Dans un esprit assez proche, depuis le début 2011, la présidence française tournante affiche son ambition d’étendre encore les segments de la gouvernance mondiale relevant des compétences du G20.


Dans les faits, elle se traduit par la convocation de nouvelles réunions à l’échelon ministériel sur le modèle du G20 finances. Elles visent à préparer les Sommets de chefs d’État et de gouvernement. Ainsi, la France a-t-elle convoqué cette année un G20 agriculture puis un G20 social.


D’outil d’urgence face à la crise, le G20 se métamorphose progressivement en outil de construction, agent de changements structurels à l’échelle du monde.


Face aux enjeux, les débuts hésitants du G20 social


En avril 2010, une première réunion des ministres du Travail et de l’Emploi des pays membres se déroule à Washington. « Nous avons examiné des manières d’aider les dirigeants du G20 à placer l’emploi au centre de la coordination des politiques économiques », déclare à l’issue de la réunion la secrétaire au Travail américaine, Hilda Solis : « Dans le même temps nous avons développé une liste de recommandations qui contribueront à atteindre cet objectif ambitieux mais nécessaire. »


L’objectif était d’« accélérer la création d’emplois », « renforcer les systèmes de protection sociale et promouvoir des politiques actives d’intégration au marché du travail », de « mettre l’emploi et le combat contre la pauvreté au cœur des stratégies économiques nationales et mondiales », d’« améliorer la qualité des emplois », et de « préparer la main-d’œuvre aux défis et occasions futurs ».


L’issue du processus de discussions engagé à Washington semble alors incertaine. Certains pays doutent ouvertement de parvenir à des résultats concrets avec des marchés du travail aussi dissemblables. « Il n’est pas simple de savoir quelles seront les prochaines étapes, il y a des avis très différents là-dessus », constate un diplomate.


Le G20 social, une priorité de la présidence française


[image:7,s]C’est à Paris, les 26 et 27 septembre, que se retrouvent, pour leur deuxième rencontre, les ministres du Travail et de l’Emploi du G20. La France a fait du social une priorité de sa présidence tournante. Déjà, à Washington, elle avait adopté une ligne volontariste, explicitée dans une présentation intitulée « Améliorer la qualité des emplois et la protection sociale » : par la voix de son ambassadeur, Pierre Vimont, la France avait insisté auprès de ses partenaires sur la nécessité de « veiller à respecter les droits des travailleurs et les conditions de travail », et plaidé en particulier pour « des mécanismes garantissant des salaires minimums, adaptés à la réalité des pays », une mesure jugée « nécessaire pour éviter la spirale de déflation des salaires et des prix ».


En ouverture du G20 social de Paris, Nicolas Sarkozy est venu, en personne, rappeler l’engagement de la France. Le président français a exprimé l’espoir que le prochain sommet du G20, à Cannes les 3 et 4 novembre, débouche sur « un engagement fort des pays du G20 en faveur de l’emploi ». « La crise a provoqué des effets dévastateurs sur le marché du travail, 30 millions de chômeurs supplémentaires en moins de deux ans. […] Le G20 ne conservera sa légitimité que s’il parvient à démontrer son efficacité en faveur de la croissance et de l’emploi », a-t-il affirmé.


L’urgence exprimée ici s’appuie sur un constat inquiétant, relayé par la plupart des experts. Il met en évidence l’impact de la crise sur l’emploi à travers le monde. Ainsi, Stefano Scarpetta, l’expert emploi de l’OCDE, a expliqué qu’« il faudrait que l’emploi croisse de 1,3 % par an pour retrouver son niveau d’avant crise d’ici à 2015. De quoi récupérer quelque 20 millions d’emplois par an dans les pays du G20 et d’absorber les nouveaux entrants ». Puis l’économiste explique : « Mais avec le ralentissement de la croissance économique, la croissance de l’emploi, de 1 % seulement ces dernières années, pourrait ralentir à 0,8 %, et ce serait alors 40 millions d’emplois qui manqueraient d’ici à fin 2012 ».


La France avait fixé quatre priorités à cette réunion : l’amélioration des politiques de l’emploi, surtout en faveur des jeunes ; la création d’un socle minimal de protection sociale ; la promotion des droits sociaux, enfin une meilleure articulation entre les politiques économiques des États et des institutions internationales, notamment l’Organisation internationale du travail, et les politiques sociales.


Le ministre français Xavier Bertrand a conclu sur une note d’optimisme ces deux jours de discussion : « Nous avons fait progresser d’une manière décisive notre vision d’une régulation sociale de la mondialisation », s’est-il félicité. Une mondialisation « qui marche sur deux jambes – la croissance économique et la justice sociale, le libre-échange et le respect des droits des travailleurs – et qui ne donne pas tout à l’économie et rien au social ». Ces priorités se retrouveront à l’ordre du jour des chefs d’État et de gouvernement à Cannes en novembre. Ils devraient s’engager plus avant dans ce vaste chantier.


Et après ?


Les politiques des pays du G20 demeurent évidemment très hétérogènes et les considérations nationales souvent très présentes, ce qui rend l’exercice délicat, avec un horizon à très long terme. Pourtant, après l’agriculture et le social, le Mexique, prochain État membre à présider l’instance, promet un G20 environnement.


Jusqu’où le G20 étendra-t-il ses domaines de compétence ?


À l’origine, le G20 a pu apparaître comme une sorte de conseil de sécurité de l’ONU – même si les Nations unies restent en dehors – dédié aux questions économiques. Les récents développements, la diversification de ses ordres du jour, attestent d’une volonté d’aborder ces questions différemment, en traitant les causes structurelles plutôt que les conséquences conjoncturelles de la crise.


Pour cela, il s’appuie sur un avantage considérable : avec 20 membres et quelques invités, il offre un cadre suffisamment restreint pour faciliter la prise de décision, et de véritables occasions d’échanges et de débats. Pourtant, sa légitimité est considérable : d’un point de vue statistique, les participants ne représentent pas moins de 85 % du commerce mondial, 90 % du produit mondial brut, la somme des PNB de tous les pays du monde, et les deux tiers de la population mondiale.


Parler d’un embryon de gouvernement ou de directoire du monde serait largement prématuré.


C’est vrai, les instances de l’ONU apparaissent de plus en plus éprouvées : une Assemblée générale trop démocratique et égalitariste pour décider au-delà du symbole et qui semble, toujours plus, se résumer à sa dimension tribunitienne ; un Conseil de sécurité incapable de se moderniser et conservant des mécanismes désuets, hérités directement de l’équilibre des forces à la sortie de la deuxième guerre mondiale, tel son système de veto, de moins en moins justifié, voire injustifiable.


À côté, le G20 s’impose comme un nouvel outil essentiel au service d’une meilleure gouvernance mondiale. Peut-être cela explique-t-il aussi que chaque sommet s’accompagne désormais d’une forte mobilisation militante, parfois violente. Si le G20 ne laisse pas indifférent, suscitant attentes, satisfactions et désillusions, c’est peut-être qu’il est perçu désormais comme un outil indispensable et incontournable.

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