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Le pays où tout le monde est un peu cousin avec Björk

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Il existe une publicité pour une compagnie de portables locale en Islande, qui ne marcherait pas dans la plupart des pays. Elle montre un couple de jeunes aux cheveux frisés qui viennent de se réveiller l’un à côté de l’autre, après ce qui semble être une aventure d’un soir. Ce n’est pas ça qui scandalise cette société notoirement libérale.
Les deux jeunes sont dans le lit, en sous vêtements. Avec leurs smart phones, ils regardant un site web généalogique appelé Islendingabok. Leurs sourires se figent quand ils découvrent qu’ils ont un lien de parenté. Plutôt proche.

Islendingabok : comment éviter les incestes dans une île de 300 000 habitants

Alors que dans d’autres nations, cette publicité serait apparue plutôt drôle, les Islandais sont particulièrement sensibilisés à ce problème, à un point inimaginable dans un pays plus grand et moins isolé. La publicité a marché ici parce que, dans ce pays isolé de 300 000 habitants, cette situation est fréquente. Très fréquente.
La plupart des Islandais ont entendu l’histoire de quelqu’un, qui connaît quelqu’un, qui a découvert un peu tard que l’objet de ses attentions était en effet un cousin, pas si éloigné que ça.
Elin Edda raconte que cela est arrivé à une de ses amies. « Elle aimait vraiment ce garçon, jusqu’à ce qu’elle découvre qu’ils avaient les mêmes arrière-grand-parents. Elle a vraiment pris peur et a décidé de rompre. C’était juste trop curieux ». Edda précise, tout de même, que de tels incidents peuvent se produire seulement dans des familles qui ne sont pas très unies : « Cela ne pourrait jamais arriver dans ma famille. Je connais tout le monde. »

« Hverra manna ert þú ? » (C’est qui ta famille ?)

Quand elle rencontre un Islandais qu’elle ne connaît pas, elle pose la même question que tout le monde pose ici : « Hverra manna ert þú ? » (C’est qui ta famille ?)
Pendant des siècles, ça a été la façon pour les islandais d’identifier leurs ancêtres, puisque les noms de famille n’existent pas ici. Les étrangers sont souvent amusés par le fait que l’annuaire téléphonique islandais soit organisé par prénoms.
Mais les islandais émigrent de plus en plus vers les villes et dans des environnements urbains, ce qui tend à rendre la rencontre traditionnelle – ainsi que la formation d’un couple – un processus plus anonyme.
C’est une des raisons pour lesquelles Íslendingabók (le livre des Islandais) est devenu si populaire ici. Pour éviter les incestes, tout ce que les gens doivent faire est d’insérer sur le site leur nom et celui de leur copain ou copine et la base de données leur dira exactement quel est leur lien de parenté.
Pratiquement tous les islandais, depuis le 18ème siècle, se trouvent dans la base de données, prétend le site. Chaque Islandais peut désormais s’inscrire. Il obtient alors un identifiant et un mot de passe pour accéder gratuitement à certaines données, comme les noms et les dates de naissance, et afficher les informations complètes de ceux qui partagent un arrière-grand-parent avec eux. On peut aussi savoir si on a un ancêtre en commun avec n’importe quel islandais et découvrir sa ligne de descendance exacte.

Et si Bjork était votre cousine ?

A part se renseigner sur les amoureux, une des façons les plus populaires d’utiliser le site est de chercher les degrés de parenté avec les Islandais célèbres.
Ainsi, les habitants peuvent vous dire exactement combien de générations les séparent de Björk, ou plus précisément, selon le Íslendingabók, Bjork Guðmundsdóttir, née le 21 Novembre 1965.
Alli Thorgrimsson, par exemple, a découvert que sa lignée généalogique et celle de Bjork se confondent sept générations en arrière, des deux cotés et qu’il a un ancêtre proche en commun avec l’actuel premier ministre Jóhanna Sigurðardóttir. Grâce à Íslendingabók, il a aussi appris que son ex-femme était sa cousine au septième degré, donc pas assez proche pour faire crier à l’inceste.
Thorgrimsson, qui a 31 ans, a commencé à utiliser le site il y a une dizaine d’années, peu de temps après qu’il soit devenu populaire. Il a contrôlé dans la base de données les liens de parenté avec la fille qu’il fréquentait à l’époque et il a fait pareil pour les suivantes. « Je trouvais ça curieux de voir comment nos liens de parenté étaient lointains, puisque les chances de rencontrer une fille et de ne pas savoir qu’on avait des liens de parenté proches étaient nulles », affirme-t-il. Pourtant, même s’il ne s’attendait pas à découvrir qu’il était en train de sortir avec une cousine germaine, il était surpris de découvrir qu’il était, d’une façon ou d’une autre, lié à chaque fille islandaise avec qui il sortait.

Les Islandais : un peuple obsédé par la génétique ?

Cette conclusion n’aurait guère surpris Friðrik Skúlason, un entrepreneur informatique qui a créé Espólín, une base de donnée généalogique en ligne des Islandais, au début des années 1990. Plus tard, Skúlason et les fondateurs d’une compagnie génétique islandaise, Decode Genetics, ont lancé Íslendingabók.
L’idée originale était d’utiliser la base de donnée généalogique en ligne en l’associant avec des dossiers médicaux afin de vérifier comment les maladies héréditaires se repartissent à travers les générations. Pour repayer les Islandais pour leur participation à la recherche génétique, Decode leur a offert l’accès à ce qui les intéresse : la généalogie.
« Les Islandais sont obsédés par la généalogie », déclare Kári Stefánsson, fondateur de Decode Genetics. « Nous sommes une nation exceptionnellement narcissique. »
Le site est devenu très populaire presqu’instantanément. Quelques scandales bien médiatisés ont fait le reste de la notoriété. Initialement, l’ouverture du site a créé des polémiques liées à des questions de confidentialité, notamment celle des Islandais qu’on appelle «rangfeðrun » (sans paternité), ou encore le fait que le père enregistré ne soit pas toujours le père biologique.
Stefánsson estime que la base de données est « exacte à 99,9% »  quand il s’agit de relations matriarcales. « Le problème réside dans les erreurs de paternité. Selon la littérature non-scientifique, l’erreur se situe entre 10 et 15%. Ce sont des conneries » il ajoute « Il ne s’agit que de 1% ».

Avoir des liens de parenté favoriserait la fécondité chez les couples

Depuis Stefánsson, l’Islande est une des nations les plus génétiquement homogènes au monde. Pour parler plus crûment, les Islandais sont plus susceptibles d’avoir des enfants avec quelqu’un auxquels ils sont liés par des liens de parenté. « Contrairement à la croyance populaire, ce sont des bonnes nouvelles pour les taux de fécondité », affirme Stefánsson.
En réalité, la fécondité est plus forte lorsque les couples sont suffisamment liées puisque leurs gênes sont plus compatibles. Une étude publiée il y a trois ans par Decode dans Science Magazine rapporte que « l’association positive signifiante entre la parenté et la fertilité, avec le plus grand succès de reproduction observé chez les couples de cousins de troisième ou quatrième degré. »

Heureusement pour les Islandais, il n’a jamais été plus facile de trouver des cousins de troisième ou de quatrième degré.

GlobalPost / Adaptation Melania Perciballi pour JOL Press

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