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Les Coptes, vers un nouveau martyre ?

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« L’Église des martyrs », c’est ainsi que se considèrent les Coptes, descendant des premiers chrétiens d’Égypte persécutés par l’empereur romain Dioclétien au début du IVe siècle. Au fil d’une histoire mouvementée, la majorité d’entre eux se sont exilés pour aujourd’hui une diaspora puissante à travers le monde. Pourtant, sur leurs terres d’origine, ils restent la plus grande communauté chrétienne du monde arabe.

Les authentiques Égyptiens

Combien sont-ils en Égypte à pratiquer cette version ultratraditionnaliste du christianisme, se revendiquant de l’apôtre Marc et de son Église d’Alexandrie ? C’est un des secrets les mieux gardés… 6 ou 8 %, peut-être 10 % des 80 millions d’Égyptiens. Peu importe puisque, pour eux, ils sont les authentiques Égyptiens, les seuls capables de remonter en ligne directe aux pharaons. Cette revendication historique importe dans la mesure où elle explique sans doute leur persistance alors que dans tous les autres pays de la région les communautés chrétiennes ont été, au fil des siècles, éradiquées, ou presque, par la suprématie de l’islam. Une présence étonnante, miraculeuse,  oserait-on dire, tant au fil de l’histoire les Coptes ont fait régulièrement l’objet de persécutions qui auraient pu leur être fatales.

Rendre à Moubarak ce qui lui appartient…

Il convient de l’admettre, à l’époque d’Hosni Moubarak, comme avant sous Anouar el-Sadate ou Gamal Abdel Nasser, la violence entre les confessions était rare. Certes, ponctuellement, quelques incidents éclataient entre les Coptes et la majorité musulmane sunnite, très ponctuellement. Les Coptes ne jouissaient pas d’une situation privilégiée ni d’un traitement de faveur, mais profitaient d’une relative indifférence. Les crises avaient pour origine, la plupart du temps, des raisons de conversion, de mariage ou des restrictions bureaucratiques à la construction de nouvelles églises. Un symbole fort : on pouvait être copte et devenir un des plus brillants diplomates et représentants de l’Égypte, comme y est parvenu Boutros Boutros-Ghali, ancien secrétaire général des Nations unies.

La montée des périls

Depuis le départ du raïs, les tensions se sont accrues. Comme si la faiblesse, réelle ou invoquée, des autorités de transition, la porte ouverte – ou entr’ouverte – aux islamistes les plus radicaux, parmi lesquels les Frères musulmans, conduisait inéluctablement à l’intolérance et au conflit entre les religions. Comme si c’était le prix à payer à la chute d’un pouvoir, autoritaire certes, mais résolument laïque, ici comme ailleurs, dans le monde arable comme, autrefois, dans l’ex-empire soviétique – on pense forcément à la Bosnie…

Moubarak affaibli, il y avait eu l’attentat dans une église d’Alexandrie et ses 21 morts, le 1er janvier 2011, créant une psychose dans toute la communauté copte. Mais, depuis février, plusieurs autres églises ont été incendiées. Et puis, il y eut l’étincelle, l’incendie de trop d’une église d’Assouan vendredi 30 septembre, et les mots malheureux du gouverneur local qui a fait porter la responsabilité aux victimes… Les Coptes se sont mobilisés pour en appeler au gouvernement.

Les affrontements les plus violents depuis le départ de Moubarak

Résultat : Le Caire a connu dimanche 9 octobre les affrontements les plus violents depuis la chute du régime de l’ancien président Hosni Moubarak en février. Au moins 24 personnes ont été tuées et plus de 150 blessées dans de véritables batailles de rue opposant, aux abords de la célèbre place Tahrir, les forces de sécurité égyptiennes à plusieurs centaines de manifestants, pour l’essentiel des chrétiens coptes.

L’intensité et l’étendue de ces violences en plein cœur de la capitale a mis en évidence la fragilité de la situation sécuritaire à l’approche des élections législatives du 28 novembre.

Les autorités de transition, dirigées par les militaires, ont lancé des appels au calme jusque tard dans la nuit et un couvre-feu a été instauré dans le centre de la ville jusqu’à 7 jeures ce lundi.

Les vieilles méthodes des autorités de transition

Les médias contrôlés par l’État et le gouvernement ont accusé immédiatement les chrétiens coptes, minoritaires dans le pays, et l’influence de « forces extérieures » non identifiées dans ces affrontements – une stratégie qui ne pourrait qu’accentuer les tensions interreligieuses, habituellement maîtrisées dans le pays le plus peuplé de tout le monde arabe.

Les Coptes, ainsi que quelques musulmans qui se sont joints au désordre, ont pointé du doigt un puissant appareil policier qui reprend à son compte les vieilles stratégies façon Moubarak pour réprimer les manifestations. Mais, comme c’est souvent le cas dans la tumultueuse Égypte post-révolutionnaire, le pourquoi et le comment de cette éruption de violences, et leur effroyable coût en vies humaines, n’était pas parfaitement clair.

Des scénarios contradictoires

La seule certitude, une fois les gaz lacrymogènes dispersés, est que les parties impliquées – musulmans, chrétiens et le régime aux mains des militaires – développaient une vision drastiquement différente selon l’origine des informations dont ils disposaient.

Les violences ont éclaté dimanche soir au crépuscule après ce qui semblait devoir n’être qu’une très ordinaire journée de manifestations pacifiques à travers la capitale.

Une manifestation pacifique pour alerter le gouvernement

Les manifestants chrétiens coptes, toujours fortement en colère depuis l’incendie d’une église dans un village musulman de Haute-Égypte, sont descendus dans la rue pour demander le renvoi des officiels locaux et une réponse gouvernementale plus ferme face à de telles attaques.

Plusieurs centaines de Coptes s’étaient rassemblés dans le quartier de Shubra, au nord du Caire, une zone très densément peuplée où résident majoritairement des chrétiens. Depuis Shubra, les manifestants ont marché vers le sud en direction du siège, véritable forteresse, de la télévision d’État sur les rives du Nil près du centre-ville.

Des  assaillants non identifiés

Juste avant le coucher du soleil, le cortège a été attaqué, selon des témoins, par des « assaillants non identifiés » jetant des pierres et des cailloux. Déjà très remontés contre l’incapacité prétendue du gouvernement égyptien à garantir la sécurité des chrétiens, les manifestants ont commencé à scander des slogans hostiles aux chefs militaires.

Leur refrain préféré : « À bas le maréchal, » en référence à Mohammed Tantawi, devenu le bouc émissaire favori des militants pro-démocratie, musulmans comme chrétiens, au cours des derniers mois.

Dès que les Coptes ont atteint leur destination, un violent échange de pierres a éclaté entre les manifestants et des centaines de « voyous » de part et d’autre de l’immeuble de la télévision. Impossible de déterminer à première vue si les « casseurs » – nom commun désormais pour qualifier quiconque commet des actes de violence – étaient des citoyens ordinaires ou des membres de la sécurité d’État en civil.

D’après les témoins de ces scènes, ce sont ces « casseurs » qui ont attaqué en premier les chrétiens. Scénario rejeté par le gouvernement qui dénonce une provocation des Coptes.

Quand les altercations dégénèrent en émeutes

Ces altercations mineures se sont rapidement transformées en une émeute. Les véhicules militaires ou policiers se sont retrouvés sous les jets de pierre avant de prendre feu. Ces scènes rappelaient évidemment le soulèvement de janvier qui provoqua la chute de Moubarak.

Dans plusieurs quartiers du centre-ville, du siège de la télévision à la place Tahrir, des coups de feu ont retenti, et des gaz lacrymogènes ont été tirés pour tenter de disperser la foule grossissante composée de chrétiens et de quelques musulmans qui s’étaient joints à la manifestation anti-gouvernementale. Ils scandaient : « Chrétiens et musulmans, main dans la main. »

L’armée a recours à la force

Des chaînes d’information satellitaires indépendantes ont diffusé des images de véhicules blindés de l’armée égyptienne fonçant sur un groupe de manifestants devant les studios de la télévision d’État. Au moins un de ces véhicules a renversé plusieurs personnes à toute vitesse. Les médias proches du gouvernement ont feint d’ignorer ces faits et ont préféré présenter les choses comme une bataille rangée entre chrétiens et musulmans, sous-entendant qu’il s’agissait seulement d’un affrontement interreligieux.

Dans les rues, la colère des manifestants – quelles que soient leurs religions – semblait clairement dirigée contre des dirigeants militaires, de plus en plus critiqués pour la lenteur avec laquelle ils mettent en œuvre les réformes de démocratisation promises après la chute de Moubarak.

Des airs d’ancien régime

Les médias gouvernementaux donnent aussi souvent l’impression de reprendre le ton des éditorialistes politiques de l’ancien régime et de n’offrir qu’une vision très partiale des événements. Dimanche, un réseau de télévision contrôlé par les autorités a rapporté que l’essentiel des victimes provenait des rangs des forces de sécurité – alors même que le ministère de la Santé annonçait l’inverse. Des présentateurs à la solde de l’État dénonçaient « la violence et la brutalité » des chrétiens coptes qui avaient, prétendument, attaqué la police et l’armée tout au long de la journée.

Les autorités ont interrompu de force la diffusion de stations de télévision indépendantes montrant des images de la manifestation. La police militaire est intervenue dans les studios la chaîne Al-Hurra, financée par des Américains, de January 25-TV, propriété égyptienne, a prétendu le site Internet gouvernemental Ahram Online.

Au moins un journal officiel a rapporté que les Coptes s’étaient emparés d’armes volées aux forces de sécurité et les avaient utilisées pendant l’attaque. Les observateurs indépendants ont attesté que les manifestants n’avaient pour seules armes que des pierres.

Le Premier ministre accuse des agents de l’étranger

Fait rare, le Premier ministre, Essam Sharaf, s’est exprimé à la télévision pour tenter de calmer les Égyptiens, en garantissant que la violence n’était pas le fait de tensions interreligieuses.

Optant pour une tout autre argumentation, il a affirmé que ces événements avaient été déclenchés par des agents de l’étranger déterminé à engendrer le chaos et à diviser davantage l’Égypte dans cette période de transition après l’insurrection du début de l’année. « La nation est en danger et il est évident qu’il existe des plans conduits depuis l’étranger et visant à la déstabilisation du pays. Les relations interreligieuses sont apaisées et nous ne tenons pas à réveiller la violence », a assuré le Premier ministre lundi sur l’antenne de la télévision d’État.

Les efforts du gouvernement pour mettre un terme à cette violence ne semblaient pas avoir d’effets immédiats lundi 10 octobre. Plusieurs magasins, propriété de chrétiens, et notamment un marchand d’alcool, auraient été attaqués dès l’aube. Sans plus attendre, l’armée égyptienne a chargé le gouvernement d’enquêter rapidement sur toutes ces violences. « Le cabinet a été chargé de former rapidement une commission d’enquête pour déterminer ce qui s’est passé et prendre les mesures légales à l’encontre de toute personne dont l’implication sera prouvée dans les événements, que ce soit par la participation ou par l’incitation », a indiqué, dans un communiqué lu à la télévision publique, le Conseil suprême des forces armées (CSFA) à l’issue d’une réunion de crise.

Le monde est inquiet

L’ONU, les États-Unis et l’Union européenne ont manifesté, ce lundi, leur inquiétude devant de telles violences. Ban Ki-Moon, Barack Obama, Alain Juppé, tous ont appelé à la retenue et au respect des droits des minorités. En Israël, le bureau anti-terroriste du gouvernement a déconseillé aux Israéliens les visites dans la péninsule égyptienne du Sinaï durant les prochaines fêtes juives de Souccot.

Au Caire, le grand imam d’al-Azhar, dont l’influence dépasse les frontières du pays en tant que plus haute institution de l’islam sunnite, a appelé à des discussions entre les membres de la Famille égyptienne, une organisation réunissant des religieux musulmans et chrétiens, « afin de tenter de contenir la crise ». C’est un défi de taille pour les autorités et l’Égypte tout entière alors qu’est sur le point de débuter la campagne électorale pour les élections du 28 novembre.

Après le « printemps arabe », un « hiver chrétien » ? Les milliers de personnes rassemblées dans la cathédrale du Caire, dans la soirée du lundi 10 octobre, ont prié pour que les 17 victimes qu’ils enterraient lors de cette cérémonie ne soient pas les premiers d’un nouveau martyre copte.

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