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Les « diamants de sang » sont hélas éternels…

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Mutare, Zimbabwe. Les mineurs clandestins qui cherchent des gemmes dans les champs diamantifères de Marange au Zimbabwe n’exhibent généralement que deux indices de leur travail : quelques pierres et davantage de morsures de chiens.

À quelque 300 kilomètres de là, à Harare, la capitale, les fonctionnaires du gouvernement du président Robert Mugabe se plaignent en public de ne pouvoir améliorer les services publics à cause des restrictions à l’export des diamants de Marange imposées par le régulateur international, le processus de Kimberley. Mais sous le manteau, ces mêmes fonctionnaires se dépêchent de dealer les pierres aux Chinois en échange de leur aide militaire, affirment les experts du négoce du diamant.

Le processus de Kimberley : il est né très exactement pour en finir avec le négoce international du diamant qui bafoue les droits humains et/ou qui alimente les guerres. Les diamants zimbabwéens jouent dans les deux catégories, accusent les défenseurs des droits de l’homme, puisqu’ils contournent le processus pour se vendre dans le monde entier.

Nationalisation des mines, massacres et violences

La vallée zimbabwéenne de Marange, à la frontière est du Mozambique, abrite de riches alluvions diamantifères à la valeur estimée de plus de 800 milliards de dollars (près de 600 milliards d’euros), exploitables encore au cours des 80 années à venir. Découverts en 2006, ils ont révélé la nuisance de leur exploitation contre les droits humains à partir de 2008, quand le gouvernement Mugabe a nationalisé les mines.

Le processus de Kimberley a imposé ses restrictions au Zimbabwe en 2009, quand furent rapportés les abus – violence brutale et irrespects des droits humains – perpétrés par les forces de sécurité du gouvernement. Jusqu’au massacre d’au moins 200 civils quand l’armée prit le contrôle des champs de diamants. Depuis lors, les rapports qui font état des violations des droits de l’homme de la part d’agents du gouvernement zimbabwéen n’en finissent pas de pleuvoir. Il y est question de viols, de travail forcé des enfants, et d’exécutions collectives.

Morsures et tabassages, les risques du métier

Les récits se multiplient : comment les gardiens de la sécurité des mines privées et les soldats supposés « sécuriser » le territoire au profit des mineurs patentés brutalisent sans discontinuer les mineurs clandestins et les habitants des collectivités, quitte à en tuer de temps en temps – ou à les abandonner plus morts que vifs. Au Zimbabwe, où le chômage dépasse les 90 % de la population active, l’appât des glanages de pierres lucratifs attire toujours des dizaines d’hommes, de femmes, d’enfants qui s’en viennent défier la prospection illégale à Marange.

Chenjerai, sans emploi, père de deux enfants, fait partie de ces dragueurs réguliers des champs diamantifères. Son corps garde les marques et les cicatrices des dents des chiens et des crosses de fusil. « Les gardes ont piqué trois d’entre nous à l’intérieur de l’enceinte de la mine Mbada, ils ont lâché les chiens. On a été mordus et tabassés, jusqu’au moment où le patron blanc a fini par nous conduire à l’hôpital de Mutare », témoigne-t-il devant l’envoyé spécial de GlobalPost.

Il le raconte sans que sa voix ne trahisse ni émotion ni haine. Pour lui, ce sont les risques du « métier ». « On n’est pas arrivés à l’hosto, on s’est fait arrêter à un contrôle policier. Les flics ont dit au Blanc de nous larguer, qu’ils allaient se charger de nous. Mais rien du tout. Ils ont commencé à exiger qu’on leur file du fric et des pierres », poursuit Chanjerai, lui qui est, dit-il, un comptable expérimenté.

Mais il y a pire dans ces zones d’alluvions bourrés de diamants.

Un flic gradé, le chef superintendant Joseph Chani, est officiellement chargé de l’enquête sur la mort présumée par coups et blessures d’un clandestin dont on lui a apporté le cadavre. En cause, les gardes de sécurité d’une mine en exploitation.

Le Zimbabwe, « victime » du « foutu processus de Kimberley »

Les travailleurs de quelques filons privés n’échappent pas à des conditions de vie terribles. Les syndicats affirment que les mineurs à Anjin font l’objet d’un harcèlement régulier, et qu’ils travaillent dans des conditions inhumaines. Anjin relève d’un partenariat commercial à 50/50 entre les autorités chinoises et l’armée du Zimbabwe.

Et malgré tout, violations des droits de l’homme ou pas, les diamants de Marange restent un bizness de première. « Le Zimbabwe se moque bien des acheteurs occidentaux, plastronnait le ministre des Mines, Obert Mpofu, en pleine conférence minière à Mutare, le 3 octobre. Nous avons la Chine et l’Inde. Eux ne veulent pas attendre que ce foutu KP [Kimberley Process, processus de Kimberley] disparaisse. C’est le contraire : nous, au Zimbabwe, tenons les restrictions du KP pour une violation de nos droits d’hommes », s’enflamme Mpofu, homme lige de Mugabe, à plusieurs reprises tenu de se défendre d’accusations de prises massives d’intérêt et de frénésie d’achats immobiliers après la ruée vers le diamant : Mpofu argua qu’un contrat de 100 millions de dollars de vente de pierres à la Surat Diamond Association, indienne, avait été bloqué à cause des discriminations du processus de Kimberley à l’égard du Zimbabwe.

Financements politiques

L’inde, en août de cette année, prit livraison d’une expédition d’une valeur supérieure à 153 millions de dollars (115 millions d’euros), en provenance d’un port de Dubaï. Le contrat avait été passé en novembre 2010, au cours de l’une des deux ventes que le processus de Kimberley avait autorisées au Zimbabwe.

Mais les diamants de Marange arrivent en Inde aussi par des voies illégales. Deux ressortissants indiens furent arrêtés cette année alors qu’ils tentaient d’expédier plus de 2 millions de dollars de diamants issus de Marange vers la ville indienne de Surat.

De telles arrestations ne sont que la pointe émergée de l’iceberg, constate Farai Maguwu, chercheur critique qui s’exprime ouvertement sur les droits de l’homme à Marange. Le ministre des Finances, Tendai Biti, a eu beau répéter à plusieurs reprises que des entrées d’argent liées à la vente de diamants à hauteur de 174 millions de dollars (130 millions d’euros) ne pouvaient trouver de justification, Mugabe lui a enjoint de se taire jusqu’à ce qu’un audit indépendant soit diligenté. « Il ne fait aucun doute qu’une masse de deals opaques se jouent dans l’ombre puisqu’aucun n’est justifiable », affirme Maguwu. Le Zimbabwe conteste la nomination de Maguwu au poste d’observateur local du processus de Kimberley.

Les profits tirés des ventes occultes de diamants financent le parti Zanu-PF de Mugabe, ils seront investis dans la campagne électorale à venir que l’on pressent violente. Un rapport publié en 2010 par Partnership Africa Canada [Partenariat Afrique Canada, association pour la recherche, le dialogue et l’action sur le développement de l’Afrique, www.pacweb.org/index-f.php] établit comment le cercle restreint de l’élite militaro-politique proche de Mugabe fait main basse sur de coquettes fortunes tirées de son contrôle des champs diamantifères de Marange.

Le gouvernement Mugabe nie tout en bloc.

Des alluvions sous la boue de linhumain

Une indignation générale est née d’un contrat conclu en mars avec la Chine par lequel le pays acquérait pour 98 millions de dollars de diamants (73 millions d’euros) en contrepartie de la construction d’une école de la défense pour les militaires.

Les acteurs du processus de Kimberley font tous leurs efforts pour contourner l’impasse que représente le Zimbabwe. Des membres influents comme les États-Unis ou l’Union européenne contestent une décision du président du processus, Mathieu Yamba, congolais, qui a autorisé des exportations sous contrôle des pierres de Marange. Jamais encore le processus de Kimberley n’aura été aussi divisé depuis 2000, date de sa constitution consensuelle en corps régulier pour en finir avec le trafic de diamants extraits en pleines zones de conflits, ou destiné à financer ces conflits mêmes.

Les membres des sociétés civiles parties prenantes du processus, aux côtés de pays comme les États-Unis et le Canada, estiment que les diamants de Marange tombent dans les critères du processus en raison des dénonciations continuelles de violations massives des droits humains. La Chine, l’Inde et l’Afrique s’associent aux requêtes zimbabwéennes en faveur d’une reprise des exportations.

Les riches filons du pays se sont enfoncés depuis des années sous la boue des droits de l’homme bafoués. Les diamants assurent la fortune d’une poignée d’individus, au service du gouvernement Mugabe. Pendant ce temps, les hommes, dans les mines de gemmes, n’en finissent pas de souffrir.

 

GlobalPost/Adaptation Olivier Magnan – JOL Press.

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