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Les drones : un échec des militaires, des politiques et des industriels

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Une négociation controversée

Le ministre de la Défense a pris cet été la décision d’entrer en négociation avec Dassault en vue de la fourniture aux armées d’un drone « Male ». Cette décision, si elle a le mérite d’exister, pose un certain nombre de questions sur le choix même de la formule retenue.

Il convient tout d’abord de dire ce qu’est un drone « Male » pour « Moyenne altitude longue endurance » : il s’agit d’un aéronef piloté à distance, donc sans pilote, qui peut rester en vol pendant 24 heures ou plus à une altitude importante, qui dispose de nombreux moyens de surveillance, qu’ils soient optiques, infrarouges électroniques ou radar, qui est doté de transmissions performantes capables d’acheminer des renseignements recueillis par ses capteurs, et enfin susceptible de porter des armements de précision destinés à détruire les objectifs qui lui seront assignés.

On devine devant toutes ces capacités l’intérêt qu’il y a pour un appareil de défense d’être doté d’un tel équipement. D’ailleurs la chronique des opérations en cours dans le monde en démontre, si besoin est, l’utilité.

La France, championne de l’aéronautique mais démunie de drones

La France, qui est un grand pays dans le domaine aéronautique et spatial, se retrouve, en 2011, totalement exclue de ce domaine primordial. C’est un désastre à mettre au compte des militaires, des politiques et des industriels.

Les militaires n’ont pas su montrer l’importance de disposer de ces matériels pour conduire les opérations modernes. La raison en est qu’ils ont fait passer au premier plan leurs luttes corporatistes avant la satisfaction d’un besoin opérationnel criant : il faut le dire bien fort, car ces luttes fratricides pour éviter qu’une armée ait le pas sur les autres grâce à un instrument indispensable, nous ont conduits à l’impasse actuelle.

J’ai personnellement alerté les politiques au plus haut niveau, mais rien n’y a fait : le politique est impuissant lorsque les armées n’expriment pas ce besoin ou ne lui donnent pas la priorité nécessaire.

Des négociations mal menées

Échec également des politiques qui n’ont pas su s’imposer, et donner l’ordre à la défense de satisfaire en priorité ce besoin. À leur décharge, il faut reconnaître que l’organisation actuelle des armées ne met en face d’eux qu’un seul interlocuteur : le chef d’état-major des armées qui est ainsi à leurs yeux l’expert de poids : s’il ne retient pas leur proposition et exprime d’autres priorités, ils sont contraints de s’incliner. À cet égard, l’organisation des armées devrait sans doute se voir légèrement modifiée afin de donner une voix plus importante aux chefs d’état-major d’armées qui sont in fine les vrais spécialistes dans leur domaine d’action.

Un besoin pourtant urgent, utile pour lutter contre la piraterie

Et pourtant, le besoin opérationnel est criant. Pour ne rester que dans le domaine du recueil de renseignements, nous sommes « aveugles » dans nombre de régions où nous avons des intérêts : dans la zone du Sahel où restent des otages, dans la zone de la corne de l’Afrique où des drones seraient bien utiles pour assurer la surveillance de vastes zones dans lesquelles se développe la piraterie. Je ne parle pas, tellement le besoin est frappant, des zones d’opérations dans lesquelles nos forces sont engagées. Que dire encore de la surveillance des approches maritimes en particulier dans la lutte contre le trafic de drogue, de la surveillance des feux de forêts, etc…

Échec enfin de la DGA et des industriels qui n’ont pas su mettre sur pied une vraie filière industrielle nationale et qui n’ont pas perçu en temps utile que le domaine des drones allait devenir d’une grande importance. On a lancé il y a quelques années le programme de drone intérimaire qui a donné naissance au Harfang dont trois exemplaires sont en service, en particulier en Afghanistan et parfois ailleurs. Mais ce système, s’il a le mérite d’exister, connaît des performances limitées et ne peut pas faire l’objet d’évolutions. Pour lui succéder, deux solutions étaient envisageables : un achat sur étagère de matériel américain performant, le Reaper, ou le développement d’un nouveau système national de nouvelle génération. En réalité, rien n’a été fait pendant des années, on a fini par ne trouver que la solution boiteuse qui vient d’être décidée et qui fait appel à un matériel étranger que nous allons aider à promouvoir, de quoi couper ainsi nos velléités de bâtir un jour notre filière nationale.

Des solutions existent

Une PME française innovante avait proposé un système peu onéreux qui aurait permis rapidement (en 2013) de couvrir une partie du besoin opérationnel, en attendant le développement d’un matériel plus performant (il aurait été mis en service vers la fin de la décennie). La solution n’a pas été retenue pour, me semble-t-il, deux raisons : d’une part, la DGA n’a confiance que dans les grands groupes qui bien souvent sont incapables de développer ces petits systèmes, et d’autre part les grands groupes font tout pour écarter un intrus dans ce qu’ils considèrent comme leur chasse gardée.

Le résultat de tous ces atermoiements, de cette absence de décision et, in fine, du mauvais choix retenu, est qu’en Europe, très rapidement les Anglais ainsi que les Italiens se sont dotés de Reaper, les Allemands le feront certainement rapidement. Pour notre part, nous n’avons rien alors que nous aurions pu, compte tenu de nos capacités industrielles, devenir un leader européen.

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