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Les « Indignés » rêvent d’un autre monde

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[image:1,l]En haut de la page d’accueil du site 15 October, en anglais, un message simple « Unis pour un changement mondial ». En dessous, des appels à la mobilisation, « Il est temps de nous unir. Il est temps qu’ils écoutent. Peuple du monde, levez-vous ! », une carte du monde interactive sur laquelle sont indiqués par des points rouges les lieux de rassemblement et, en gros et gras, deux statistiques : en fin d’après-midi, ce vendredi, 951 villes, 82 pays.

Pour la première fois, samedi 15 octobre, ils manifesteront le même jour, à travers le monde, pour dire leur mécontentement vis-à-vis du fonctionnement de nos sociétés et des effets sur les peuples de la version contemporaine du capitalisme financier mondial. En colère, une internationale des Indignés tente d’unir ses forces et descend dans la rue pour faire entendre sa voix : « Que des gens du monde entier descendent dans les rues et sur les places, de l’Amérique à l’Asie, de l’Afrique à l’Europe. Qu’ils se mobilisent pour réclamer davantage de droits et exiger une véritable démocratie. C’est le moment de nous réunir dans une protestation mondiale non-violente », exhorte le collectif dans un appel traduit en 18 langues. Ils s’indignent.

L’exemple du « printemps arabe »

[image:2,s] « Révolution » ou « contestation » ? Un choix lexical périlleux, tant il est prématuré pour qualifier la nature et la portée du phénomène en cours sur la rive sud de la Méditerranée. Une chose est sûre : les événements de ce début d’année à travers le monde arabe ont donné le ton. Il flotte dans l’air de 2011, un peu partout, et pas toujours pour exactement les mêmes raisons, un parfum de mécontentement, plus ou moins fort, plus ou moins entêtant. Les images relayées par les chaînes d’information, 24 heures sur 24 pendant plusieurs semaines, des manifestants place du Changement à Sana’a au Yémen, place de la Perle à Bahreïn, avenue Habib Bourguiba à Tunis ou, bien sûr, place Tahrir au Caire, ont marqué les esprits aux quatre coins du monde. Même si, partout, les problématiques diffèrent, l’élan pour plus de démocratie et plus de justice sociale qu’a incarné le « printemps arabe » a suscité des vocations et inspiré d’autres mouvements, rêvant à leur tour d’un « été » puis d’un « automne » pour retarder l’hiver.

« Nous partîmes cinq cents, mais, par un prompt renfort… »

[image:3,s]Le mouvement des Indignés, « Indignados » devrait-on dire, est né en Espagne le 15 mai dernier quand, aux termes d’une manifestation madrilène dénonçant la dictature des marchés, une poignée d’irréductibles installe un campement à proximité de la Puerta del Sol au cœur de la capitale. Les tentatives de les en déloger échouent, ils restent, et leur mouvement du « 15-M » fait tache d’huile.
Déjà, à Athènes, en Grèce, la place Syndagma, devant le Parlement, est le lieu de rendez-vous quotidien de tous les mécontentements. « Yes, we camp », peut-on y lire en grand dès le printemps et tout l’été. Ailleurs, des rassemblements plus ponctuels ont lieu : à Zurich, les mécontents optent pour la Paradeplatz, face aux sièges des banques UBS et Crédit suisse. Si, à Londres et Paris, des tentatives d’installation avortent sur Trafalgar Square et place de la Bastille, les Indignés israéliens passent l’été sur le boulevard Rothschild dans un quartier huppé de Tel Aviv avant de réussir le pari d’une « Marche du million » le 3 septembre.

[image:4,s]Et, le samedi 17 septembre, le mouvement traverse l’Atlantique et s’installe dans le cœur historique du capitalisme financier mondial : « Occupy Wall Street »… occupe Wall Street, et s’installe pour durer dans le parc Zuccotti près du NYSE, la bourse de New York… Après New York, d’autres villes américaines suivent.
Ce 15 octobre, parmi les 82 pays de la mobilisation, l’essentiel de l’Europe et des deux Amériques, mais aussi l’Australie et la Nouvelle-Zélande qui ouvriront le bal, le Japon et la Corée du Sud, Hong Kong et Taïwan, les Philippines, l’Indonésie, l’Indel’Afrique du Sud et le Sénégal… la Jordanie, l’Arabie saoudite et le Maroc, l’Égypte et la Tunisie.

Une méthode de mobilisation commune

Comme pour le « printemps arabe », le mouvement des Indignés utilise des formes de mobilisation inédites. À New York et à travers les États-Unis, certains syndicats apportent une aide logistique aux « occupants ». Mais, ailleurs, la plupart de ces mouvements refusent toute forme d’affiliation à des structures préexistantes, clairement identifiées, mouvements politiques ou organisations syndicales, malgré une rhétorique qui n’est pas sans rappeler celle de mouvements sociaux historiques.
Nulle part, il ne semble y avoir de leaders qui s’imposent ou qui seraient sur le point de s’imposer. Et, jusqu’à preuve du contraire, on ne peut affirmer qu’il y ait eu le moindre téléguidage de quelque organisation que ce soit.
Sur la forme, ces mouvements apparaissent spontanés. Le « nerf de la guerre » repose dans une utilisation optimale des outils de communication contemporains. Les informations sur les actions circulent instantanément à travers l’Internet, et en particulier les réseaux sociaux. Mais, si Facebook, Twitter et compagnie jouent un rôle considérable de facilitateurs dans cette première véritable e-contestation, ils ne font pas tout.

Sur le fond, ces passages à l’acte, ou à l’action, s’inscrivent dans un processus lent de maturation de revendications, sociales et politiques, anciennes.

Une mise en cause de la démocratie représentative

Les Indignés ont pour objectif d’infléchir les politiques conduites et de dénoncer des responsables politiques perçus comme trop coupés de ceux qu’ils sont censés représenter.
Porteurs de « cahiers de doléances », des Indignés espagnols et français ont marché jusqu’à Bruxelles. Une fois arrivés, ils ont refusé une invitation à débattre dans l’enceinte du Parlement européen : « Sans nous, vous n’existez pas car vous êtes nos représentants. Et on ne veut plus de vous », ont-ils répondu aux parlementaires européens. Leur message indiquait aussi que, si les élus souhaitaient mieux connaître ce mouvement et ses acteurs, ils n’avaient qu’à faire eux-mêmes l’effort de descendre dans la rue et d’aller à la rencontre des manifestants.
À force d’agiter le chiffon rouge de la démocratie participative, ce sont les prémices d’une crise de la représentativité qu’illustre, potentiellement, le mouvement des Indignés. Chez une frange croissante de la population, qu’elle s’indigne ou pas, et pour des raisons parfois diverses, on observe une remise en cause, de plus en plus profonde, des formes traditionnelles du modèle démocratique occidental. D’où le succès des aventures populistes, d’où la mobilisation des Indignés… C’est « à nous, les peuples, de décider comment le monde devrait être », peut-on lire sur le site 15october.

Une inquiétude sociale profonde

[image:5,s]Cette aspiration politique à une remise en cause des pratiques démocratiques existantes ne saurait masquer une réalité plus sombre, parce que plus concrète et plus ancienne : la détérioration des conditions de vie dans les sociétés occidentales et l’accroissement des inégalités, partout. La grogne, en Grèce par exemple ou au Portugal, serait d’une tout autre nature, plus ponctuelle, plus facilement maîtrisable, si elle n’avait pour objet que les récentes politiques d’austérité rendues nécessaires par la crise. Mais ces mesures récentes menacent de faire basculer dans la précarité, la pauvreté, le désespoir des populations déjà fortement pressurées par les évolutions structurelles majeures, intervenues au cours des deux dernières décennies : la globalisation et ses effets sur les salaires, l’allongement de la durée de vie et la crise du financement des systèmes de protection sociale, les évolutions technologiques et les gains de productivité induits, au détriment de la valeur travail, ou encore la transition vers la monnaie unique en zone euro et son effet ressenti sur les prix.
Les coupables pour les Indignés ? Le système financier dans la main invisible du marché et « les banquiers »… cibles privilégiées pour en finir avec le capitalisme financier. 
Au final, une impression chez beaucoup, pour le dire de manière triviale, que l’on vit « moins bien » maintenant qu’auparavant.

Les jeunes au premier rang des Indignés

Il n’est pas rare de retrouver une majorité de jeunes en première ligne des mouvements sociaux. Le romantisme, « l’espoir de lendemains qui chantent »… c’est cela, pour beaucoup, la jeunesse, avant qu’elle ne passe.
[image:6,s]Là, la jeunesse la plus mobilisée, comme on l’avait déjà remarqué, dès janvier, en Tunisie et partout ailleurs depuis, est une jeunesse diplômée qui se retrouve au chômage, bloquée avant même que ne débute sa vie active, avec toutes les conséquences et les remises en question induites. Ainsi, en Italie, 29 % des jeunes de moins de 30 ans sont au chômage et 47 % occupent des emplois précaires. Dans l’année écoulée, le budget de l’éducation a été amputé de 8 milliards d’euros et 95 % des bourses étudiantes ont été diminuées.
Contrairement aux générations précédentes, cette jeunesse ne peut que difficilement compter sur ses parents ou grands-parents, affectés tout autant par la conjoncture économique et sociale. Le taux de chômage réel n’est-il pas de 16,5 % aux États-Unis ? Et être au chômage aux États-Unis n’a rien d’une sinécure… Ces jeunes réalisent que, pour la première fois dans l’histoire récente de l’humanité, ils vivront en moyenne moins bien que leurs parents. Déjà, on évoque une « génération sacrifiée ».

1968 ou 1789 ?

Les comparaisons historiques sont tentantes. En début d’année, le choix de « printemps » pour qualifier les soulèvements à travers le monde arabe faisait référence au « printemps des peuples », au réveil des nationalités en 1848 et, par ricochet, à la chute des dominos soviétiques à partir de 1989.
Le mouvement des Indignés réveille, chez certains experts, des souvenirs de jeunesse et, forcément, le mot magique « soixante-huit » est prononcé, instinctivement, à la va-vite. Effectivement, une fois de plus, il serait question d’aspiration à la démocratie parfaite, de prétendue prise de conscience par des anonymes que leur voix compte et qu’ils ont leur mot à dire – surtout sur Internet. Un arrière-goût d’autogestion clouant au pilori les responsables politiques en place, majorité comme opposition, non pas tant pour ce qu’ils font ou ne font pas, mais pour ce qu’ils sont ou seraient.

Mais, il y a bien une autre dimension dans les slogans des Indignés, une autre dimension exacerbée par le contexte de crise économique dans lequel cette poussée de fièvre apparaît et qui dépasse largement la seule responsabilité des gouvernants : une remise en question des excès, non pas théoriques mais observés, expérimentés, ressentis, du système capitaliste tel qu’il fonctionne aujourd’hui. Les Indignés de 2011 ne sont pas les enfants gâtés des « trente glorieuses », gavés de roudoudous puis passés de la « Bibliothèque rose » aux « petits livres rouges ». En outre, ils ne sont pas les seuls à s’indigner… Les dysfonctionnements contemporains, comme l’accroissement des inégalités que dénoncent les néohippies d’« Occupy Wall Street » quand ils scandent « Nous sommes les 99 % » en défilant sous les fenêtres de Rupert Murdoch, sont ressentis bien au-delà, parmi ceux qui, pour l’instant, n’éprouvent pas le besoin de défiler dans les rues ou de camper à la belle étoile. Dans ce cas, si les cassandre voient juste, alors la date dont il faut se souvenir, ce n’est ni 1968, ni 1848, mais plutôt 1789

Des indices des temps à venir

Ceux qui rêvent d’un « hiver du capitalisme » n’ont sans doute pas la moindre idée de ce qui pourrait raisonnablement lui succéder. Parallèle avec 1789… ce 15-Octobre n’est ni le 14-Juillet ni le 4-Août, pas même encore un 21-Juin. Mais il est certain que cette journée de mobilisation mondiale sera observée avec attention, partout dans le monde, au plus haut niveau. Assiste-t-on à l’émergence, tant annoncée, d’une opinion publique sur la scène mondiale, comme une étape supplémentaire du processus de globalisation ? Si c’est le cas, peut-elle se faire entendre d’une même voix ? Est-elle capable de revendiquer pacifiquement ? Autant de précieux indices des temps à venir.

 

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